Selon les éléments recueillis par Amnesty International, la police égyptienne aurait procédé à l’exécution extrajudiciaire de quatre hommes qui avaient été victimes de disparition forcée et de torture, pour certains pendant un mois, après avoir été arrêtés en raison de leur appartenance présumée aux Frères musulmans. Ces éléments remettent sérieusement en question les déclarations des autorités, selon lesquelles ils auraient été tués lors d’échanges de tirs qui ont eu lieu les 20 et 23 juin.
Les proches ayant vu les corps des victimes à la morgue ont indiqué à Amnesty International que trois présentaient des signes de torture, notamment des ecchymoses, et un, des brûlures, et que des membres de l’Agence de sécurité nationale les avaient empêchés de prendre des photos, allant jusqu’à confisquer le téléphone portable de l’un d’eux.
« Les éléments qui semblent attester les actes de torture et l’exécution extrajudiciaire que la police aurait infligés à ces quatre hommes soulignent combien il est nécessaire qu’une enquête impartiale sur leur mort soit menée rapidement. À l’heure actuelle, les services de sécurité égyptiens pensent qu’ils peuvent torturer, faire disparaître et abattre des suspects sans avoir à rendre de comptes ni à subir de contrôle, a déclaré Najia Bounaim, directrice des campagnes pour l’Afrique du Nord à Amnesty International.
« Il ne faut pas que les autorités égyptiennes puissent couvrir des violations ni permettre aux forces de sécurité de torturer et tuer à leur guise et en toute impunité, sous prétexte de protéger la sécurité nationale. »
À l’heure actuelle, les services de sécurité égyptiens pensent qu’ils peuvent torturer, faire disparaître et abattre des suspects sans avoir à rendre de comptes ni à subir de contrôle.
Najia Bounaim, directrice des campagnes pour l’Afrique du Nord à Amnesty International
Les homicides de ces quatre hommes sont les derniers d’une longue série : depuis juillet 2015, les forces de sécurité ont tué des dizaines de suspects, ce que le ministère de l’Intérieur a décrit comme une opération fructueuse de « liquidation des terroristes ».
Le 20 juin 2017, le ministère de l’Intérieur a annoncé sur sa page Facebook officielle qu’Abdelzaher Motawie (32 ans), Sabry Sabah (46 ans) et Ahmed Abu Rashid (41 ans) avaient été tués dans un échange de tirs lorsque la police s’était approchée de l’appartement où ils étaient supposés se cacher. Il affirmait que ces trois hommes avaient été inculpés d’appartenance au groupe armé se faisant appeler Hasm et de participation à des attaques violentes contre des installations publiques.
Le 23 juin, le ministère de l’Intérieur a indiqué que la police avait abattu Mohamed Abdel Moneim Abu Tabeekh (39 ans) sur une autoroute du gouvernorat de Gizeh car il avait résisté à son interpellation ; il était soupçonné de soutenir financièrement le mouvement Hasm.
Cependant, les informations recueillies par Amnesty International suscitent de sérieux doutes quant à la version des autorités et laissent à penser que les quatre hommes, qui ont disparu un mois avant l’annonce de leurs homicides, se trouvaient déjà aux mains de la police au moment de leur mort.
Dans ses deux déclarations, le ministère de l’Intérieur accusait les Frères musulmans de parrainer le groupe armé Hasm. Il n’a fait état d’aucune perte dans les rangs de la police.
Le frère d’Abdelzaher Motawie a assisté au lavage du corps, un rituel qui précède l’enterrement, dans une morgue d’Alexandrie. Il a rapporté à Amnesty International qu’il avait repéré trois ecchymoses au niveau de la tête et des brûlures sur la poitrine et les épaules, ainsi que trois blessures par balle à la poitrine et une à la bouche. Il a raconté qu’un autre membre de la famille avait tenté de prendre des photos mais que des membres de l’Agence de sécurité nationale étaient intervenus, lui confisquant son téléphone portable.
Le beau-frère et l’épouse d’Ahmed Abu Rashid, entendus séparément, ont soutenu tous les deux avoir observé une large ecchymose sur sa joue droite et de plus petites sur d’autres parties du visage.
Les proches de Sabry Sabah qui ont vu son corps à la morgue ont expliqué à Amnesty International qu’il avait des ecchymoses à la tête, à la poitrine et près d’une aisselle. Ils ont dit avoir constaté trois blessures par balle : une à la poitrine et deux au dos, une au-dessus de chaque rein.
Selon le ministère de l’Intérieur, Sabry Sabah avait été jugé et condamné par contumace à la réclusion à perpétuité pour appartenance à un « groupe interdit » et Abdelzaher Motawie, entré dans la clandestinité, était recherché pour le même motif. Les proches de Sabry Sabah et de Mohamed Abdel Moneim Abu Tabeekh affirment pourtant que la police a effectué une descente aux domiciles respectifs de ces hommes le 20 mai, alors qu’ils avaient déjà disparu.
Amnesty International a examiné des copies de plusieurs documents, y compris des lettres et des télégrammes envoyés par des proches au procureur de la République, au gouvernement et au ministère de l’Intérieur pour demander l’ouverture d’une enquête visant à déterminer où se trouvaient les hommes disparus, ce plusieurs semaines avant l’annonce de leur mort, ce qui tend à prouver qu’ils étaient déjà détenus par les autorités lorsqu’ils ont été tués. Sur ces documents, il est mentionné qu’Abdelzaher Motawei a disparu le 19 mai, Ahmed Abu Rashid le 28, Mohamed Abu Tabeekh le 20 et Sabry Sabah le 18.
Les familles n’ont reçu aucune réponse et les autorités ont même fait pression sur l’une d’elles afin qu’elle retire sa plainte et abandonne les recherches. Le frère d’Abdelzaher Motawie a expliqué que, lorsqu’il avait voulu signaler la disparition au poste de police de Damanhour le 22 mai, un membre de l’Agence de sécurité nationale l’avait battu, détenu jusqu’au lendemain et interrogé au sujet des activités de son frère, avant de lui ordonner de ne jamais revenir.
Ce n’est pas la première fois que les autorités égyptiennes n’enquêtent pas sur des allégations d’exécution extrajudiciaire. Amnesty International a recueilli des informations sur l’exécution extrajudiciaire de six hommes par la police, qui a eu lieu le 13 janvier dans le Sinaï. Ceux-ci avaient été détenus au secret, certains pendant trois mois, avant d’être tués. En avril 2017, une vidéo dont Amnesty International a pu vérifier l’authenticité est apparue sur Internet. On y voyait des militaires procéder à l’exécution extrajudiciaire de sept personnes sans armes, y compris un adolescent de 17 ans, dans le nord du Sinaï.
Le fait que les autorités égyptiennes se soient abstenues à plusieurs reprises d’enquêter sur des exécutions extrajudiciaires est un signe inquiétant que les forces de sécurité commettent ces graves violations avec leur assentiment.
Najia Bounaim
« Le fait que les autorités égyptiennes se soient abstenues à plusieurs reprises d’enquêter sur des exécutions extrajudiciaires est un signe inquiétant que les forces de sécurité commettent ces graves violations avec leur assentiment. Plutôt que d’encourager la perpétration de violences, elles devraient veiller à ce que les auteurs présumés de ces infractions soient traduits en justice », a déclaré Najia Bounaim.
Les exécutions extrajudiciaires sont des homicides commis délibérément et en toute illégalité sur ordre du gouvernement ou avec sa complicité ou son assentiment. Les disparitions forcées et les exécutions extrajudiciaires qui participent d’attaques systématiques ou généralisées contre la population civile peuvent constituer des crimes contre l’humanité.