L’Agenda de la Commission européenne représente une évolution positive et ne doit pas être affaibli par les États membres

De nouvelles propositions émises par la Commission européenne en matière d’asile et de réinstallation représentent une évolution encourageante concernant la démarche à adopter face à la crise humanitaire dans la Méditerranée, et pourraient déboucher sur des avancées modestes mais cruciales vers la résolution de la crise mondiale des réfugiés, a déclaré Amnesty International lorsque la Commission a dévoilé son Agenda en matière de migration mercredi 13 mai.

« Nous venons de voir la Commission européenne faire un premier pas vers une remise en question de la mentalité de la Forteresse Europe face à la crise des réfugiés, mais ce plan devra être mis en œuvre partout et avec le plein soutien de l’ensemble des États membres de l’Union européenne », a déclaré John Dalhuisen, directeur du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.

Nous venons de voir la Commission européenne faire un premier pas vers une remise en question de la mentalité de la Forteresse Europe face à la crise des réfugiés, mais ce plan devra être mis en œuvre partout et avec le plein soutien de l’ensemble des États membres de l’Union européenne.

John Dalhuisen, directeur du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International

« Non seulement l’Agenda sur la migration reconnaît clairement la nécessité de mettre en place des opérations efficaces de recherche et de sauvetage afin d’empêcher que des réfugiés et des migrants ne périssent en mer, mais il comprend aussi que des itinéraires alternatifs qui soient sûr et légaux sont indispensables afin de réduire le nombre de personnes forcées à confier leur vie aux passeurs pour se mettre en sécurité en Europe. »

Opérations de recherche et de sauvetage

L’Agenda ne perd pas de vue qu’il convient de renforcer les opérations de recherche et de sauvetage dans la Méditerranée afin de les ramener au niveau de l’opération italienne Mare Nostrum, aujourd’hui disparue. Il confirme l’augmentation des fonds alloués à l’opération Triton, qui permettra à la fois de renforcer les moyens d’agir et d’étendre le champ géographique de l’opération.

L’Agenda ne précise cependant pas clairement dans quelle mesure le champ opérationnel de Triton sera élargi ni si cela couvrira les zones de haute mer où la plupart des bateaux de réfugiés et de migrants se trouvent en difficulté. Il n’indique pas non plus si les vaisseaux exerçant plusieurs fonctions en dehors de Triton, notamment dans les domaines militaire et de l’application des lois, seront dotés d’un mandat suffisamment explicite pour accorder la priorité aux opérations de recherche et de sauvetage à tout moment.

Étant donné que l’Union européenne (UE) a récemment mis l’accent sur une action militaire afin de combattre les passeurs, il existe un risque que certaines ressources (bateaux et aéronefs) déployées hors de Triton ne soient détournées de leurs fonctions de recherche et de sauvetage pour assurer cette mission.

Malgré ces faiblesses, l’Agenda reconnaît l’importance des opérations menées à titre individuel par certains États membres qui emploient actuellement leurs propres ressources pour secourir des personnes en péril en mer, et précise que ces patrouilles seront requises tant que les pressions migratoires persisteront.

« Après que des milliers de personnes ont perdu la vie en mer, la Commission européenne a tardivement concédé qu’il est essentiel de mener des patrouilles navales et aériennes le long des principaux itinéraires migratoires, y compris près de la Libye. Que cela soit accompli par des États membres à titre individuel ou par le biais de l’opération Triton, c’est le résultat qui importe, à savoir sauver des vies », a déclaré John Dalhuisen.

Des voies sûres et légales pour atteindre l’UE

L’Agenda admet que les personnes vulnérables qui ne sont pas en sécurité dans leur propre pays ne doivent pas être laissées à la merci des passeurs, et que des itinéraires sûrs et légaux doivent leur être proposés pour atteindre l’Europe.

Les propositions relatives à un programme de réinstallation à l’échelle de l’UE impliquant tous les États membres, outre les programmes existant déjà au niveau national, sont une bonne idée mais sont actuellement inadaptées aux besoins car elles ne prévoient que 20 000 places pour les deux prochaines années. Ce chiffre n’est pas suffisant face aux 380 000 réfugiés originaires de la seule Syrie dont le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés recommande la réinstallation d’ici à la fin 2016. Amnesty International a évalué que les pays de l’UE devraient envisager d’accueillir 100 000 de ces réfugiés, mais ils se sont pour l’instant engagés à fournir à peine plus de 40 000 places.

Il est crucial que les chiffres des programmes de réinstallation existant à l’échelon national dans certains États membres ne soient pas revus à la baisse, et que le programme de l’UE soit développé afin de répondre à la gravité de la crise mondiale des réfugiés.

Outre la réinstallation, l’Agenda encourage les États membres à utiliser d’autres voies légales pour aider les réfugiés, avec notamment des parrainages, des permis humanitaires et des regroupements familiaux.

La Commission européenne propose par ailleurs un nouveau mécanisme qui pourra être déclenché dans les situations d’urgence afin de redistribuer les demandeurs d’asile arrivés dans des États membres de l’UE ayant déjà accueilli un grand nombre d’entre eux.

« S’il est correctement mis en œuvre, avec un nombre de places bien plus élevé, et accompagné de plans nationaux de réinstallation, un programme de réinstallation à l’échelle de l’UE, administré de manière collective, pourrait aider à limiter le flux de réfugiés se lançant dans ces traversées périlleuses. Cela, conjugué à la proposition de programme de relocalisation interne à l’UE, contribuerait à ce que le poids de la crise mondiale des réfugiés soit réparti plus équitablement entre les États membres de l’UE, et entre l’UE et d’autres régions du monde », a déclaré John Dalhuisen.

De nouvelles premières lignes de défense pour la Forteresse Europe ?

L’Agenda avance plusieurs propositions concernant la coopération avec des pays tiers visant à contrôler les flux migratoires, et qui pourraient dans les faits ériger de nouvelles premières lignes de défense de la Forteresse Europe dans des pays aussi éloignés que le Niger. Un grand nombre de ces propositions n’en sont encore qu’à un stade embryonnaire. Cependant, tout « centre polyvalent » extérieur devra respecter des garanties essentielles afin que les besoins des personnes soient satisfaits et leurs droits protégés, en particulier en ce qui concerne les normes pour une procédure d’asile équitable et efficace, et l’accès à des recours effectifs.

Complément d’information

La réinstallation est un mécanisme par lequel des réfugiés (pas des migrants ni des demandeurs d’asile) qui ne parviennent pas à obtenir une protection suffisante dans le pays d’accueil sont transférés dans un autre pays. Seules les personnes dont le statut de réfugié a été reconnu (soit par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, soit par les autorités du pays d’accueil) peuvent bénéficier d’une réinstallation.

L’Agenda reconnaît que certains États membres ont déjà fortement contribué aux efforts mondiaux de réinstallation, but ajoute que d’autres ne proposent rien, et dans de nombreux cas ne contribuent d’aucune autre manière, par exemple en étudiant et acceptant des demandes d’asile ou en aidant à financer les efforts des autres.

Selon les propositions de la Commission européenne, le nombre de réfugiés qu’il sera demandé à chaque État membre de l’UE de réinstaller dépendra de critères tels que le PIB, le nombre d’habitants, le taux de chômage et le nombre de personnes déjà accueillies par le passé.

L’UE a récemment annoncé des projets visant à renforcer le travail consistant à identifier, confisquer et détruire des bateaux avant qu’ils ne soient utilisés par les passeurs. Si ces projets se concrétisent, ces mesures pourraient aboutir à ce que des milliers de migrants et de réfugiés se retrouvent pris au piège dans une zone de conflit. L’Égypte et la Tunisie ont également durci les restrictions aux frontières, de peur que le conflit en Libye ne déborde sur leur territoire, laissant ainsi migrants et réfugiés dont le passeport a souvent été volé ou confisqué par des passeurs, des bandes criminelles ou leurs employés libyens, sans aucune voie de sortie hors du pays si ce n’est par le biais d’une traversée périlleuse de la Méditerranée pour se rendre en Europe.