Sommet du Conseil de coopération du Golfe. Répression systématique de la liberté d’expression dans le Golfe

Le bilan déplorable des droits humains dans les États du Golfe ne doit pas être balayé sous le tapis lorsque les États membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG) se réuniront dans la capitale bahreïnite, Manama, les 6 et 7 décembre, à l’occasion de leur sommet annuel, a déclaré Amnesty International lundi 5 décembre 2016.

Il est à noter que les droits humains seront absents de l’ordre du jour du sommet annuel, qui réunira les six États du CCG – Bahreïn, Koweït, Oman, Qatar, Arabie saoudite et Émirats arabes unis – pour débattre de la coopération en matière de commerce et de sécurité, sans évoquer la vague de répression qui balaie la région pour des motifs de sécurité.

« Depuis quelques années, à travers les pays du Golfe, nous constatons que les militants des droits humains, les opposants politiques pacifiques et les détracteurs des autorités sont systématiquement pris pour cibles au nom de la sécurité. Des centaines d’entre eux sont harcelés, poursuivis illégalement, déchus de leur nationalité, détenus de manière arbitraire ou dans certains cas emprisonnés voire condamnés à mort à l’issue de procès iniques, dans le cadre d’une initiative concertée visant à les intimider et à les réduire au silence, a déclaré Randa Habib, directrice régionale du bureau d’Amnesty International pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient.

Le recours à ces méthodes pour piétiner les droits des citoyens dans les États du CCG doit prendre fin sans délai.

Randa Habib, directrice régionale du bureau d’Amnesty International pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient

« Le recours à ces méthodes pour piétiner les droits des citoyens dans les États du CCG doit prendre fin sans délai. »

La Première ministre britannique Theresa May, qui doit assister au sommet du CCG, a une occasion unique d’évoquer les préoccupations relatives aux violations des droits humains relevant d’une pratique bien établie dans la région.

« Depuis des années, les alliés occidentaux des États du CCG, dont les États-Unis et le Royaume-Uni, répugnent à parler franchement des violations endémiques des droits humains dans le Golfe. Ils tournent ainsi le dos aux innombrables victimes dans la région. Il est grand temps que les alliés du CCG cessent de faire passer le commerce et la coopération en matière de sécurité avant les droits humains et Theresa May doit saisir cette occasion d’aborder des problèmes clés en matière de droits », a déclaré Randa Habib.

La Première ministre britannique Theresa May doit assister au sommet du CCG à Manama, à Bahreïn, les 6 et 7 décembre. © AFP/Getty
La Première ministre britannique Theresa May doit assister au sommet du CCG à Manama, à Bahreïn, les 6 et 7 décembre. © AFP/Getty

Dans les années qui ont suivi les soulèvements de 2011 dans le monde arabe, plusieurs pays du Golfe ont adopté des lois répressives relatives au terrorisme, à la cybercriminalité et aux rassemblements publics, en vue de restreindre la liberté d’expression et de sanctionner ceux qui critiquent les politiques gouvernementales, leurs dirigeants ou ceux d’autres États du CCG.

Dans les pays du CCG, se dégage clairement une tendance qui consiste à s’appuyer sur des lois générales et vagues relatives à la sécurité afin de condamner des militants et détracteurs pacifiques à l’issue de procès d’une iniquité flagrante.  

« Si les tensions sont vives dans la région depuis la montée du groupe armé se désignant sous le nom d’État islamique (EI) et le risque d’attentats meurtriers, ce n’est pas une excuse pour se déchaîner en écrasant toute forme de dissidence pacifique. Les gouvernements du CCG doivent cesser d’utiliser la sécurité comme un prétexte pour justifier la répression », a déclaré Randa Habib.

Parmi ceux qui sont pris dans les filets de la répression figurent des défenseurs des droits humains, des leaders de l’opposition, des journalistes, des avocats et des universitaires.

Citons entre autres en Arabie saoudite l’avocat et défenseur des droits humains Waleed Abu al Khair, dont le cas illustre parfaitement l’usage de la loi antiterroriste pour sanctionner ceux qui exercent leur droit à la liberté d’expression. Il purge actuellement une peine de 15 ans de prison après avoir été condamné à l’issue d’un procès inique aux termes de la loi antiterroriste de 2014, pour diverses infractions liées à son travail en faveur des droits fondamentaux et pour un acte qui ne devrait même pas être criminalisé. Il a défendu de nombreux militants pacifiques et a critiqué haut et fort le terrible bilan de l’Arabie saoudite en termes de droits humains.

Le 1er décembre, le tribunal antiterroriste de Riyadh a alourdi à l’issue d’un procès iniqueen appel la peine prononcée à l’encontre d’Issa al Hamed, défenseur saoudien, de neuf à 11 années de prison.

Cas emblématique aux Émirats arabes unis, l’avocat spécialiste des droits humains Mohammed al Roken purge une peine de 10 ans de prison. Il a été déclaré coupable d’infractions liées à la sécurité nationale à l’issue du procès collectif, et inéquitable, de 94 accusés.

Dans la région, des citoyens se retrouvent à purger de lourdes peines de prison simplement pour avoir osé exprimer leurs opinions librement sur les réseaux sociaux. Le célèbre militant bahreïnite Nabeel Rajab compte parmi plusieurs militants dans les pays du CCG qui ont été poursuivis illégalement pour avoir posté des commentaires sur Twitter.

Au Koweït, Abdallah Fairouz, militant des droits humains arrêté en novembre 2013, purge une peine de cinq ans et demi de prison pour des tweets dans lesquels il affirmait que nul ne devrait bénéficier d’une immunité de poursuites au seul motif qu’il réside dans un palais royal. Cet homme est un prisonnier d’opinion.

S’exprimer librement pour critiquer les politiques mises en œuvre par le gouvernement et appeler à des réformes pacifiques a valu à Ali Salman, responsable de la principale formation d’opposition à Bahreïn, la Société islamique nationale Al Wefaq, une condamnation à neuf ans de prison. Ce fut une atteinte choquante à la liberté d’expression. En outre, ce parti a été fermé.

Les États du CCG doivent cesser de considérer les militants indépendants et les détracteurs pacifiques comme des criminels.

Randa Habib

À Bahreïn, aux Émirats arabes unis et au Koweït, depuis quelques années, des centaines de personnes sont illégalement déchues de leur nationalité, ce qui les rend souvent apatrides et les prive de droits majeurs. Fait inquiétant, cette méthode semble de plus en plus utilisée pour punir les dissidents.

« Dans les États du CCG aujourd’hui, exercer vos droits fondamentaux ou exprimer librement vos opinions peut très facilement vous conduire derrière les barreaux. Ces États doivent cesser de considérer les militants indépendants et les détracteurs pacifiques comme des criminels. Au lieu d’enfermer ces citoyens pendant de longues périodes sous le faux prétexte de défendre la sécurité nationale, ils doivent accepter l’examen de leurs bilans en termes de droits humains », a déclaré Randa Habib.

Complément d’information

Les violations des droits humains dans les États du CCG vont au-delà de la répression de la liberté d’expression et se traduisent par des arrestations arbitraires, des actes de torture et des mauvais traitements en détention, des procès iniques, l’insuffisance de protection des droits des travailleurs migrants et le recours à la peine de mort. Par ailleurs, la coalition militaire conduite par l’Arabie saoudite, qui englobe plusieurs pays du CCG, a lancé une série d’attaques illégales au Yémen, dont certaines pourraient constituer des crimes de guerre.