Les autorités japonaises exécutent-elles des membres de la secte Aum Shinri-kyo par commodité ?

Quel est le meilleur moment pour exécuter quelqu’un ? Malheureusement, cela pourrait bien être la question que se pose le gouvernement japonais en ce moment.

En 2019, le pays aura un nouvel empereur pour la première fois depuis trois décennies, et les Jeux olympiques organisés l’année suivante à Tokyo marqueront le retour des Jeux d’été au Japon après une absence de plus de 50 ans.

Les yeux du monde seront rivés vers l’est et l’humeur du pays sera, naturellement, festive.

Cela pourrait justement être la raison pour laquelle les autorités japonaises risquent fort de procéder à plusieurs exécutions au cours des prochains mois. En évacuant ces « actualités négatives » maintenant, les festivités à venir ne seront pas assombries – c’est du moins ce qu’elles pourraient penser.

Au Japon, les exécutions sont entourées de secret, si bien qu’il est impossible de prévoir avec exactitude quand l’un des 123 détenus actuellement sous le coup d’une condamnation à mort sera envoyé à la potence.

La peine de mort n’a sa place dans aucun système judiciaire, même dans le cas présent. Ce châtiment est la forme la plus absolue de déni des droits humains : le meurtre prémédité d’un être humain, commis de sang-froid par l’État au nom de la justice.

Hiroka Shoji

Parmi les prisonniers qui risquent le plus d’être exécutés prochainement figurent 13 membres de la secte Aum Shinri-kyo (Vérité suprême d’Aum). Ils ont été condamnés pour leur rôle dans l’ignoble attentat au gaz sarin commis en 1995 dans le métro de Tokyo et pour d’autres faits. Cette attaque a fait 13 morts et des milliers de blessés souffrant des effets de ce gaz neurotoxique.

Le choix de certains des « 13 d’Aum » pour les prochaines exécutions entrerait dans un schéma bien rodé. Par le passé, les ministres de la Justice ont souvent insisté sur la cruauté et le mobile égocentrique des crimes commis.

Deux décennies après, beaucoup de Japonais gardent un vif souvenir de l’attentat du métro de Tokyo en raison de son ampleur sans précédent. Certains proches de victimes se sont dits indignés de ne pas avoir reçu de véritables excuses des auteurs présumés.

Ces familles méritent que les responsables de l’attaque soient traduits en justice et punis pour ces crimes, mais la peine de mort n’a sa place dans aucun système judiciaire, même dans le cas présent. Ce châtiment est la forme la plus absolue de déni des droits humains : le meurtre prémédité d’un être humain, commis de sang-froid par l’État au nom de la justice.

Non seulement les exécutions ne soulageraient probablement pas la douleur des familles, mais elles pourraient en plus les empêcher de recevoir les excuses qu’elles attendent. 

Bien que la condamnation à mort de ces 13 prisonniers soit définitive depuis plusieurs années, aucun d’entre eux n’a encore été exécuté. La législation japonaise interdit l’exécution de prisonniers tant que les jugements de tous leurs coaccusés ne sont pas définitifs. Deux membres d’Aum Shinri-kyo, Katsuya Takahashi et Naoko Kikuchi, ont passé 17 ans dans la clandestinité, jusqu’en 2012, peut-être dans l’espoir que la vie de leurs coaccusés soit épargnée.

Cependant, la Cour suprême ayant confirmé l’acquittement de Naoko Kikuchi en décembre 2017 et la condamnation à perpétuité de Katsuya Takahashi en janvier 2018, les autres membres de la secte condamnés à mort risquent maintenant d’être exécutés d’un moment à l’autre. La ministre de la Justice pourrait signer leur ordre d’exécution malgré le fait que plusieurs d’entre eux ont engagé une procédure en vue d’obtenir un nouveau procès.

Le dépôt d’un recours contre une condamnation ne garantit plus un sursis au Japon. Sur les quatre prisonniers exécutés en 2017, trois avaient entamé une procédure pour être jugés à nouveau.

Il s’agit d’une des multiples violations flagrantes des dispositions juridiques et des normes internationales concernant l’application de la peine de mort dans le pays.

Dans la plupart des cas, les prisonniers ne sont informés de leur mise à mort que quelques heures auparavant, mais il arrive également qu’ils ne soient pas prévenus du tout. Les détenus condamnés à mort sont maintenus à l’isolement, dans l’angoisse de ne jamais savoir quand ils vont être conduits à la potence – parfois pendant plusieurs décennies.

En général, les familles ne sont averties qu’après l’exécution. Il n’existe aucun moyen de savoir qui pourrait être le prochain prisonnier exécuté. Les contacts avec le monde extérieur sont limités à quelques rares visites étroitement surveillées de membres des familles, des avocats ou d’autres visiteurs autorisés.

Le Japon continue de condamner à mort et d’exécuter des prisonniers atteints de déficiences mentales et intellectuelles, en violation flagrante du droit international et des normes internationales.

Six psychiatres engagés par les avocats du gourou de la secte, Chizuo Matsumoto, ont exprimé leur inquiétude quant à la dégradation de sa santé mentale provoquée par sa détention dans le couloir de la mort. Il est d’autant plus difficile de connaître son état de santé mentale actuel que, selon l’une de ses filles, personne de l’extérieur, pas même sa famille et ses avocats, n’a pu le rencontrer depuis 10 ans.

S’opposer à la peine de mort, ce n’est pas affirmer que les responsables présumés d’actes violents, tels que les auteurs de l’attentat du métro de Tokyo, ne doivent pas avoir à répondre de leurs actes. C’est demander aux gouvernements de consacrer leurs ressources à des mesures préventives, dotées d’une vision à long terme, pour traiter le problème par la racine.

Enterrer en silence ces 13 personnes ne rendra pas notre société plus sûre. Cela n’aidera pas à déterminer ce qui a permis qu’une telle secte prospère dans la société japonaise, ni pourquoi ses membres se sont laissés entraîner par un gourou charismatique aux idées dangereuses.

La marque d’une société civilisée est de reconnaître les droits de toutes les personnes, même celles qui sont responsables de crimes atroces.

Les organisateurs des Jeux olympiques de Tokyo veulent « promouvoir des mesures qui laisseront un héritage durable pour les futures générations ». Il est temps que le peuple japonais reconsidère la question de savoir si le pays veut laisser un héritage de brutalité à la prochaine génération.

Un homicide approuvé par l’État est cruel et inhumain dans tous les cas, mais procéder à des exécutions maintenant, en prévision de l’année prochaine, quand le monde aura les yeux braqués sur le Japon, serait faire preuve d’un niveau inouï de cynisme et d’un effrayant mépris pour la vie humaine.