Maritza est une jeune Dominicaine comme les autres. À 26 ans, elle a des rêves et des espoirs comme n’importe lequel de ses compatriotes. Elle aimerait étudier et offrir une vie meilleure à sa petite fille.
Les rêves de Maritza lui filent peu à peu entre les doigts. Aujourd’hui, elle craint pour l’avenir de sa famille. Si la République dominicaine est le seul pays où elle ait vécu, une anomalie du droit dominicain fait qu’elle pourrait être forcée à quitter ce pays pour de bon dès ces prochains jours.
J’ai rencontré Maritza cette semaine, lors du deuxième jour de la mission d’Amnesty International en cours en République dominicaine. Elle vit à El Seybo, une zone vallonnée bordée d’une végétation tropicale luxuriante dans l’est de l’île. De nombreuses plantations de cannes à sucre parsèment le paysage. La vie a l’air belle ici, mais pas pour tout le monde. Au milieu de ces beaux paysages, j’ai constaté que la peur était très présente et vu certains des aspects les plus laids de la République dominicaine.
J’ai parlé à de nombreux Dominicains, qui, comme Maritza et sa fille, sont d’ascendance haïtienne et dont le sort dans les jours et semaines à venir ne laisse pas grand espoir.
Fluctuations politiques
Après des fluctuations politiques, les autorités dominicaines prévoient désormais d’expulser de force des milliers de Dominicains d’ascendance haïtienne, après avoir décidé qu’elles ne les considèreraient plus comme Dominicains et ne leur permettraient plus de vivre dans le pays. Le début de ces expulsions de masse est imminent.
En 2013, la plus haute instance judiciaire du pays a déterminé que les personnes nées de parents étrangers sans papiers après 1929 n’auraient plus la nationalité dominicaine. Comme Maritza, la grande majorité des personnes concernées sont des Dominicains d’origine haïtienne. Du jour au lendemain, ils ont été privés de leur nationalité et rendus apatrides.
La mère de Maritza vient de Haïti ; son père est dominicain. Si Maritza n’est pas une migrante, elle n’a jamais pu obtenir un seul papier d’identité en République dominicaine. Faute de document prouvant qu’elle est née dans ce pays, elle est extrêmement vulnérable. Elle sait que le 17 juin a marqué la fin d’un plan de régularisation pour les migrants sans papiers, et que les gens qui n’ont pas été en mesure de s’inscrire seront expulsés d’un moment à l’autre. Si des agents de l’immigration se présentent chez Maritza, elle risque d’être arrêtée et renvoyée du seul pays qu’elle connaisse.
« Que vais-je faire s’ils m’envoient en Haïti demain ? » J’ai entendu cette même question, encore et encore, toute la journée à El Seybo. Maritza et les autres ont l’impression d’être les personnages d’un mauvais film de science-fiction. Comment les autorités dominicaines peuvent-elles sérieusement envisager de les renvoyer de leur propre pays ? Malheureusement, il ne s’agit d’une production hollywoodienne pleine de suspense, et ces personnes ne sont pas des acteurs – la menace est réelle et imminente.
Le gouvernement dominicain continue à faire des déclarations rassurantes, car il se sait observé de près par la communauté internationale, mais il n’a donné aucune garantie que les personnes nées dans le pays ne seront pas expulsées. En réalité, il n’existe pas en République dominicaine de procédure claire concernant les expulsions, ce qui laisse une grande part à l’arbitraire et à d’autres atteintes aux droits humains.
Des familles détruites
« Je ne suis pas un étranger. Mon père est venu d’Haïti, pas moi », m’a dit Franklyn Alcino, dont le désespoir et l’exaspération étaient visibles.
Je ne suis pas un étranger. Mon père est venu d’Haïti, pas moi.
Franklyn Alcino, 19 ans
La République dominicaine a brisé sa famille au gré de véritables cauchemars juridiques. Le frère aîné de Franklyn n’a eu aucun problème à obtenir des papiers d’identité dominicains, contrairement à sa sœur Yenni et son frère Wilson.
Les enfants de la famille Alcino ont tous le même père et la même mère. Mais la dimension arbitraire des politiques dominicaines en matière de nationalité signifie que certains d’entre eux pourraient être expulsés et forcés à vivre de l’autre côté de la frontière, dans un pays qu’ils ne connaissent pas et où ils n’ont jamais été, à des centaines de kilomètres de leur domicile à El Seybo.
Au bout du compte, l’État dominicain est responsable d’avoir transformé la situation de nombreuses personnes en drame national. Alors quand le président Medina s’est adressé à la nation mercredi 17 juin, à la veille de la reprise des expulsions, comme beaucoup j’ai espéré qu’il appellerait au respect des droits fondamentaux et de la dignité de toutes les personnes vivant dans le pays. Mais le président semblait plus préoccupé par son propre futur que par la situation de Maritza, de Franklyn et des milliers de Dominicains d’origine haïtienne qui risquent désormais d’être expulsés. Il a passé 20 minutes sur le lancement de la campagne pour sa réélection en 2016, et n’a pas une seule fois mentionné le sort incertain réservé à des milliers de personnes dans son pays.
Que va-t-il arriver à la famille Alcino ? Quelles solutions les autorités dominicaines fournissent-elles aux personnes telles que Maritza et son bébé, qui n’ont plus aucun espoir ? Comment le gouvernement du président Medina garantira-t-il que les personnes nées et élevées en République dominicaine ne seront pas expulsées vers Haïti ?
Amnesty International demande au président Medina de garantir pleinement le respect des droits humains durant les expulsions. Les autorités dominicaines sont tenues d’examiner chaque cas individuellement, et elles doivent respecter le droit de chacun de contester un ordre d’expulsion devant la justice. Ces droits sont les mêmes partout dans le monde, quels que soient la nationalité de la personne concernée ou son statut au regard de la politique de migration.
Mais le président Medina doit aussi garantir de toute urgence que les familles d’ascendance dominicaine, comme les Alcino, et Maritza et son bébé, ne soient pas expulsées hors de leur propre pays.
Cet article est également paru dans Newsweek.