L’exemple de la Stasi – L’histoire de la surveillance de masse incite à la prudence

Photo : les interminables archives de la Stasi renfermaient des dossiers sur des millions de personnes. Crédit photo : JOHN MACDOUGALL/AFP/Getty Images

Il y a 25 ans jour pour jour, 40 années de contrôle de la vie quotidienne des citoyens en Allemagne de l’Est s’achevaient brutalement. Le 31 mars 1990, l’un des organismes de surveillance les plus intrusifs de toute l’histoire, le ministère de la Sécurité d’État, plus connu sous le nom de Stasi, était dissout.

C’est un événement qui résonne, alors qu’un débat sur la vie privée fait rage dans le monde au lendemain des révélations sur la surveillance de masse qu’exercent les États-Unis sur les communications d’Internet.

Il y a deux mois, je me trouvais à l’ancien quartier général de la Stasi, transformé en musée, à Berlin, lors d’une journée portes ouvertes commémorant la prise d’assaut du bâtiment par les Allemands de l’Est quelques semaines après la chute du mur de Berlin. Étaient proposés des projections de films, des débats, des stands d’information et une visite des interminables archives de la Stasi, qui ont contenu à un moment donné des dossiers sur six millions de personnes. D’aucuns affirment qu’un citoyen sur trois était fiché.

J’ai passé une heure à déambuler dans les archives. Les milliers d’Allemands qui visitaient le site semblaient sous le choc dans ce labyrinthe de couloirs, face aux armoires de classement montant jusqu’au plafond qui avaient inventorié et contrôlé leurs vies – ou la vie de leurs concitoyens – des années durant. Le bâtiment lui-même, avec son architecture en béton gris de l’ère communiste, symbolisait la peur : c’était là qu’on vous emmenait pour vous interroger et vous intimider.

L’imposant quartier général de la Stasi à Berlin-Est, aujourd’hui transformé en musée. Crédit photo : Flickr/ John Out and About
L’imposant quartier général de la Stasi à Berlin-Est, aujourd’hui transformé en musée. Crédit photo : Flickr/ John Out and About

Si les archives de la Stasi sont écrasantes, les espions d’aujourd’hui peuvent rassembler un nombre encore bien plus grand d’informations en fournissant bien moins d’efforts.

Les révélations d’Edward Snowden laissent à entendre que la NSA (National Security Agency) peut intercepter cinq milliards de localisations de téléphones portables par jour et 42 milliards de données Internet par mois – notamment des courriels et des historiques de navigation.

L’organisation allemande OpenDataCity estime que les archives de la Stasi rempliraient 48 000 armoires de classement, tandis qu’un seul serveur du gouvernement américain peut stocker une telle quantité de données que, si elles étaient imprimées, les rames de papier rempliraient 42 000 milliards d’armoires.

Nous savons très peu de choses sur ce que la NSA fait de toutes ces données. Si on laisse de côté le parallèle historique, les archives de la Stasi nous rappellent les conséquences que peut avoir une surveillance non maîtrisée, tout en soulignant à quelle vitesse on glisse d’un système censé évaluer les menaces au désir de tout savoir sur tout le monde.

La connaissance, c’est le pouvoir, et les données personnelles aussi…

Si la connaissance, c’est le pouvoir, alors par extension, les données à caractère personnel n’échappent pas à la règle. La Stasi a porté la surveillance à des niveaux sans précédent, afin d’avoir une connaissance approfondie des faits et gestes des citoyens, dans le but de manipuler et de contrôler la population.

Tout comme les États-Unis et le Royaume-Uni, qui interceptent aujourd’hui nos courriels et nos données Internet, la Stasi cherchait à infiltrer la vie privée afin de collecter des données intimes sur les gens, et d’identifier ceux qu’elle considérait comme une menace. Dans le musée de la Stasi, vous pouvez voir des documents personnels et parfois ineptes conservés dans des fichiers, notamment des photos de chambres à coucher et des collections de disques.

Le réseau de surveillance de la Stasi s’insinuait dans tous les aspects de la vie quotidienne. Les 274 000 employés comptaient au moins 174 000 informateurs, qui représentaient environ 2,5 % de la population active.

Ces informateurs furetaient dans chaque bureau, dans chaque association culturelle et sportive, et dans chaque immeuble. Ils surveillaient les gens jusque dans leurs propres maisons et dans celles de leurs amis.

La surveillance de masse moderne parvient à cette omniprésence avec des effectifs beaucoup plus réduits. Les agents collectent d’immenses quantités de communications électroniques directement à partir des câbles qui les transmettent et des serveurs qui les stockent. Les espions de la Guerre froide ont laissé place aux ordinateurs et aux algorithmes.

Les outils de la surveillance

En visitant le musée de la Stasi, on peut voir les sinistres outils et techniques d’espionnage du passé : des machines pour ouvrir les lettres à la vapeur, des déguisements (fausses moustaches) et des formations pour infiltrer les groupes « subversifs », ainsi que des appareils photos dissimulés dans des cravates, des paquets de cigarettes ou les murs des habitations. La Stasi ouvrait les lettres à la vapeur, les copiait, les classait et les réexpédiait. Ses agents pénétraient dans les logements à la faveur de l’absence de leurs habitants pour y placer des micros. Ils mettaient sur écoute les infrastructures téléphoniques des immeubles.

En comparaison, les espions d’aujourd’hui restent assis derrière des bureaux et se servent de dizaines de programmes informatiques pour espionner notre vie, laissant des programmes comme Prism ou Tempora faire le sale boulot à leur place.

La NSA se sert de programmes comme Optic Nerve pour accéder aux échanges sur le Web, ou comme The Three Smurfs, qui permet d’allumer le micro de votre téléphone portable, d’écouter vos conversations et de vous localiser. Pour la Stasi, cette technologie aurait été « un rêve qui devient réalité », selon les propres termes d’un ancien de ses agents.

Que contient votre dossier ?

Le moment le plus intense en émotions pour de nombreux visiteurs du musée de la Stasi est le moment où ils découvrent si la police secrète avait constitué un dossier sur eux.

Depuis la chute du mur de Berlin, 2,75 millions de personnes ont demandé à pouvoir consulter leur dossier. Des Allemands et de nombreux étrangers qui se sont rendus en Allemagne de l’Est ont eu un choc en apprenant que les agents de la Stasi s’étaient intéressés aux lieux qu’ils fréquentaient et à leurs conversations, mais aussi en découvrant qui les surveillait – parfois des amis ou des membres de la famille avaient été recrutés dans le réseau d’informateurs ou avaient cédé au chantage et fini par en faire partie.

Rien d’étonnant à ce que les Allemands accordent une plus grande importance que leurs voisins européens au droit fondamental à la vie privée : 69 % d’entre eux sont opposés à la surveillance de masse opérée par les gouvernements, d’après un récent sondage réalisé par Amnesty International dans 13 pays du globe.

Les Allemands offrent la plus grande opposition à la surveillance de masse, selon un récent sondage d’Amnesty. © Amnesty International
Les Allemands offrent la plus grande opposition à la surveillance de masse, selon un récent sondage d’Amnesty. © Amnesty International

Nous ne savons pas encore quel impact la surveillance de masse de notre utilisation d’Internet aura sur les sociétés numériques actuelles. De par son existence, le musée de la Stasi montre que cette surveillance peut avoir un effet dévastateur sur la liberté d’expression. Aussi, rares sont les Allemands qui prennent à la légère leur droit à la vie privée.

Nous devons tirer les leçons du passé. La question est de savoir si dans 25 ans, des millions d’entre nous demanderont à la NSA et aux agences de renseignements de consulter leur dossier, pour découvrir si elles ont fouiné dans notre vie privée.

Pour plus d’informations sur la campagne menée par Amnesty International contre la surveillance de masse #UnfollowMe, cliquez ici.

Thomas Coombes est attaché de presse pour les campagnes à Amnesty International. Suivez-le sur Twitter : @T_Coombes