Les nombreux éléments de preuve attestant que les crimes de guerre se poursuivent – notamment la torture et les exécutions sommaires de prisonniers – rappellent de manière brutale les pratiques cruelles employées quasi quotidiennement dans le cadre du conflit en Ukraine orientale, écrit Amnesty International dans une nouvelle synthèse approfondie rendue publique vendredi 22 mai.
Ce document, intitulé Breaking Bodies: Torture and summary killings in eastern Ukraine, fournit des preuves irréfutables des abus généralisés et fréquents infligés aux prisonniers par un grand nombre de geôliers appartenant aux deux camps.
D’anciens prisonniers disent avoir été battus jusqu’à ce que leurs os se fracturent, torturés à l’électricité, frappés à coups de pied, poignardés, suspendus au plafond, privés de sommeil pendant des jours, menacés de mort, privés de soins médicaux urgents et soumis à des simulacres d’exécution.
« Dans l’ombre du conflit qui continue à couver en Ukraine orientale, les recherches que nous avons effectuées sur le terrain montrent que les allégations de torture de prisonniers sont aussi répandues que choquantes. Plus de 30 anciens prisonniers détenus par les deux camps nous ont fourni des récits poignants et concordants des sévices que leurs geôliers leur avaient fait subir », a déclaré John Dalhuisen, directeur du programme Europe et Asie Central d’Amnesty International.
Des prisonniers des deux camps ont été frappés et soumis à des simulacres d'exécution. Nous avons également recueilli des informations selon lesquelles des personnes détenues par des groupes séparatistes ont été soumises à des exécutions sommaires. Torturer ou tuer délibérément des captifs lors d’un conflit constituent des crimes de guerre.
John Dalhuisen, directeur du programme Europe et Asie Central d’Amnesty International
« Des prisonniers des deux camps ont été frappés et soumis à des simulacres d’exécution. Nous avons également recueilli des informations selon lesquelles des personnes détenues par des groupes séparatistes ont été soumises à des exécutions sommaires. Torturer ou tuer délibérément des captifs lors d’un conflit constituent des crimes de guerre.
« Les forces pro-Kiev et séparatistes doivent les unes comme les autres mettre fin à ces crimes et veiller à ce que tous les combattants sous leur contrôle soient informés de ce qu’encourent, en vertu du droit international, les auteurs d’abus contre des prisonniers dans le cadre d’un conflit armé. Les autorités ukrainiennes doivent enquêter sur toutes les allégations de crimes de guerre et d’autres violations, ouvrir des dossiers et recueillir des éléments attestant les abus commis par les forces séparatistes, et traduire en justice tous les responsables présumés de ces actes odieux. »
Sur les 33 anciens prisonniers dont Amnesty International a recueilli les propos, 32 ont décrit des passages à tabac et d’autres graves sévices infligés par des groupes séparatistes comme pro-Kiev. Tous ont été captifs à un moment ou à un autre entre juillet 2014 et avril 2015, et l’organisation a mené la plupart des entretiens en mars, avril et mai de cette année.
Amnesty International a pu corroborer les témoignages des victimes à l’aide d’éléments de preuve supplémentaires comme des radiographies de fractures, des registres hospitaliers, des photos d’hématomes et d’autres blessures, des cicatrices et des dents cassées. Deux des victimes étaient encore soignées à l’hôpital au moment des entretiens.
Différents geôliers affiliés à l’un ou à l’autre camp se rendent semble-t-il coupables de ces actes de torture et d’autre formes de mauvais traitements. Parmi les anciens détenus rencontrés par Amnesty International, 17 avaient été retenus captifs par des séparatistes et 16 par des soldats et des responsables pro-Kiev de l’application des lois, notamment des membres des services secrets ukrainiens (SBU).
Amnesty International a par ailleurs identifié au moins trois cas récents dans lesquels des combattants séparatistes ont sommairement exécuté au moins huit combattants pro-Kiev. L’organisation s’est appuyée sur des témoignages, des dossiers hospitaliers, et des informations publiées sur les réseaux sociaux et relayées par les médias. Lors d’un entretien avec un journaliste, le responsable d’un groupe armé séparatiste a ouvertement admis avoir tué des soldats ukrainiens retenus captifs, ce qui constitue un crime de guerre.
Les pires abus sont pour la plupart commis dans des lieux de détention informels. Ils surviennent généralement lors des premiers jours de captivité, et les groupes opérant en-dehors de la chaîne de commandement officielle ou de fait ont tendance à faire preuve d’une violence extrême et de mépris pour la loi.
La situation du côté séparatiste est particulièrement chaotique, divers groupes retenant des captifs dans au moins 12 lieux connus.
Du côté pro-Kiev, le témoignage d’un ancien prisonnier du Secteur droit, une milice nationaliste, fait froid dans le dos. Utilisant les locaux d’une ancienne colonie de vacances comme prison improvisée, Secteur droit a semble-t-il pris des dizaines de civils en otage, les torturant et extorquant de larges sommes d’argent à ces personnes et à leurs familles. Amnesty International a alerté les autorités ukrainiennes au sujet de ces allégations en particulier mais n’a reçu aucune réponse.
Amnesty International a découvert que les deux camps soumettent à des détentions arbitraires des civils qui n’ont commis aucun crime, mais qui sympathisent avec le camp adverse. L’organisation a parlé à des civils qui avaient été arrêtés et frappés simplement parce qu’ils étaient en possession de photos de l’EuroMaïdan sur leur portable, ou parce qu’ils avaient le numéro de téléphone de séparatistes.
« Dans certains cas, ces civils sont capturés car ils représentent une monnaie d’échange contre d’autres prisonniers, mais il est également possible que ce soit simplement afin de les punir pour leurs opinions. Il s’agit d’une pratique choquante et illégale qui doit cesser immédiatement », a déclaré John Dalhuisen.
Amnesty International demande aux organes et experts des Nations unis qui sont concernés de mener de toute urgence une mission en Ukraine afin de se rendre sur tous les sites où sont retenues des personnes dans le cadre du conflit – notamment dans les lieux de détention non officiels. Le Sous-comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, les groupes de travail sur la détention arbitraire et les disparitions forcées, et le rapporteur spécial sur la torture devraient y prendre part.