Maroc. Des journalistes menacés d’emprisonnement parce qu’ils ont tenu une formation sur une application de smartphone

Le procès qui s’ouvre demain au Maroc contre sept journalistes et militants mis en cause parce qu’ils ont formé des personnes au journalisme citoyen pourrait créer un dangereux précédent en matière de restriction de la liberté d’expression, a déclaré Amnesty International.

Sept personnes comparaissent en procès à Rabat après avoir mené une formation au journalisme citoyen via l’utilisation de smartphones.

« Le procès de ces journalistes est préoccupant et aura valeur de test pour la liberté de la presse au Maroc, a déclaré Magdalena Mughrabi, directrice adjointe par intérim du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International. Les accusations selon lesquelles les journalistes et les citoyens qui s’expriment librement mettent en péril la sûreté de l’État sont extrêmement inquiétantes. »

Les accusations selon lesquelles les journalistes et les citoyens qui s’expriment librement mettent en péril la sûreté de l’État sont extrêmement inquiétantes.

Magdalena Mughrabi, directrice adjointe par intérim du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International

Selon des documents officiels du tribunal, cinq des prévenus, notamment l’historien Maati Monjib, sont accusés d’« atteintes à la sûreté intérieure de l’État » par le biais d’une « propagande » de nature à « ébranler la fidélité que les citoyens doivent à l’État et aux institutions du peuple marocain » (article 206 du Code pénal). S’ils sont déclarés coupables, ils pourraient se voir infliger une peine allant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement.

Maati Monjib est par ailleurs inculpé d’escroquerie. Les deux autres prévenus, les journalistes Maria Moukrim et Rachid Tarik, sont jugés pour avoir « reçu des fonds étrangers sans en avoir informé le secrétariat général du gouvernement ».

Amnesty International demande aux autorités d’abandonner les charges pesant contre les sept prévenus.

Ces derniers mois, le gouvernement marocain a annoncé haut et fort de grandes réformes dans le domaine de la justice, et notamment une refonte du Code pénal. Adopté par le gouvernement le 9 juin, le projet de loi de modification du Code pénal contient des dispositions positives en matière de droits humains. L’article 206, utilisé pour restreindre la liberté d’expression, demeure toutefois inchangé, ce qui met en évidence les profondes défaillances qui persistent dans la loi.

« Les autorités marocaines doivent abandonner immédiatement les charges qui pèsent de manière intolérable contre les sept journalistes et militants, a déclaré Magdalena Mughrabi. Elles doivent abroger l’article 206, ou le modifier de telle manière qu’il ne puisse plus être utilisé pour restreindre de manière arbitraire la liberté d’expression. »

Mise au point par Free Press Unlimited (FPU), le Guardian Project et Small World News, StoryMaker est une application sécurisée qui permet à des journalistes citoyens de publier des contenus de manière anonyme s’ils le souhaitent. FPU a récemment fait savoir qu’elle n’avait reçu aucune réponse à sa demande de rendez-vous avec les autorités marocaines – il s’agissait de leur expliquer le travail qu’elle mène et de leur donner des précisions sur l’application StoryMaker. FPU demande aux autorités marocaines d’abandonner les poursuites contre les sept prévenus et de ne pas intenter de procès à la liberté d’expression.

Complément d’information

Les prévenus dans ce procès sont :

Maati Monjib, 54 ans, historien et fondateur du Centre Ibn Rochd d’études et de communication, président de l’ONG Freedom Now (qu’il a créée avec Ali Anouzla) et membre de l’Association marocaine pour le journalisme d’investigation (AMJI). S’exprimant régulièrement au sujet de la politique marocaine dans les médias internationaux, au sein de clubs de réflexion et sur la scène universitaire, il est une personnalité importante parmi les hommes et les femmes visés par ces poursuites.

Abdessamad Ait Aicha (connu sous le nom de Samad Iach), 31 ans, journaliste, ancien employé du Centre Ibn Rochd d’études et de communication, et membre de l’AMJI.

Hicham Mansouri, 35 ans, journaliste et ancien employé de l’AMJI, récemment remis en liberté après avoir purgé une peine de 10 mois de prison. Amnesty International craint que sa condamnation n’ait été motivée par des considérations politiques.

Hicham Khreibchi (connu sous le nom d’Hicham Al Miraat), 39 ans, médecin, fondateur et ancien président de l’Association des droits numériques (ADN), et ancien responsable des actions de plaidoyer à Global Voices.

Mohamed Sber, 44 ans, président de l’Association marocaine pour l’éducation de la jeunesse (AMEJ).

Maria Moukrim, 39 ans, journaliste, ancienne présidente de l’AMJI.

Rachid Tarik, 62 ans, journaliste (à la retraite), président de l’AMJI.  

Plusieurs accusés sont par ailleurs d’anciens sympathisants ou membres du mouvement du 20-Février, une mouvance pacifique pro-démocratie et anti-corruption ayant émergé en 2011 au Maroc dans le contexte des soulèvements populaires dans la région.