Égypte. Libérez les 24 militants nubiens détenus à la suite d’une manifestation pour le respect de leurs droits culturels

Il faut que les autorités égyptiennes libèrent immédiatement les 24 militants nubiens arrêtés après que la police a dispersé violemment leur manifestation pacifique, qui s’est déroulée dans le gouvernorat d’Assouan le 3 septembre, a déclaré Amnesty International mardi 12 septembre. Les militants détenus, qui réclamaient le respect des droits culturels de la population autochtone nubienne et son retour sur son territoire d’origine, dans le sud de l’Égypte, doivent comparaître le 13 septembre.

Les gouvernements successifs ont déplacé de force les Nubiens de leurs terres ancestrales aux fins de projets d’urbanisme, menaçant ainsi la pérennité de leur identité culturelle, historique et linguistique. Au lendemain du soulèvement de 2011, les militants nubiens se sont organisés et ont commencé à exprimer leurs revendications haut et fort. Leur travail de pression a abouti à l’ajout, dans la Constitution égyptienne de 2014, d’une disposition reconnaissant leur droit au retour.

« Les autorités égyptiennes marginalisent les Nubiens depuis longtemps, ignorant leur volonté de regagner leurs terres ancestrales et traitant les militants comme des suspects au nom de la sécurité, a déclaré Najia Bounaim, directrice des campagnes pour l’Afrique du Nord à Amnesty International.

« Au lieu de bafouer ouvertement les droits des Nubiens aux libertés d’expression et de réunion en continuant à les arrêter lorsqu’ils manifestent pacifiquement, les autorités devraient libérer immédiatement les 24 militants détenus. »

Au lieu de bafouer ouvertement les droits des Nubiens aux libertés d’expression et de réunion en continuant à les arrêter lorsqu’ils manifestent pacifiquement, les autorités devraient libérer immédiatement les 24 militants détenus.

Najia Bounaim, directrice des campagnes pour l’Afrique du Nord à Amnesty International

Des militants nubiens d’Assouan ont appelé à participer le 3 septembre à une manifestation, qu’ils ont appelée « Journée de rassemblement des Nubiens ». Pendant la manifestation, ils ont chanté des chansons nubiennes et réclamé la concrétisation du droit au retour sur leurs terres ancestrales, que leur peuple a été contraint à quitter par vagues entre 1912 et 1964 pour s’installer ailleurs dans le pays. Les manifestants demandaient aussi aux autorités d’abroger un décret présidentiel (numéro 444/2014) qui classait 16 villages situés sur le territoire traditionnel nubien en zone militaire, interdisant ainsi d’y vivre.

Ils avaient juste eu le temps de se rassembler et de défiler sur 500 mètres place Al Guzzayra, dans le centre-ville, lorsque les forces de sécurité les ont encerclés, rouant de coups aussi bien les femmes que les hommes. La police a arrêté 24 hommes, qu’elle a emmenés au camp des forces de sécurité de Shallal, à Assouan. Ceux-ci n’ont pas pu contacter d’avocat ni leur famille. Le lendemain de leur arrestation, des représentants du ministère public les ont interrogés sur place, en l’absence de leurs avocats. Ils ont ordonné leur placement en détention pendant quatre jours pour « participation à une manifestation non autorisée » et « possession de publications portant atteinte à l’unité nationale et à la sécurité publique », en référence aux tracts et aux banderoles.

Il était prévu qu’un juge examine l’ordonnance de placement en détention le 6 septembre mais la police n’a pas présenté les 24 militants au tribunal ; l’audience a donc été ajournée au 13 septembre. Pour protester contre ce report, les détenus ont annoncé qu’ils observeraient une grève de la faim du 6 au 9 septembre. Le 7 septembre, il leur a été interdit de recevoir la visite de leurs proches et de leurs avocats.

La militante nubienne Ayat Osman a expliqué à Amnesty International que ses parents, comme d’autres familles, avaient réussi à obtenir une autorisation du ministère public pour rendre visite à leurs proches détenus. Cependant, lorsqu’ils s’étaient présentés au centre de détention pour voir son frère, un policier avait refusé de les faire entrer et leur avait ordonné de partir.

Ce n’est pas la première fois que les forces de sécurité dispersent des rassemblements pacifiques de militants nubiens. Le 19 novembre 2016, la police a mis fin à un défilé pacifique en faveur des droits humains des Nubiens et a encerclé les manifestants pendant plusieurs heures, les privant d’eau et de nourriture jusqu’à les obliger à quitter les lieux.

Pendant des années, les autorités ont dépossédé les Nubiens, en les déplaçant de leurs terres ancestrales et en les empêchant de jouir pleinement de leurs droits culturels. Ces pratiques et la réticence des autorités à leur permettre de retourner sur leurs terres sont contraires à la Constitution et aux obligations internationales de l’État égyptien.

Najia Bounaim

Le déplacement des Nubiens a eu de lourdes conséquences socioéconomiques pour eux. Bien souvent, ils ont dû abandonner l’agriculture lorsqu’on les a forcés à quitter leurs villages traditionnels, sur les rives du Nil, pour s’installer dans des zones désertiques, caractérisées par une pénurie d’eau et de sols fertiles.

Par ailleurs, le ministère égyptien de l’Éducation interdit aux écoles de l’extrême sud du pays d’enseigner la langue nubienne, malgré les demandes de la communauté. Fatma Emam, défenseure des droits des Nubiens, a expliqué à Amnesty International que l’assimilation forcée de ce peuple à des populations arabophones l’avait empêché de véritablement conserver sa langue.

La Constitution égyptienne de 2014 reconnaît au peuple autochtone nubien le droit au retour sur ses terres d’origine. L’article 236 impose à l’État d’élaborer un plan de développement économique des zones frontalières marginalisées, y compris la Nubie, située à la frontière méridionale du pays. Aux termes de cette disposition, les pouvoirs publics sont tenus de mettre en œuvre des projets visant à faciliter le retour des Nubiens sur leurs terres d’origine et le développement de la région.

« Pendant des années, les autorités ont dépossédé les Nubiens, en les déplaçant de leurs terres ancestrales et en les empêchant de jouir pleinement de leurs droits culturels. Ces pratiques et la réticence des autorités à leur permettre de retourner sur leurs terres sont contraires à la Constitution et aux obligations internationales de l’État égyptien », a déclaré Najia Bounaim.