Gambie. Des dizaines de «disparus» détenus au secret depuis la tentative de coup d’État de décembre 2014

Des dizaines damis et de parents de personnes accusées davoir participé à une tentative de coup dÉtat sont détenus au secret par les autorités gambiennes depuis janvier 2015, sans aucun contact avec le monde extérieur, ont déclaré Human Rights Watch et Amnesty International mercredi 27 mai 2015. Des femmes, des personnes âgées et un enfant figurent parmi les détenus, et beaucoup seraient en mauvaise santé.

Le gouvernement refuse de révéler où se trouvent la plupart dentre eux, voire de reconnaître quils sont en détention, les privant de fait de la protection de la loi. Leur incarcération sapparente donc à une disparition forcée – ce qui constitue une grave violation du droit international. Les autorités gambiennes doivent de toute urgence révéler où se trouvent ces personnes et les inculper dinfractions prévues par la loi sil existe des éléments suffisants pour le faire, ou les libérer immédiatement.

« Les autorités gambiennes bafouent les normes relatives aux droits humains les plus fondamentales en détenant ces gens au secret, suscitant de fortes suspicions de disparitions forcées, a déclaré Daniel Bekele, directeur de Human Rights Watch pour lAfrique. Étant donné que ces personnes sont détenues dans des lieux et des conditions que lon ignore, sans les garanties nécessaires, le risque de torture ou dautres mauvais traitements est très élevé. »

Ces incarcérations prolongées et cruelles, en dehors de tout cadre légal ou enquête, sont une atteinte aux droits humains les plus fondamentaux et constituent des crimes au regard du droit international. Arrêter les gens et les détenir ainsi ne fera qu’attiser la peur et la méfiance au sein de la population gambienne.

Sabrina Mahtani, chercheuse sur l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International

Le 30 décembre 2014, des hommes armés ont attaqué le palais présidentiel à Banjul, la capitale, mais ont été repoussés par les forces de sécurité gambiennes. Dans les jours qui ont suivi, des membres des forces de lordre, notamment des soldats et des agents en civil de lAgence nationale de renseignement (NIA), ont arrêté des complices, amis et parents des participants présumés à cette tentative de coup dÉtat. Ces personnes ont été emmenées au siège de la NIA, où la plupart seraient toujours détenues au secret.


Plusieurs proches de détenus ont signalé à Amnesty International et à Human Rights Watch larrestation dun membre de leur famille, mais beaucoup ont peur de parler. Des proches vivant à létranger ont dit aux deux organisations que des personnes avaient été menacées darrestation par des responsables des forces de sécurité si elles continuaient à chercher où se trouvaient leurs parents qui avaient été arrêtés.

En mars 2015, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a indiqué quau moins 52 personnes avaient été la cible de telles arrestations, menées pour la plupart par des hommes en civil soupçonnés de travailler pour lAgence nationale de renseignement. Un certain nombre ont été libérées entre février et mai, et il est difficile de savoir combien sont toujours détenues au secret.

Yusupha Lowe fait partie des personnes qui ont été arrêtées. Âgé de 16 ans, il est le fils de Bai Lowe, un homme soupçonné davoir pris part au coup dÉtat de décembre 2014 puis davoir fui le pays. Fin avril 2015, des Gambiens de la diaspora ont lancé une campagne sur les réseaux sociaux pour demander la libération de ce mineur. Sa famille a appris de source non officielle quil était détenu au siège de la NIA à Banjul depuis janvier, mais, selon des témoignages crédibles recueillis par Amnesty International et Human Rights Watch, il ne sy trouverait plus actuellement. Le gouvernement a refusé de révéler à sa famille ce quil était advenu de lui, et les craintes pour sa sécurité vont croissant.

Mariam Njie, la mère dAlhaji Jaja Nass, tué pendant le coup dÉtat, a été arrêtée le 5 janvier 2015 ; ses proches pensent quelle a été emmenée au siège de lAgence nationale de renseignement. Meta Njie, la mère du colonel Lamin Sanneh, lui aussi tué pendant le coup dÉtat, a été arrêtée le 1er janvier. Les autorités nont fourni aucune information sur son sort et sa famille na pas reçu de réponses à ses demandes. Ces deux femmes sont âgées de presque 70 ans.

Essa Bojang, le père de Dawda Bojang, lun des auteurs présumés du coup dÉtat actuellement en fuite, a été arrêté le 1er janvier 2015 par des hommes en civil soupçonnés dêtre des agents des services de renseignement et par des militaires en uniforme. Il est lui aussi âgé de plus de 60 ans et souffre dun handicap physique. Ses proches pensent quil est détenu au siège de la NIA, mais ils nont reçu aucune réponse des autorités à leurs demandes dinformations sur lendroit où il se trouve et sur son état de santé.

La détention au secret de longue durée et les autres violations des garanties prévues par la loi sont contraires aux obligations de la Gambie aux termes de sa propre Constitution, qui prévoit que les autorités doivent présenter les personnes arrêtées à un juge dans les 72 heures. Ces pratiques violent également les obligations de la Gambie aux termes de la Charte africaine des droits et du bien-être de lenfant, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Convention relative aux droits de lenfant.

En mars, un tribunal militaire secret a condamné trois soldats à mort et trois autres à la prison à perpétuité pour trahison, désertion, complot et mutinerie, en lien avec leur participation présumée au coup dÉtat raté. Amnesty International et Human Rights Watch pensent quils nont pas bénéficié dun procès équitable ni de lassistance satisfaisante dun avocat. Trois autres hommes ont été tués pendant la tentative de coup dÉtat. Malgré leurs demandes répétées, les familles nont toujours pas récupéré leurs corps.

Le 14 janvier, le président Yahya Jammeh a annoncé que son gouvernement était prêt à travailler en coopération avec les Nations unies pour enquêter sur les événements du 30 décembre 2014. Le 28 février 2015, la Commission africaine des droits de lhomme et des peuples a adopté une résolution dans laquelle elle demandait au gouvernement gambien de linviter à entreprendre une mission détablissement des faits. Cependant, aucune enquête indépendante na été menée.

« Ces incarcérations prolongées et cruelles, en dehors de tout cadre légal ou enquête, sont une atteinte aux droits humains les plus fondamentaux et constituent des crimes au regard du droit international, a déclaré Sabrina Mahtani, chercheuse sur lAfrique de lOuest à Amnesty International. Arrêter les gens et les détenir ainsi ne fera quattiser la peur et la méfiance au sein de la population gambienne. »