Les forces de sécurité ont tué de façon systématique des dizaines de personnes, notamment avec des exécutions extrajudiciaires, pendant la journée la plus sanglante de la crise qui va s’aggravant au Burundi, a établi Amnesty International.
Dans un rapport intitulé « Mes enfants ont peur. » Aggravation de la crise des droits humains au Burundi, Amnesty International expose les informations qu’elle a réunies sur les exécutions extrajudiciaires, les arrestations arbitraires et les pillages perpétrés par des policiers à Bujumbura le 11 décembre 2015.
« Lors de la journée qui a été la plus meurtrière depuis le début des troubles politiques actuels, les rues de Bujumbura ont été jonchées de cadavres de personnes dont beaucoup ont été tuées d’une balle dans la tête. Au moins un des corps retrouvés était ligoté, a déclaré Muthoni Wanyeki, directrice régionale pour l’Afrique de l’Est, la Corne de l’Afrique et les Grands Lacs à Amnesty International.
Les rues de Bujumbura ont été jonchées de cadavres de personnes dont beaucoup ont été tuées d'une balle dans la tête. Au moins un des corps retrouvés était ligoté.
Muthoni Wanyeki, directrice régionale pour l'Afrique de l'Est, la Corne de l'Afrique et les Grands Lacs à Amnesty International
« Les méthodes utilisées ce jour-là par les forces de sécurité ont représenté une escalade dramatique en termes d’ampleur et d’intensité par rapport aux précédentes opérations. Des hommes ont été traînés hors de chez eux et tués à bout portant, et d’autres ont été abattus au moment même où la porte s’ouvrait. »
La très nette intensification des crimes et des violences ne laisse présager rien de bon pour l’avenir du Burundi.
Les méthodes utilisées ce jour-là par les forces de sécurité ont représenté une escalade dramatique en termes d'ampleur et d'intensité par rapport aux précédentes opérations.
Muthoni Wanyeki
Le rapport d’Amnesty International donne un aperçu des événements qui se sont produits le 11 décembre. En réaction aux attaques armées menées contre trois camps militaires à Bujumbura, la police a lancé des opérations de ratissage dans un certain nombre de quartiers considérés comme fiefs de l’opposition. Au cours de certaines de ces opérations, des policiers ont essuyé des coups de feu tirés par des jeunes armés. Ils ont répliqué en se rendant de maison en maison et en pillant, en procédant à des arrestations arbitraires et en tuant de très nombreuses personnes.
Des habitants du quartier de Nyakabiga ont décrit à Amnesty International comment les corps d’au moins 21 hommes ont été retrouvés dans la rue, chez eux et dans des égouts à ciel ouvert dans ce quartier. Les chercheurs ont constaté qu’il y avait de grandes flaques de sang là où certaines victimes avaient été tuées.
Parmi elles se trouvaient un homme handicapé, un adolescent qui vendait des œufs, une personne employée de maison, un enseignant et un homme qui vendait des téléphones portables. Un certain nombre de victimes étaient des enfants, parmi lesquels un garçon de 15 ans tué d’une balle dans la tête alors qu’il courait pour aller se mettre à l’abri dans une dépendance.
Les corps de la plupart des tués ont été ramassés par les autorités et emportés dans un lieu qui n’a pas été révélé.
Le lendemain, le porte-parole de l’armée a annoncé que 79 « ennemis » avaient été tués, ainsi que de quatre soldats et quatre policiers. Le fait de qualifier les personnes tuées d’« ennemis » donne l’impression qu’il s’agissait de combattants de l’opposition alors que, de toute évidence, ce n’était pas le cas pour une grande partie d’entre elles. Cependant, certaines avaient peut-être participé à l’attaque des sites militaires ou affronté les forces de sécurité dans des quartiers résidentiels.
Les autorités burundaises disposent d’un large éventail d’instruments juridiques pour faire face à la situation d’insécurité actuelle. Elles doivent de toute urgence canaliser les forces de sécurité afin que ces dernières cessent de recourir aux pratiques abusives dont elles sont devenues coutumières. L’enquête annoncée par le procureur général le 17 décembre représente une première étape satisfaisante à condition que l’équipe chargée de mener les investigations puisse faire son travail de façon réellement indépendante, impartiale et exhaustive.
« Ces meurtres témoignent de la terrible aggravation de la crise des droits humains au Burundi et montrent qu’il est nécessaire que la région et le reste de la communauté internationale réagissent énergiquement. Il s’agit notamment de soutenir la mise en place urgente d’une mission d’experts indépendants chargés d’enquêter sans délai sur les crimes de droit international et les violations des droits humains, a déclaré Muthoni Wanyeki.
Ces meurtres témoignent de l'aggravation de la crise des droits humains au Burundi et montrent qu'il est nécessaire que la région et le reste de la communauté internationale réagissent énergiquement.
Muthoni Wanyeki
« Le gouvernement doit prendre d’urgence les mesures nécessaires pour mettre un terme à effusion de sang qui ne cesse d’empirer, et pour protéger les droits de tous les Burundais. Il faut qu’une enquête impartiale soit menée d’urgence sur les actes commis par la police le 11 décembre et sur d’autres agissements. Toutes les personnes soupçonnées d’être pénalement responsables de ces crimes odieux doivent répondre de leurs actes devant une juridiction civile de droit commun. »
Complément d’information
Ce rapport a été établi à l’issued’une mission de recherche de deux semaines dans le pays.
La plupart des personnes qui ont été tuées le 11 décembre habitaient dans les quartiers de Musaga, Mutakura, Nyakabiga, Ngagara, Cibitoke et Jabe, dont la population est majoritairement composée de membres de la minorité tutsi. Ces quartiers sont considérés par les autorités comme des fiefs de l’opposition, car c’est là qu’ont débuté en avril les mouvements de protestation contre la décision du président Nkurunziza de briguer un troisième mandat.
Les événements du 11 décembre ont fait suite à plusieurs mois de très graves violences à Bujumbura. La veille des attaques, le 10 décembre, les Nations unies ont indiqué que plus de 300 personnes avaient été tuées depuis la fin du mois d’avril. Les disparitions forcées et les arrestations arbitraires fréquentes, ainsi que la pratique apparemment systématique de l’extorsion par les forces de sécurité et les Imbonerakure – un groupe de jeunes gens armés s’alignant sur le parti au pouvoir – ont également contribué à la rapide détérioration de la situation des droits humains dans le pays.