Indonésie. Il faut classer la plainte pour blasphème déposée contre le gouverneur de Djakarta

La police indonésienne doit immédiatement abandonner l’enquête ouverte sur le gouverneur de Djakarta pour présomption de blasphème, a déclaré Amnesty International mercredi 16 novembre 2016.

L’appel de l’organisation survient alors que la police indonésienne vient de désigner Basuki Tjahaja Purnama, le gouverneur de Djakarta, mieux connu sous le nom d’« Ahok », comme suspect dans une affaire de blasphème après le dépôt d’une plainte par des groupes religieux. Ahok, qui est chrétien, est le premier Indonésien d’origine chinoise à être élu gouverneur de Djakarta.

« En ouvrant une enquête et en nommant Ahok comme suspect, les autorités ont montré qu’elles se soucient davantage des groupes religieux tenants d’une ligne dure que du respect et de la protection des droits fondamentaux de tous », a déclaré Rafendi Djamin, directeur pour l’Asie du Sud-Est et le Pacifique à Amnesty International.

« La police est divisée quant à l’opportunité de poursuivre les investigations, ce qui montre que la décision d’ouvrir une enquête contre Ahok est controversée. »

Lors d’une conférence de presse, mercredi 16 novembre, le chef du Service des enquêtes pénales de la direction de la police nationale, le commissaire général Ari Dono, a déclaré : « S’il existe des divergences d’opinion parmi les enquêteurs de police, la plupart estiment que l’affaire devrait être tranchée lors d’un procès public. »

L’Indonésie est fière de son image de pays tolérant. Cette affaire créerait un précédent très inquiétant, et il deviendrait alors difficile pour les autorités d’affirmer qu’elles respectent la foi de tous. Cela souligne aussi l’urgente nécessité d’abroger les lois indonésiennes sur le blasphème, qui sont souvent invoquées pour cibler des personnes dont la religion, la foi et les opinions sont minoritaires

Rafendi Djamin, directeur pour l’Asie du Sud-Est et le Pacifique à Amnesty International

Cette enquête a été annoncée après que plus de 100 000 personnes ont manifesté contre Ahok ce mois-ci, demandant à la police de l’inculper pour diffamation à l’égard de l’islam. Ces personnes ont également demandé aux électeurs de ne pas voter pour lui l’an prochain en raison de propos qu’elles lui attribuent.

Ahok a nié avoir fait des remarques diffamatoires. Il lui est actuellement interdit de quitter le pays et il encourt cinq ans de prison s’il est déclaré coupable.

La police a reconnu qu’une vidéo où apparaît Ahok est le résultat d’un montage réalisé par un internaute pour faire croire que le gouverneur critique le Coran. Cette vidéo est devenue virale après que des groupes radicaux se sont saisis de ce montage et l’ont largement diffusé sur les médias sociaux.

« L’Indonésie est fière de son image de pays tolérant. Cette affaire créerait un précédent très inquiétant, et il deviendrait alors difficile pour les autorités d’affirmer qu’elles respectent la foi de tous. Cela souligne aussi l’urgente nécessité d’abroger les lois indonésiennes sur le blasphème, qui sont souvent invoquées pour cibler des personnes dont la religion, la foi et les opinions sont minoritaires », a déclaré Rafendi Djamin.

Complément d’information

Ahok a été désigné comme suspect en vertu de l’article 156(a) du Code pénal indonésien et de l’article 28(2) de la loi n° 11/2008 sur l’information et les transactions en ligne.

Dans les faits, Ahok a déclaré : « Alors peut-être que votre subconscient vous dit que vous, mesdames et messieurs, ne pouvez pas voter pour moi, parce qu’on vous a menti, avec le verset 51 de la sourate al maidah entre autres. C’est votre droit. Si vous estimez que vous ne pouvez pas voter pour moi parce que vous craignez d’aller en enfer, parce qu’on vous a menti, pas de problème. C’est vous qui décidez. »

En vertu de la loi n° 1/PNPS/1965 sur la prévention « des outrages à la religion et/ou de la diffamation à l’égard de la religion », connue en Indonésie sous le nom de loi sur le blasphème (Undang-Undang Penodaan Agama), les personnes accusées de « diffamation » encourent jusqu’à cinq ans de prison pour avoir exercé pacifiquement leurs droits à la liberté d’expression ou à la liberté de pensée, de conscience ou de religion, qui sont protégés par le droit international relatif aux droits humains. 

Les dispositions relatives à l’« incitation » figurant dans la loi n° 11/2008 sur l’information et les transactions électroniques ont été utilisées pour ériger en infraction l’expression pacifique. Ces deux textes sont souvent invoqués afin de prendre pour cible des personnes dont la religion, les convictions et les opinions sont minoritaires, et en particulier les personnes qui adhèrent à des interprétations de l’islam qui dévient de ce qui est considéré comme la norme en Indonésie.

Des préoccupations en relation avec la liberté de religion en Indonésie se font entendre depuis longtemps, à la fois à l’intérieur du pays et dans le reste du monde. Les lois sur le blasphème telles que celles citées ci-dessus sont fondamentalement incompatibles avec les obligations de l’Indonésie au regard du droit international relatif aux droits humains. En particulier, elles violent certaines dispositions juridiquement contraignantes figurant dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel l’Indonésie est partie, qui portent sur la liberté d’expression, de pensée, de conscience et de religion, l’égalité devant la loi et le droit de ne pas subir de discrimination.

Si la loi sur le blasphème (c’est-à-dire le décret présidentiel n° 1/PNPS/1965) et l’article 156(a) du Code pénal ont été promulgués en 1965, ils ont seulement été invoqués pour poursuivre une dizaine de personnes entre 1965 et 1998, lorsque le président Suharto était au pouvoir, époque à laquelle la liberté d’expression était fortement restreinte. Entre 2005 et 2014, Amnesty International a recensé au moins 106 personnes ayant été poursuivies et condamnées en vertu des lois sur le blasphème.