Le succès de l’accord de paix historique conclu entre le gouvernement colombien et le principal mouvement de guérilla du pays, signé officiellement lundi 26 septembre à Carthagène, dépendra de la capacité des autorités colombiennes à garantir vérité, justice et réparation aux millions de victimes de ce conflit qui a duré plus de 50 ans, a déclaré Amnesty International.
L’accord de paix doit encore être ratifié par un référendum, qui doit avoir lieu le 2 octobre.
« Le 26 septembre est à juste titre une journée de célébration en Colombie. Les autorités doivent désormais faire en sorte que cet accord historique ne soit pas compromis, en veillant à ce que tous les responsables des crimes de droit international qu’ont subi des millions de personnes pendant un demi-siècle soient déférés à la justice, a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques à Amnesty International.
Le 26 septembre est à juste titre une journée de célébration en Colombie. Les autorités doivent désormais faire en sorte que cet accord historique ne soit pas compromis, en veillant à ce que tous les responsables des crimes de droit international qu'ont subi des millions de personnes pendant un demi-siècle soient déférés à la justice
Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques à Amnesty International
« Les crimes de ceux qui ont perpétré, ordonné ou bénéficié de ces violations, y compris dans le monde des affaires et de la politique, ne peuvent et ne doivent pas être effacés d’un simple trait de plume. »
Le modèle de justice transitionnelle validé en 2015 par le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) contribuera dans une certaine mesure à garantir un degré de vérité, de justice et de réparation à certaines victimes du conflit.
Cependant, plusieurs dispositions semblent ne pas respecter le droit international et les normes relatives aux droits des victimes. Les sanctions prévues contre ceux qui reconnaissent une responsabilité dans les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ne sont pas en rapport avec la gravité de ces crimes. De même, la définition de la responsabilité du supérieur hiérarchique pourrait permettre à de nombreux commandants de la guérilla et des forces de sécurité d’échapper à la justice pour les violations des droits humains commises par leurs subordonnés.
La Colombie a parcouru un long chemin depuis ses années les plus sombres. Cependant, les atteintes aux droits humains contre les populations marginalisées, particulièrement les communautés indigènes, afro-colombiennes et paysannes, ainsi que les défenseurs des droits humains, les responsables de communautés, les syndicalistes et les défenseurs des droits fonciers, ne faiblissent pas.
« La majeure partie de ces atteintes, dont beaucoup sont attribuées aux groupes paramilitaires toujours actifs malgré leur démobilisation il y 10 ans, ne se déroulent pas lors de combats et sont motivées par des intérêts économiques. Souvent, les communautés exposées sont précisément celles qui font campagne contre l’exploitation de leurs terres et territoires, via l’implantation de mines, d’infrastructures, d’industries et d’agro-industries », a déclaré Erika Guevara-Rosas.
Mettre fin aux hostilités entre les forces gouvernementales et les FARC ne suffira pas à éradiquer ces violations, sauf si des mesures efficaces sont prises pour lutter contre les groupes armés qui s’en prennent aux civils et traduire en justice ceux qui, dans les sphères de l’État, de la politique et des affaires, les soutiennent.
« Pour que cet accord de paix soit effectif et pérenne, il doit être mis en œuvre en consultation très étroite avec les personnes, les groupes et les communautés qui ont souffert de ce conflit sanglant pendant des décennies. Si ce n’est pas le cas, il ne sera guère plus que des mots sur le papier », a déclaré Erika Guevara-Rosas.
Les droits humains en Colombie en 10 chiffres
7,9 millions – victimes du conflit armé, dont près de la moitié sont des femmes (Unidad para la Atención y Reparación Integral a las Víctimas, UARIV, septembre 2016)
6,9 millions – victimes de déplacement forcé (UARIV)
267 000 – victimes d’homicides dans le cadre du conflit armé, pour la plupart des civils (UARIV)
4 392 – victimes de possibles exécutions extrajudiciaires recensées par le bureau du procureur général (Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies en Colombie, mars 2016)
46 386 – victimes de disparitions forcées (UARIV)
29 622 – victimes d’enlèvements (UARIV)
11 062 – victimes de mines anti-personnel et de munitions non explosées (UARIV)
8 022 – enfants soldats utilisés par les groupes paramilitaires et les mouvements de guérilla (UARIV)
63 – défenseurs des droits humains, dont des responsables de communautés indigènes, afro-colombiennes ou paysannes, tués en 2015 ; 52 au cours des neuf premiers mois de 2016 (Programme « Nous sommes des défenseurs »).
20 – syndicalistes victimes d’homicide en 2015 (École nationale syndicale, ENS)