L’Indonésie progresse-t-elle vers la justice ?

Par Richard Bennett, directeur du programme Asie-Pacifique d’Amnesty International

Si l’Indonésie a beaucoup avancé sur le terrain des droits humains depuis les années Suharto, particulièrement marquées par la répression, les autorités continuent à refuser obstinément de se pencher sur les crimes du passé.

À travers l’Indonésie, des centaines de milliers – si ce n’est plus d’un million – de victimes et proches de victimes sont privés de justice, de vérité et de réparations, et gardent les séquelles du passé sanglant du pays.

Les massacres de 1965, le conflit brutal qui a duré des décennies en Aceh, la lutte pour l’indépendance du Timor oriental en 1999 – la liste des violences est longue, mais bien souvent, ceux qui ont le plus souffert ont été livrés à eux-mêmes, tandis que les auteurs de violations des droits humains sont toujours en liberté et exercent mêmes dans certains cas des postes à responsabilités.

Amnesty International et de nombreuses autres organisations de défense des droits humains se mobilisent depuis des décennies pour que les victimes obtiennent vérité, justice et réparations, conformément au droit international, mais la tâche reste ardue.

Les gouvernements indonésiens successifs n’ont clairement pas fait preuve de la volonté politique requise pour s’attaquer à la question des crimes du passé, et les victimes se trouvent face à des obstacles insurmontables lorsqu’elles essaient de se tourner vers les tribunaux pour obtenir justice.

Les gouvernements indonésiens successifs n’ont clairement pas fait preuve de la volonté politique requise pour s’attaquer à la question des crimes du passé, et les victimes se trouvent face à des obstacles insurmontables lorsqu’elles essaient de se tourner vers les tribunaux pour obtenir justice.

Richard Bennett, directeur du programme Asie-Pacifique d’Amnesty International

Au lieu de cela, c’est une culture du silence paralysante qui prévaut, et le simple fait d’évoquer ces questions entraîne de vrais risques.

Quelques progrès sensibles ont été réalisés. En décembre 2013, par exemple, le Conseil législatif de l’Aceh a adopté une règlementation en matière de vérité et réconciliation qui requiert l’établissement d’une commission vérité pour cette province, faisant ainsi naître une lueur d’espoir chez les victimes et leurs familles. La commission n’a cependant pas encore vu le jour.

À l’échelon national, le gouvernement central n’a pas promulgué la nouvelle loi portant création d’une commission vérité, après son annulation par la Cour constitutionnelle en 2006.

Il n’existe toujours pas de programme complet de réparations visant spécifiquement à redresser les torts causés aux victimes et proches des victimes de violations des droits fondamentaux de ces dernières décennies.

L’an dernier, le président Joko « Jokowi » Widodo est arrivé au pouvoir après avoir fait des promesses grandioses sur la place prioritaire qu’il accorderait aux droits humains – notamment en rendant justice pour les graves violations des droits humains commises par le passé.

Ces dernières semaines, nous avons enfin vu des actes.

Le 21 mai, le procureur général a annoncé que le gouvernement établira un mécanisme non judiciaire chargé de trouver une résolution aux violations passées des droits humains par le biais d’un « comité pour la réconciliation ».

Il est décevant que le procureur général ait déclaré que ces cas ne pourraient donner lieu à des enquêtes et des poursuites, faute de preuves. Le comité pour la réconciliation serait composé d’institutions gouvernementales, de groupes de la société civile et des familles des victimes.

Le comité examinera sept cas de « violations flagrantes des droits humains » en particulier – le massacre de Talangsari en 1989, les disparitions forcées de militants anti-Suharto en 1997-1998, les fusillades à l’université de Trisakti et lors des événements de Semanggi I et II en 1998 et 1999, les homicides mystérieux de criminels présumés dans les années 80, la purge anti-communiste en 1965-1966, et les abus commis à Wasior et à Wamena en Papouasie, en 2001 et 2003 respectivement.

Après des décennies d’impunité, le comité pour la réconciliation envisagé pourrait constituer une première petite avancée positive qui montre que le gouvernement Jokowi a l’intention de se saisir enfin de la question.

L’Indonésie progresse-t-elle toutefois vers la justice ?

Il est trop tôt pour le dire. Trop de questions restent sans réponse. Que fera exactement le comité ? Établira-t-il la vérité sur ces crimes ? Recommandera-t-il des réparations pour les victimes ? Travaillera-t-il de manière véritablement indépendante et totalement transparente ? Sera-t-il doté de pouvoirs suffisants pour convoquer des témoins et obtenir des éléments de preuve ? Protègera-t-il les témoins ? Ses conclusions alimenteront-elles les enquêtes en cours ou y aura-t-il une volonté politique d’accorder une immunité de poursuites qui ne fera que renforcer l’impunité qu’elle est censée combattre ?

À mesure que les réponses à ces questions et à d’autres apparaîtront au cours des semaines et mois à venir, nous verrons si le gouvernement est véritablement déterminé à prendre des mesures en faveur de la justice, de la vérité et de réparations, ou si le processus n’est que poudre aux yeux à des fins politiques.

Il ne faut par ailleurs pas perdre de vue les milliers d’autres cas non élucidés qui sont au point mort en raison des problèmes systémiques de l’appareil judiciaire et du refus du Parlement d’adopter une nouvelle loi prévoyant la création d’une véritable commission vérité nationale.

Des efforts de beaucoup plus grande ampleur sont requis. Il faut notamment modifier la loi sur les tribunaux militaires afin de garantir que le personnel militaire soupçonné d’avoir commis de graves violations des droits humains puisse être traduit devant des tribunaux civils, remanier le système des tribunaux de justice pour les droits humains, qui présente des failles, afin que toutes les victimes de violations de ces droits puissent y avoir accès, et faire en sorte que ces violations, parmi lesquelles la torture, les disparitions forcées et les exécutions extrajudiciaires, soient érigées en infractions par le Code pénal, après révision de celui-ci.

Panser les plaies des violences passées de l’Indonésie n’est pas une tâche pouvant être accomplie du jour au lendemain. 

Panser les plaies des violences passées de l’Indonésie n’est pas une tâche pouvant être accomplie du jour au lendemain.

Richard Bennett

Il est possible que le gouvernement fasse enfin un pas important dans la bonne direction. Nous l’espérons et espérons aussi qu’il sera suivi des grandes avancées qui sont vraiment indispensables.

Cet article a été publié sur le site du Jakarta Post.