Le nouveau rapport fournit des informations sur :
- les attaques visant des civils, des écoles, des hôpitaux et des organisations locales de secours ;
- les bombardements aériens aveugles et les offensives au sol menées sans discrimination ;
- l’utilisation d’armes interdites, comme les bombes à sous-munitions.
Les forces gouvernementales soudanaises ont commis des crimes de guerre contre la population civile au Kordofan du Sud, confirme définitivement Amnesty International pour la première fois dans un rapport rendu public mardi 4 août.
Intitulé Don’t we matter? Four years of unrelenting attacks against civils of Soudan South Kordofan State, le rapport traite du coût humain du conflit qui a causé la mort de centaines de civils et déclenché une grave crise humanitaire. Il démontre que les bombardements aériens aveugles et les offensives au sol menées sans discrimination, ainsi que les attaques délibérées contre des écoles et des hôpitaux, constituent des crimes de guerre.
Depuis plusieurs années, une pluie de bombes et d’obus lancés par les forces armées soudanaises s’abat sur la population civile, détruisant des vies et des moyens d’existence et entraînant une grave crise humanitaire.
Michelle Kagari, directrice régionale adjointe d’Amnesty International
« Depuis plusieurs années, une pluie de bombes et d’obus lancés par les forces armées soudanaises s’abat sur la population civile, détruisant des vies et des moyens d’existence et entraînant une grave crise humanitaire, a déclaré Michelle Kagari, directrice régionale adjointe d’Amnesty International.
« Prendre pour cible des zones et infrastructures civiles qui ne représentent pas des objectifs militaires légitimes, en utilisant notamment des armes interdites sans discrimination, constitue un crime de guerre. Il est temps que la communauté internationale cesse de détourner le regard et prenne des mesures urgentes afin de mettre un terme au conflit qui sévit au Kordofan du Sud. »
Éléments concluants attestant des crimes de guerre
La mission de recherche effectuée par Amnesty International dans le pays a permis de mettre en évidence que les forces armées soudanaises avaient visé des zones et infrastructures civiles qui ne représentaient pas des objectifs militaires légitimes.
L’utilisation d’armes interdites – comme les bombes à sous-munitions – larguées par avion a fait des victimes civiles. Amnesty International a découvert des sous-munitions sur quatre sites répartis à deux endroits, dans les comtés de Dalami et d’Umm Dorain, et a recueilli des témoignages indiquant que des enfants avaient été tués en jouant avec des engins n’ayant pas explosé.
Entre janvier et avril 2015, l’armée de l’air soudanaise a largué plus de 374 bombes à 60 endroits dans les parties du Kordofan du Sud contrôlées par l’Armée populaire de libération du Soudan-Nord (APLS-N). Les bombardements aériens et le pilonnage au sol qui se sont déroulés pendant cette période ont coûté la vie à au moins 35 civils, blessé 70 personnes et endommagé des bâtiments civils, notamment des écoles.
Depuis le début du conflit en 2011, 26 installations médicales (hôpitaux, centres de santé et unités de soins) ont été bombardées dans les zones contrôlées par l’APLS-N alors que certaines étaient facilement identifiables grâce aux drapeaux et aux croix placées sur le toit. Seuls deux des quatre hôpitaux se trouvant dans la zone sont encore ouverts.
Alfadil Khalifa Mohamed a raconté à des délégués d’Amnesty que, le 6 février, un Antonov avait bombardé un camp du Programme de développement international (IDP) où [sa famille et lui] avaient trouvé refuge. Sa femme enceinte et l’enfant à naître ont été tués. « La bombe est tombée à une dizaine de mètres seulement de là où elle se tenait. Je me suis précipité mais elle était déjà morte. Notre bébé était toujours en vie mais il n’a pas pu recevoir les soins médicaux qui auraient permis de le sauver. »
À cause des bombardements, beaucoup ont peur de travailler dans leurs champs, ce qui a des conséquences désastreuses sur la sécurité alimentaire. L’intensification des bombardements au moment des récoltes et pendant la saison de plantation porte à croire qu’il s’agit là d’une stratégie délibérée des autorités soudanaises visant à empêcher la population de cultiver.
Salha, une personne déplacée qui vit actuellement sur un site géré par l’IDP à Kimli, a expliqué aux chercheurs d’Amnesty : « Nous n’avons rien planté depuis deux ans. Nous n’avons pas pu parce que nous avons été obligés de fuir. Nous avons trop peur de travailler dans nos champs. »
Crise humanitaire
Les autorités soudanaises n’ont pas autorisé le déploiement d’une aide humanitaire dans les zones contrôlées par l’APLS-N, ce qui ne fait qu’aggraver la crise humanitaire qui se prolonge et empêche la population d’avoir accès à des vaccins et à des médicaments de base. De ce fait, les enfants ne peuvent pas bénéficier de la campagne d’immunisation contre la rougeole menée actuellement par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) au Soudan. Entre mai 2014 et janvier 2015, une épidémie de rougeole a ainsi tué au moins 30 enfants rien que dans un hôpital.
Environ un tiers de la population du Kordofan du Sud, qui s’élève approximativement à 1,4 million de personnes, a été déplacé et vit dans des conditions précaires et dangereuses. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, près de 100 000 personnes ont fui vers des camps de réfugiés au Soudan du Sud voisin, lui-même ravagé par un conflit interne.
« Nous alertons le monde entier […] mais rien ne bouge. »
La poursuite du conflit, qui dure depuis cinq ans, et l’escalade des attaques observée ces derniers mois ne suscitent pratiquement aucune réaction aux niveaux régional et international. Le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) n’a émis aucune résolution concernant le Kordofan du Sud depuis 2012. En outre, ses résolutions et déclarations récentes ne permettent pas de s’attaquer aux problèmes rencontrés dans la région. Les efforts de médiation de l’Union africaine (UA) entre l’État soudanais et le Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord (MPLS-N), facilités par le Groupe de mise en œuvre de haut niveau, ont été suspendus en décembre 2014.
Cela fait quatre ans que nous alertons le monde entier sur ce qui nous arrive. Les faits sont connus. Mais rien ne bouge.
Alfadil Khalifa Mohamed, un enseignant local
Alfadil Khalifa Mohamed a indiqué à Amnesty International : « Cela fait quatre ans que nous alertons le monde entier sur ce qui nous arrive. Les faits sont connus. Mais rien ne bouge. »
Amnesty International appelle le Conseil de sécurité de l’ONU et le Conseil de paix et de sécurité de l’UA à faire pression sur l’État soudanais et le MPLS-N afin qu’ils permettent aux organisations humanitaires d’accéder librement au Kordofan du Sud.
« Le conflit est dans une impasse délétère et les organisations internationales doivent se réengager de toute urgence afin de mettre fin aux graves violations des droits humains et aux crimes de guerre et de veiller à ce que les auteurs présumés de ces actes soient traduits en justice, a déclaré Michelle Kagari.
« Des crimes de guerre ne peuvent être commis en toute impunité et la communauté internationale ne peut plus tourner le dos à une population en proie à une crise humanitaire prolongée. »
Complément d’information
Le rapport rendu public le 4 août 2015 est le fruit d’une mission de terrain effectuée par des chercheurs d’Amnesty International en mai 2015.
Selon un principe fondamental du droit international humanitaire, les parties à un conflit doivent toujours faire la distinction entre combattants et civils. Attaquer délibérément et directement des civils ou des biens de caractère civil constitue un crime de guerre.