Kenya. Les autorités doivent tenir leurs promesses et indemniser les victimes d’expulsions forcées

  •    L’agence routière « regrette » d’avoir procédé à des expulsions illégales
  •    Des donateurs internationaux ont bafoué leurs propres lignes directrices
  •    Une loi spécifique interdisant les expulsions forcées est requise

Dans un revirement bienvenu, l’agence routière du Kenya (KENHA) a admis qu’elle avait eu tort d’expulser de force plus de cent personnes hors d’un quartier informel, et a promis des réparations complètes à toutes les personnes affectées, a déclaré Amnesty International à la veille de la Journée mondiale de l’habitat.

L’agence routière a reconnu ses torts avant la publication, lundi 5 octobre, d’un rapport très critique par Amnesty International.

Ce document, intituléDriven out for development: Forced evictions in Mombasa, décrit l’impact d’un projet d’expansion routière sur les quartiers informels de Jomvu et de Bangladesh. Il met par ailleurs en évidence les manquements de trois des organismes finançant le projet – la Banque africaine de Développement, la Banque européenne d’investissement et la Banque allemande de développement (KfW) – à leurs devoirs.

« Le fait que les autorités aient reconnu que les démolitions de Jomvu constituaient des expulsions forcées est une victoire de taille pour cette population, mais elle n’aura de sens que si KENHA propose rapidement des recours utiles à ceux qui ont perdu leur logement et leurs moyens de subsistance », a déclaré Justus Nyangaya, directeur d’Amnesty International Kenya.

Le fait que les autorités aient reconnu que les démolitions de Jomvu constituaient des expulsions forcées est une victoire de taille pour cette population, mais elle n’aura de sens que si KENHA propose rapidement des recours utiles à ceux qui ont perdu leur logement et leurs moyens de subsistance.

Justus Nyangaya, directeur d’Amnesty International Kenya

« Tandis que le projet d’autoroute avance, il faut tirer de tout cela quelques leçons cruciales. Les populations affectées ne doivent pas être victimes de nouvelles violations. KENHA ne peut faire fi des garanties visant à prévenir les expulsions forcées, et les bailleurs de fonds internationaux doivent veiller au respect des pratiques de diligence raisonnable pour les droits humains. »

Le rapport d’Amnesty International porte en particulier sur une expulsion forcée menée par KENHA le 17 mai 2015.

« Ils nous ont anéantis – ils ont détruit toutes nos possessions »

Vers 23 heures dans la nuit du 17 mai, des bulldozers et des policiers sont arrivés à Jomvu tandis que la plupart des résidents dormaient, et ont commencé à démolir des dizaines de maisons et de structures commerciales. Les résidents n’avaient pas véritablement été consultés ni reçu de préavis suffisants, et rares sont ceux qui ont eu le temps de récupérer des affaires avant le début des opérations de démolition.

Saidi Juma, 38 ans, a expliqué que le bulldozer a détruit son logement et son épicerie. « Une trentaine de maisons ont été démolies. Cela a pris trois ou quatre heures. Nous sommes arrivés à sauver les uniformes scolaires, des livres, etc. Mais ma fille de six ans a été blessée dans l’agitation – elle s’est entaillé la jambe sur des tôles qui avaient été démontées. »

Isaac Masungo, un jeune homme de 23 ans présentant des handicaps moteurs, a été réveillé par le bruit des démolitions. Incapable de courir se mettre en sécurité, il se trouvait encore à son domicile lorsque le bulldozer a démoli les pièces se trouvant à l’avant du bâtiment où il vivait. S’il est arrivé à sortir avec l’aide de voisins, il n’a pas été en mesure de prendre ses affaires.  

Les démolitions se sont arrêtées à 4 heures du matin. Alors que le bulldozer s’éloignait, il a été dit aux résidents de détruire leur propres logements et commerces, car les démolitions reprendraient le lendemain soir. Dans l’espoir de préserver certains matériaux de construction afin de les réutiliser, de nombreuses personnes ont démoli leurs propres maisons et commerces.

L’expulsion forcée à Jomvu a créé un climat de peur et d’incertitude dans le quartier informel voisin de Bangladesh. KENHA a informé les résidents sur place qu’il seront expulsés mais ils ne savent pas où, ni même si ils seront relogés.

Il est crucial que KENHA tienne ses promesses et indemnise toutes les victimes de cette expulsion forcée, y compris celles qui ont détruit leur propre logement par crainte qu’il ne soit démoli par un bulldozer.

Justus Nyangaya

Bien qu’Amnesty International ait porté ces expulsions forcées à la connaissance de la Banque européenne d’investissement, à une époque où KENHA n’avait pris aucune mesure pour proposer des recours utiles aux victimes, le conseil de la banque a approuvé le financement du projet.

Des torts avoués et un engagement à les réparer

Malgré son obstination initiale à refuser d’assumer ses responsabilités pour les démolitions, KENHA a reconnu avoir procédé à des expulsions forcées près de trois mois après les faits, lors d’une réunion publique à Mombasa.

À l’occasion d’une consultation avec les financiers du projet, le 17 septembre, KENHA a accepté d’indemniser les personnes ayant été expulsées de force à Jomvu, et a également promis de s’abstenir d’effectuer d’autres expulsions forcées dans la zone visée par le projet. L’agence routière s’est en outre engagée à faire amende honorable pour cette expulsion forcée dans une lettre adressée à Amnesty International et datée du 28 septembre.

Les financiers du projet ont déclaré à Amnesty International que les fonds ne seraient transférés qu’une fois que KENHA aura fourni des recours utiles aux résidents de Jomvu, et mis à jour son plan de relogement pour l’ensemble du projet, conformément aux lignes directrices des banques.

« Il est crucial que KENHA tienne ses promesses et indemnise toutes les victimes de cette expulsion forcée, y compris celles qui ont détruit leur propre logement par crainte qu’il ne soit démoli par un bulldozer », a déclaré Justus Nyangaya.

« Les expulsions forcées sont illégales, et nous espérons que celle-ci établira un précédent important. Les autorités kenyanes doivent en tirer des enseignements et faire le nécessaire pour reléguer au passé les expulsions forcées, qui sont si communes au Kenya. Le cas présent montre comment des populations qui s’organisent et agissent de manière collective peuvent remettre les injustices en question et revendiquer leurs droits. »

Complément d’information

Le rapport s’appuie sur des recherches menées par Amnesty International à Mombasa en juin, juillet et août 2015. Les chercheurs se sont rendus dans deux quartiers informels et ont recueilli les propos de 110 hommes et femmes affectés par le projet d’expansion de l’autoroute.Ce doublement de la voie reliant Mombasa à Mariakani implique d’élargir la route existante de 60 mètres, ce qui aura un impact sur des logements, commerces et terrains agricoles tout au long de ce tronçon de 41,7 km. La mise en œuvre de ce projet se déroulera sur cinq ans – de 2015 à 2020.

KENHA a adressé un préavis d’expulsion aux résidents de Jomvu en janvier, et a peint de larges croix jaunes sur les logements et commerces voués à la démolition. L’agence n’a cependant pas pris de dispositions pour consulter les personnes concernées, leur donner des informations sur les délais, le déroulement de l’expulsion ni sur les mesures d’indemnisation ou solutions de relogement à leur disposition.

Lors d’une réunion avec Amnesty International le 23 septembre, des représentants de KENHA ont exprimé des regrets pour les expulsions forcées de Jomvu, et ont expliqué qu’ils comptaient, dans une optique de réparation, recenser toutes les personnes touchées, y compris celles qui ont démoli leurs propres biens, et associer la Commission nationale foncière à la préparation d’un plan de relogement spécifique pour remédier aux expulsions forcées.