Éthiopie. Le gouvernement bloque massivement, systématiquement et illégalement des sites Internet dans un contexte de manifestations

Le gouvernement éthiopien a systématiquement et illégalement bloqué l’accès aux réseaux sociaux et à des sites d’actualités dans le cadre des mesures qu’il a prises pour réprimer la contestation et empêcher la diffusion d’informations sur les agressions commises par les forces de sécurité contre des manifestants depuis le début, en novembre 2015, de la vague de manifestations qui a conduit à l’instauration de l’état d’urgence, indique un nouveau rapport rendu publique le 14 décembre.

Les recherches menées par Amnesty International et l’Open Observatory of Network Interference (OONI) entre juin et octobre 2016 montrent que l’accès à WhatsApp et à au moins 16 sites d’actualités a été bloqué.

« Il est évident que pour le gouvernement éthiopien, les réseaux sociaux sont utilisés par les extrémistes colportant l’intolérance et la haine et qu’il est donc tout à fait justifié d’en bloquer l’accès. C’est cependant loin d’être la réalité. Cette censure massive prive à nouveau les Éthiopiens d’un espace où ils pourraient exprimer les griefs alimentant les mouvements de protestation, a déclaré Michelle Kagari, directrice régionale adjointe d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Est, la Corne de l’Afrique et les Grands Lacs.

« Le fait de bloquer l’accès à Internet n’a aucune base juridique, et il s’agit d’une autre mesure disproportionnée et excessive prise en réaction aux manifestations. Cela incite à craindre que cette forme de censure excessivement large ne soit institutionnalisée sous l’état d’urgence. »

Au lieu de fermer tous les espaces où les gens peuvent exprimer leurs préoccupations, les autorités devraient activement engager un dialogue et résoudre le problème sous-jacent des violations des droits humains à l'origine des manifestations qui ont eu lieu au cours de l'année écoulée.

Michelle Kagari, directrice régionale adjointe d’Amnesty International pour l’Afrique de l'Est, la Corne de l’Afrique et les Grands Lacs

Le rapport indique également que le gouvernement éthiopien utilise la technologie DPI (inspection approfondie des paquets) pour filtrer l’accès aux sites Internet. La technologie DPI peut être achetée et appliquée sur tout type de réseau. Elle a de nombreuses fonctions légitimes mais permet aussi de surveiller et filtrer le trafic sur Internet.

« Les résultats de nos recherches montrent de façon incontestable une entrave systématique à l’accès à de nombreux sites Internet appartenant à des organes d’information indépendants et à des groupes d’opposition politique, ainsi qu’à des sites promouvant la liberté d’expression et les droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexuées, a déclaré Maria Xynou de l’OONI.

« Les données fournies par Tor Metrics montrent qu’un nombre croissant de personnes ont tenté d’utiliser des outils permettant de contourner la censure, tels que TOR, ce qui indique qu’Internet n’était pas accessible par les moyens habituels. Tout cela montre que le gouvernement a cherché à étouffer la liberté d’expression et à empêcher le libre échange d’informations. »

Cette étude a été menée afin de déterminer si une censure a été exercée sur Internet, et si oui dans quelles proportions, Amnesty et OONI ayant régulièrement été informés par des contacts en Éthiopie d’une lenteur inhabituelle des connexions à Internet et de l’impossibilité d’accéder aux sites de réseaux sociaux.

Les résultats de nos recherches montrent de façon incontestable une entrave systématique à l'accès à de nombreux sites Internet appartenant à des organes d'information indépendants et à des groupes d'opposition politique, ainsi qu'à des sites promouvant la liberté d'expression et les droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexuées.

Maria Xynou, OONI

Ces contacts ont aussi indiqué que l’accès à Internet au moyen d’appareils portables avait été totalement bloqué dans l’Amhara, à Addis-Abeba et dans l’Oromia en amont des manifestations qui ont eu lieu dans ces trois régions les 6 et 7 août. Les rapports de transparence de Google pour la période allant de juillet à novembre 2016 ont confirmé ces informations, en montrant que le trafic Internet provenant d’Éthiopie avait fortement chuté durant ces deux jours, alors qu’au moins 100 personnes ont été tuées par les forces de sécurité au cours de ces manifestations.

« Au lieu de fermer tous les espaces où les gens peuvent exprimer leurs préoccupations, les autorités devraient activement engager un dialogue et résoudre le problème sous-jacent des violations des droits humains à l’origine des manifestations qui ont eu lieu au cours de l’année écoulée. Les autorités doivent permettre aux gens d’exprimer leurs opinions même s’il s’agit de critiques visant leur politique et leurs agissements, que ce soit en ligne ou hors ligne, a déclaré Michelle Kagari.

« Nous demandons au gouvernement de s’abstenir de bloquer l’accès aux sites Internet et d’utiliser ses ressources pour prendre en considération les revendications légitimes de ses citoyens. »

Complément d’information

Les manifestations en Éthiopie ont commencé en novembre 2015, lorsque des membres de l’ethnie Oromo sont descendus dans la rue car ils craignaient que le plan directeur du gouvernement pour Addis-Abeba, qui prévoyait l’extension à l’Oromia du contrôle administratif exercé depuis la capitale, ne se traduise par la confiscation de terres.

Les manifestations se sont ensuite propagées dans l’Amhara, les manifestants demandant qu’il soit mis fin aux arrestations arbitraires et que les droits concernant l’autonomie de la région, inscrits dans la Constitution, soient respectés.

Durant la plupart des manifestations, les forces de sécurité ont fait usage d’une force excessive. Le pire épisode de violences s’est traduit par la mort de centaines de manifestants probablement, le 2 octobre à Bishoftu, lors d’un mouvement de panique.

Des groupes de manifestants ont déclaré que la cohue a été provoquée par le recours injustifié et excessif à la force par les forces de sécurité. Le gouvernement a nié cela, attribuant quant à lui ces morts à des « forces hostiles à la paix ».