Burkina Faso. Les mariages forcés et précoces mettent des milliers de jeunes filles en danger

Les mariages précoces et forcés volent leur enfance à des milliers de filles dont certaines nont pas plus de 13 ans, tandis que le coût de la contraception et dautres obstacles les empêchent de choisir si et quand elles souhaitent avoir des enfants, écrit Amnesty International dans un rapport rendu public mardi 26 avril.

Ce document, intitulé Contraintes et privées de droits : mariages forcés et barrières à la contraception au Burkina Faso, dénonce la situation de nombreuses femmes et jeunes filles qui sont menacées ou battues lorsquelles tentent de faire leurs propres choix concernant le fait de se marier ou davoir des enfants.

Dans certaines zones du Burkina Faso, plus de la moitié des filles sont mariées avant l’âge de 18 ans. Cela doit cesser. Ni la famille ni la société ne devraient pouvoir prendre de décisions concernant le corps d’une jeune fille, ni la priver de la possibilité de réaliser ses propres rêves pour le futur.

Alioune Tine, directeur régional pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale à Amnesty International

« Bien trop de femmes et de jeunes filles au Burkina Faso nont aucun contrôle sur leur vie : elles sont privées du droit de choisir si, quand et avec qui elles se marient et si elles souhaitent avoir des enfants », a déclaré Alioune Tine, directeur régional pour lAfrique de lOuest et lAfrique centrale à Amnesty International.

« Une fois mariées, elles sont censées avoir des enfants le plus tôt possible. Les grossesses précoces augmentent fortement le risque de mortalité ou de lésions qui changent le cours dune vie. Très peu ont la chance daller à lécole ou de terminer leurs études.

« Dans certaines zones du Burkina Faso, plus de la moitié des filles sont mariées avant lâge de 18 ans. Cela doit cesser. Ni la famille ni la société ne devraient pouvoir prendre de décisions concernant le corps dune jeune fille, ni la priver de la possibilité de réaliser ses propres rêves pour le futur. »

Des chercheurs dAmnesty International ont parlé avec 379 femmes et filles en 2014 et 2015, recensant les nombreux obstacles les empêchant de bénéficier de services de contraception. Ils se sont entretenus avec 35 victimes de mariage précoce et forcé étant parvenues à séchapper. En vertu du droit du Burkina Faso, une jeune fille doit être âgée dau moins 17 ans pour pouvoir se marier, et pourtant plus de la moitié (51,3 %) des filles âgées de 15 à 17 ans dans la région du Sahel (nord du pays) sont déjà mariées.

Mariage précoce et forcé

Au Burkina Faso, des familles marient souvent leurs filles afin de renforcer des alliances familiales, dacquérir un statut social ou en échange de biens, dargent et de services. Le rapport évoque aussi la pratique, dans certaines zones, du « Pog-lenga » ou « femme bonus », selon laquelle la nouvelle épouse peut aussi amener sa nièce dans la famille de son mari comme une jeune fille en plus à donner en mariage.

Je ne voulais pas épouser cet homme. Ma tante m’a dit : «Si tu t’enfuis, je te détruirai».

Céline, une adolescente de 15 ans ayant fui le jour de son mariage

Céline, une adolescente de 15 ans ayant fui le jour de son mariage, a expliqué à Amnesty International quelle avait été forcée à épouser un parent du mari de sa tante :

« Je ne voulais pas épouser cet homme. Ma tante ma dit : “Si tu tenfuis, je te détruirai”. Je me suis échappée du domicile de mon mari, mais quand je suis arrivée au village, ma famille ma dit que je ne pouvais pas vivre avec eux. »

Les filles qui résistent à un mariage forcé subissent une pression énorme de la part de leur famille et de la société en général, et notamment des menaces de violence. Maria, 13 ans, a déclaré :

« Mon père ma mariée à un homme de 70 ans qui a déjà cinq épouses. Mon père ma dit que si je ne rejoignais pas mon mari, il me tuerait. » Maria a fui, marché pendant trois jours et parcouru près de 170 km pour trouver refuge dans un centre daccueil pour jeunes filles. 

Aucun choix en matière de contraception

Presque toutes les femmes et jeunes filles interviewées par Amnesty International ont dit avoir été insultées ou agressées physiquement lorsquelles ont soulevé la question de la contraception avec leur conjoint. Elles ont ajouté quelles sont obligées de demander de largent à leur conjoint pour acheter des produits contraceptifs, compte tenu du fait quelles ne contrôlent pas les ressources financières du ménage.

Bintou, 25 ans, a déclaré à Amnesty International :

« Juste avant de tomber enceinte de mon dernier enfant, jai voulu profiter de la semaine de gratuité de la contraception, mais je suis arrivée trop tard et elle était déjà terminée. Jai demandé de largent à mon mari. Il sest fâché. Il sy opposait systématiquement et chez nous, quand le mari parle, les femmes doivent écouter et obéir. Déjà en temps normal quand on demande de largent pour les courses, il en vient aux mains. Vous imaginez alors quand cest pour des produits contraceptifs. »

Malgré les efforts du gouvernement pour réduire le coût des contraceptifs, la plupart des femmes et des jeunes filles ont déclaré quelles navaient pas les moyens de sen procurer.

Selon les chiffres officiels, moins de 16 % des femmes ont recours à une méthode moderne de contraception, ce qui contribue fortement à la possibilité de grossesses non désirées et parfois à des grossesses à haut risque. Des agences des Nations unies ont souligné le fait que lutilisation de contraceptifs pourrait grandement réduire la mortalité maternelle. 

Près de 30 % des filles et des jeunes femmes de 15 à 19 ans en milieu rural sont enceintes ou ont déjà eu leur premier enfant, malgré le fait quelles sont deux fois plus susceptibles de mourir durant la grossesse ou laccouchement que les filles de plus de 20 ans.

Une réforme requise en urgence

En vertu du droit du Burkina Faso, le mariage précoce et forcé est déjà interdit, mais dune manière inadéquate et discriminatoire : lâge minimum légal pour le mariage est de 21 ans pour les hommes et 17 ans pour les femmes. Cette loi sapplique uniquement aux mariages enregistrés par lÉtat – une faible proportion des mariages ayant lieu -, pas aux mariages traditionnels et religieux.

Le gouvernement sest engagé à changer la loi, mais il doit entreprendre ces réformes de toute urgence afin de veiller à ce que tous les mariages soient enregistrés et vérifiés, et à ce que 18 ans soit lâge légal pour tous.

Le gouvernement a également levé des obstacles financiers auxquels les femmes étaient confrontées dans le domaine de laccès aux soins durant leur grossesse. Amnesty International lui demande de franchir létape suivante, et de mettre gratuitement à disposition au moins certains produits contraceptifs que les femmes peuvent utiliser en toute sécurité et discrétion.

« Les taux de mariages précoces et forcés au Burkina Faso sont parmi les plus élevés au monde, et le pays a lun des taux les plus bas de recours aux contraceptifs », a déclaré Alioune Tine.

« Il est crucial que le gouvernement respecte le droit quont les jeunes filles de prendre leurs propres décisions concernant leur corps, leur vie et leur futur. Les engagements récents en faveur de lélimination du mariage des enfants sont encourageants, mais tant que ces promesses ne seront pas une réalité quotidienne, des jeunes filles en paieront le prix. »