Myanmar. Les personnes qui ont manifesté contre la mine de Letpadaung n’ont toujours pas obtenu justice

Le gouvernement du Myanmar est accusé d’accorder plus d’importance aux profits qu’aux droits humains en ce qui concerne la mine de cuivre de Letpadaung, au vu du maintien en détention de militants et de son refus persistant d’enquêter sur l’utilisation de phosphore blanc contre des manifestants pacifiques, a déclaré Amnesty International le 27 novembre.

Il y a trois ans, le 29 novembre 2012, les forces de sécurité ont utilisé du phosphore blanc, une substance explosive extrêmement toxique, lors d’un assaut lancé délibérément contre des villageois et des moines qui manifestaient contre les répercussions négatives de la mine de Letpadaung, qui fait partie de la mine de cuivre de Monywa dans la division de Sagaing, dans le nord-ouest du Myanmar. Lors de cette attaque, entre 110 et 150 personnes ont été blessées ; certaines ont été très gravement brûlées et elles resteront handicapées à vie.

Les autorités n’ont toujours pas enquêté sur les agissements de la police ou de la compagnie minière Myanmar Wanbao (filiale de la compagnie minière chinoise Wanbao) – l’assaut a en partie été mené à partir de son site.

« La police, qui s’est abstenue de mener une enquête indépendante, a même refusé d’enregistrer une première plainte portant sur l’attaque, et les victimes se sont heurtées à de multiples obstacles quand elles ont voulu obtenir justice. En s’abstenant d’amener les responsables des violences qui ont été perpétrées à répondre de leurs actes, le gouvernement continue d’enfreindre de façon flagrante le droit international et il permet aux forces de sécurité de violer les droits humains en toute impunité, a déclaré Meghna Abraham, directrice du programme Thématiques mondiales à Amnesty International.

« La mine de cuivre de Letpadaung en est venue à représenter tout ce qui ne va pas dans l’attitude du gouvernement, qui fait passer le profit et les investissements étrangers avant les droits humains. Lorsqu’il aura pris les commandes du pays, le nouveau gouvernement devra mettre en place des garanties pour protéger les personnes contre les atteintes aux droits humains commises par les entreprises, et amener les hauts responsables et les sociétés à répondre de leurs actes. »

La mine de cuivre de Letpadaung en est venue à représenter tout ce qui ne va pas dans l'attitude du gouvernement, qui fait passer le profit et les investissements étrangers avant les droits humains.

Meghna Abraham, directrice du programme Thématiques mondiales à Amnesty International

Les abus commis dans le cadre des activités d’extraction minière n’ont toujours pas été sanctionnés

Les villageois et les moines de Monywa, dans le nord-ouest du Myanmar, ont mené plusieurs manifestations pour dénoncer la pollution, les expulsions forcées infligées à plusieurs dizaines de milliers de personnes et les violences policières liées aux activités d’extraction de cuivre. Des manifestations de grande ampleur ont notamment eu lieu en novembre 2012 et décembre 2014. Les autorités n’ont toujours pas sanctionné les atteintes aux droits humains qui ont été commises et elles ont même bloqué les tentatives d’obtenir justice.

En mars 2015, la police de Monywa a refusé d’enregistrer un procès-verbal introductif présenté par Tikha Nyana, un moine qui a été très gravement blessé lors de l’assaut. Le responsable du poste de police a dit qu’il fallait obtenir l’autorisation du bureau du président pour procéder à cet enregistrement. Les initiatives prises par les victimes, soutenues par Justice Trust, une organisation internationale d’assistance juridique à but non lucratif, en vue d’engager des poursuites au civil contre le ministre de l’Intérieur et le chef de la police se sont également heurtées à des obstacles. Des obligations procédurales fondamentales telles que l’enregistrement notarial des documents ont été bloquées parce que les notaires et le personnel des tribunaux avaient peur en raison du caractère « politiquement sensible » de cette affaire.

De nouvelles expulsions risquent d’avoir lieu

Les villageois qui vivent dans ou à proximité de la zone qui a été choisie pour des activités d’extraction minière mais dont Myanmar Wanbao, qui exploite la mine, ne s’est pas encore emparée continuent de vivre sous la menace d’une expulsion forcée. Myanmar Wanbao a reçu le feu vert pour l’installation de la mine de Letpadaung, alors que les graves risques encourus par les habitants de cette zone – tels que ceux liés à la gestion des déchets produits par les activités d’extraction minière –  n’ont pas été dument pris en compte dans l’étude portant sur l’impact environnemental et social commandée par la compagnie pour ce projet d’extraction minière.

Le gouvernement n’a pas non plus pris les mesures nécessaires pour répondre aux préoccupations des habitants de ce secteur au sujet de la pollution causée par les opérations d’extraction minière et par les activités de l’usine d’acide sulfurique gérée par un conglomérat détenu par l’armée, l’Union of Myanmar Economic Holdings Limited, et située à 200 mètres environ du village de Kankone.

Les autorités myanmar continuent de recourir à des lois draconiennes contre manifestants et les militants qui s’opposent à la mine de Letpadaung. Le 17 octobre 2015, quelques semaines seulement avant les élections législatives, la police a arrêté Myat Nu Khaing, candidate aux élections, en raison de sa participation à une manifestation pacifique organisée devant l’ambassade de Chine en décembre 2014. Elle avait demandé l’ouverture d’une enquête sur l’utilisation par la police d’une force excessive contre des personnes manifestant contre la mine de Letpadaung. Elle a été inculpée d’une série d’infractions au titre du Code pénal et encourt une peine de plus de neuf ans d’emprisonnement.

Par ailleurs, Naw Ohn Hla et cinq autres militants ont été jetés en prison pour des accusations motivées par des considérations politiques, notamment pour « émeute » et incitation à commettre des infractions «  portant atteinte àl’État ou à l’ordre public », en raison de leur participation à la manifestation du mois de décembre. Les autorités myanmar continuent d’inculper des villageois qui ont tenté de protester.

Lorsqu'il aura pris les commandes du pays, le nouveau gouvernement devra mettre en place des garanties pour protéger les personnes contre les atteintes aux droits humains commises par les entreprises, et amener les hauts responsables et les sociétés à répondre de leurs actes.

Meghna Abraham

Complément d’information : vers une poursuite des activités ?

Amnesty International a rassemblé des informations sur l’utilisation par la police de phosphore blanc, entre autres graves atteintes aux droits humains et activités illégales liées à la mine de cuivre de Monywa, dans un rapport rendu public en février 2015.

La mine de Monywa englobe les mines de cuivre de Sabetaung et Kyisintaung (S&K) et celle de Letpadaung. La mine S&K est exploitée depuis les années 1980. Celle de Letpadaung est en cours d’aménagement. Ces deux mines sont exploitées par des filiales de l’entreprise Wanbao Mining Ltd, détenue par la China North Industries Corporation (NORINCO).