Amnesty International a pu constater directement sur le terrain que des membres de l’Unité d’intervention policière (UIP) de la police nationale, ainsi que des gardes civils, avaient eu recours à une force excessive et disproportionnée contre des manifestants qui résistaient pacifiquement dans la rue et à l’entrée des bureaux de vote. Les forces de sécurité agissaient sur décision de la Haute Cour de justice de Catalogne, qui leur avait ordonné d’empêcher la tenue du référendum. Le ministère de l’Intérieur indique que les forces de l’ordre sont intervenues dans 92 bureaux de vote, qu’elles ont fermés. Selon les informations fournies par le gouvernement autonome de Catalogne, il y a eu au total 2 315 bureaux de vote, dont 400 ont été fermés par décision judiciaire.
À plusieurs reprises, la police nationale et la Garde civile ont eu recours à une force excessive et non justifiée et ont utilisé des équipements antiémeutes dangereux, blessant plusieurs centaines de manifestants.
John Dalhuisen, directeur d'Amnesty International pour l'Europe et l'Asie centrale
Une délégation d’Amnesty International composée de cinq personnes suit la situation en Catalogne depuis plusieurs jours. Elle était présente notamment l’après-midi du samedi 30 septembre et le dimanche 1er octobre 2017, et elle s’est rendue dans de nombreux bureaux de vote tout au long du week-end, recueillant des témoignages et des déclarations.
Selon les chiffres fournis lundi 2 octobre en milieu journée par le ministère régional de la Santé catalan, 893 personnes ont été soignées dimanche 1er octobre dans des centres de soins primaires et des hôpitaux pour des blessures, des ecchymoses ou des problèmes de santé liés à l’action de la police. Deux personnes grièvement blessées ont été admises dans les hôpitaux Sant Pau et Vall d’Hebron. La majorité des blessés ont été recensés dans la région sanitaire de Barcelone. D’après des sources du ministère de l’Intérieur, 19 policiers et 14 gardes civils ont été blessés. Plusieurs images montrent aussi des manifestants ayant un comportement violent à l’égard des gardes civils et des policiers. Un garde civil a été blessé par un jet de chaise au bureau de vote de Sant Joan de Vilatorrada (Barcelone).
« À plusieurs reprises, la police nationale et la Garde civile ont eu recours à une force excessive et non justifiée et ont utilisé des équipements antiémeutes dangereux, blessant plusieurs centaines de manifestants », a déclaré John Dalhuisen, directeur d’Amnesty International pour l’Europe et l’Asie centrale.
En vertu du droit international, les responsables de l’application des lois ne peuvent recourir à la force que lorsque cela est strictement nécessaire pour accomplir la mission qui leur a été confiée. Les mesures prises pour faire appliquer l’arrêt de la Haute Cour de justice de Catalogne doivent être conformes aux normes internationales relatives au recours à la force. Amnesty International considère que, dans de nombreux cas, des membres de la police nationale et de la Garde civile ont utilisé une force disproportionnée.
L’organisation de défense des droits humains a également recensé des cas d’utilisation dangereuse et inappropriée d’équipements antiémeutes, comme des balles en caoutchouc, par des policiers, par exemple au carrefour entre la Calle Sardenya et la Calle Diputación, à Barcelone. Deux observateurs d’Amnesty International ont assisté à une charge policière destinée à dégager le passage face à des manifestants qui s’étaient assis dans la rue pour empêcher les véhicules de police de repartir après une intervention destinée à confisquer les urnes du bureau de vote installé dans l’école publique Ramon Lull.
Après avoir été bloqués près d’une demi-heure par les manifestants, les policiers les ont forcés à partir en les frappant à coups de matraques en caoutchouc. Parallèlement, d’autres policiers ont tiré à blanc, poussant les manifestants à se lever et à se disperser. Les fourgons de police ont ensuite descendu la Calle Sardenya à grande vitesse. Certains manifestants ont lancé des objets sur les policiers, qui continuaient de tirer à blanc. Selon les témoignages recueillis par Amnesty International, lorsque les policiers sont partis, ils ont aussi tiré des balles en caoutchouc sur les manifestants qui les poursuivaient, blessant au moins deux personnes. Une personne aurait été blessée à la jambe et une autre à l’œil droit. Cette dernière a été opérée à l’hôpital Sant Pau, où elle se trouve toujours.
Amnesty International rappelle que, selon les Principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, les balles en caoutchouc peuvent provoquer des blessures graves, en particulier si elles touchent la tête, le visage ou le haut du corps. Afin de se conformer aux principes de nécessité et de proportionnalité et, plus généralement, de respecter le droit à la vie et à l’intégrité physique, les responsables de l’application des lois ne doivent pas utiliser ce type d’équipements antiémeutes pour disperser une foule, mais uniquement pour arrêter des violences. En raison de leur manque de précision, les balles en caoutchouc ne doivent jamais être tirées sans cible spécifique ni vers le sol, car elles peuvent rebondir et toucher le haut du corps. Des études médicales ont révélé un plus grand risque de mort ou de blessures graves si ces projectiles touchent la tête ou le haut du corps.
L’organisation a aussi reçu des témoignages et vu des images montrant que des policiers avaient eu recours à des équipements antiémeutes et à une force excessive contre des gens qui étaient rassemblés à proximité de certaines écoles, comme l’Escuela Mediterrània, dans le quartier de la Barceloneta, à Barcelone. Les images diffusées par les médias montrent que, devant ce bureau de vote, des policiers ont frappé des personnes sans défense qui ne constituaient semble-t-il aucune menace. Par exemple, un policier a frappé une femme au niveau du cou et du visage à au moins deux reprises, sans qu’il n’y ait visiblement eu de provocation de sa part. Dans la même vidéo, on voit un autre policier donner à un homme un coup de poing dans la figure. De même, des images filmées à Sant Joan de Vilatorrada (Barcelone) montrent un garde civil frapper au visage, avec sa matraque en caoutchouc, des manifestants rassemblés autour du bureau de vote.
Ces actes sont contraires aux Principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, qui disposent que les matraques ou autres équipements similaires ne doivent pas être utilisés contre des personnes qui ne sont pas menaçantes ni agressives. Lorsque l’utilisation de ce type de matériel est absolument nécessaire, les agents des forces de l’ordre doivent éviter de causer des blessures graves et ne doivent pas donner de coups de matraque sur la tête, la nuque, la gorge, la colonne vertébrale, le bas du dos, le plexus solaire, les genoux, les chevilles ou les organes vitaux.
Enfin, Amnesty International rappelle que, tant que les participants à un rassemblement ou à une manifestation ne résistent pas violemment à la police, les policiers ne doivent pas avoir recours à la force. Si les manifestants se contentent d’empêcher passivement la police de réaliser son objectif, seule une force minimale doit être utilisée et, dans tous les cas, de façon proportionnelle à l’objectif recherché. Du point de vue de l’organisation, les images de manifestants évacués de l’Instituto Pau Claris, un établissement d’enseignement secondaire situé sur le Passeig Lluís Companys, à Barcelone, montrent que certaines des personnes rassemblées à cet endroit ont été violemment frappées et poussées par des policiers, même lorsqu’elles n’opposaient apparemment aucune résistance.
Ces actes doivent faire l'objet d'une enquête et les responsables présumés doivent être traduits en justice. Ce type d'incidents ne doit plus jamais se reproduire.
Esteban Beltrán, directeur d’Amnesty International Espagne
« Il est clair que la police nationale et la Garde civile ont été empêchées d’exercer leurs fonctions dans beaucoup de bureaux de vote, mais de nombreuses informations disponibles montrent que certains policiers ont usé d’une force excessive et disproportionnée. Ces actes doivent faire l’objet d’une enquête et les responsables présumés doivent être traduits en justice. Ce type d’incidents ne doit plus jamais se reproduire », a souligné Esteban Beltrán, directeur d’Amnesty International Espagne.
Amnesty International demande aux autorités espagnoles d’ouvrir immédiatement une enquête impartiale et approfondie sur le recours à une force excessive et disproportionnée par des membres de la police nationale et de la Garde civile. Tout recours à la force par des responsables de l’application des lois doit être conforme au droit international et aux normes en la matière, et être soumis à un contrôle. Si l’enquête conclut qu’il y a eu recours excessif à la force, les responsables présumés doivent faire l’objet de poursuites pénales ou de sanctions disciplinaires selon les circonstances. L’usage abusif de la force par des responsables de l’application des lois doit être considéré comme un crime.