Les entreprises européennes peuvent tirer profit du commerce meurtrier des «minerais du conflit»

L’Union européenne (UE) ne prend pas les mesures nécessaires pour endiguer le commerce meurtrier des « minerais du conflit », a déclaré une coalition d’organisations de défense des droits humains comprenant Global Witness et Amnesty International mercredi 24 septembre, en prévision de l’examen d’un nouveau texte législatif peu convaincant par le Parlement. Une nouvelle analyse de Global Witness révèle que des sociétés importent pour plusieurs milliards d’euros de minerais en Europe sans être tenues d’indiquer si leurs achats financent des groupes armés ou des violations des droits humains dans des pays ravagés par le conflit. « À l’heure actuelle, nous n’avons aucun moyen de savoir ce que font les entreprises européennes pour éviter de financer des conflits ou des atteintes aux droits humains, a déclaré Michael Gibb, directeur de campagne chez Global Witness. « La Commission européenne a proposé un texte qui, selon elle, luttera contre ce problème, mais son projet de règlement ne fait que suggérer aux entreprises de vérifier et de déclarer l’origine de leurs minerais sur une base volontaire. Des études montrent que les entreprises ne vérifient pas leur chaîne d’approvisionnement si elles n’y sont pas obligées. Pour dire clairement les choses, ce texte législatif ne réduira pas réellement le commerce des “minerais du conflit”.» L’analyse révèle l’ampleur du rôle de l’UE dans le commerce de minerais, qui, s’ils proviennent de zones de conflit et de zones à risque et ne font pas l’objet de contrôles en bonne et due forme, peuvent servir à financer des groupes armés et des forces de sécurité qui infligent des violences insupportables aux populations locales. Ces minerais peuvent se retrouver dans des produits tels que des téléphones mobiles, des ordinateurs portables, des voitures ou des ampoules. En République démocratique du Congo (RDC), en Colombie et en République centrafricaine, ce commerce alimente des conflits meurtriers qui ont déplacé plus de 9,4 millions de personnes et donné lieu à des atteintes aux droits humains extrêmement graves. En Colombie, les compagnies minières elles-mêmes sont impliquées dans des atteintes aux droits humains. D’après les conclusions des nouvelles recherches menées, l’UE représentait près d’un quart (28,5 milliards d’euros) du commerce mondial des métaux et minerais d’étain, de tungstène, de tantale et d’or l’an dernier. En 2013, 240 millions de téléphones mobiles et plus de 100 millions d’ordinateurs portables ont été importés au sein de l’UE ; tous contiennent ces métaux. Actuellement, rien n’oblige les entreprises à s’assurer que les gains issus de ce commerce ne tombent pas entre de mauvaises mains. D’énormes volumes de produits sont importés sans vérification dans des pays comme l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France. L’Allemagne est le premier importateur de téléphones mobiles et d’ordinateurs portables de l’UE, avec quelque 9,6 millions d’ordinateurs portables et 28,6 millions de téléphones mobiles en 2013, pour un total de 18,2 milliards d’euros. Le Royaume-Uni arrive en deuxième position, les Pays-Bas sont troisièmes et la France quatrième. « Il y a de bonnes raisons de penser que des sociétés européennes tirent profit du commerce de minerais qui remplissent les poches de groupes armés auteurs d’exactions dans des pays riches en ressources naturelles, tels que la RDC et la Colombie, a déclaré Audrey Gaughran, directrice du programme Thématiques mondiales à Amnesty International. « L’UE doit présenter une législation digne de ce nom qui s’attaque efficacement au lien entre le commerce européen et les violentes atteintes aux droits humains dans le reste du monde.» Les États-Unis et une douzaine de pays d’Afrique centrale ont mis en place des mesures pour obliger les entreprises à contrôler leur chaîne d’approvisionnement en minerais, mais l’UE ne l’a pas fait. Avec l’augmentation de la demande mondiale de matières premières, l’UE risque de devenir un pôle majeur du commerce des « minerais du conflit ». La nouvelle analyse est rendue publique au moment où la coalition d’ONG appelle les députés européens et les États membres de l’UE à remanier la proposition de règlement pour permettre aux consommateurs d’être certains que leurs achats ne contribuent à aucun acte préjudiciable ailleurs dans le monde. Plusieurs personnalités, parmi lesquelles le réalisateur du film Blood Diamond, Edward Zwick, soutiennent cette campagne. La coalition demande en particulier : • Que la proposition de déclaration volontaire soit remplacée par des règles contraignantes qui obligent les entreprises européennes à s’approvisionner en minerais de manière responsable.  • Que la proposition législative concerneplus d’entreprises. Le projet actuel ne vise que0,05 % des sociétés établies en Europe qui participent à ce commerce. Il ne concerne pas les entreprises qui importent des biens de consommation, notamment des ordinateurs portables, des téléphones mobiles et des voitures, contenant les minerais en question.• Que la proposition intègre d’autres ressources naturelles susceptibles de financer des groupes armés ou des forces de sécurité commettant des violations, ou associées à de graves atteintes aux droits humains, notamment les diamants, le charbon et la chromite.   Il incombe aux députés européens et aux États membres de veiller à ce que les entreprises présentes en Europe ne dégagent pas de bénéfices au détriment des populations locales dans les pays producteurs. Ils doivent fournir cette assurance aux consommateurs par le biais d’une législation ferme et efficace. L’adoption d’une nouvelle législation pourrait constituer une occasion historique de corriger les erreurs. « Lorsque des vies sont en jeu, cette législation ne peut pas se permettre de manquer de vision dans son champ d’application, a déclaré Audrey Gaughran. « Les législateurs européens doivent placer au cœur de ce projet législatif l’obligation pour les entreprises de s’approvisionner de manière responsable, puis étendre le champ d’application de la législation à un plus grand nombre d’entreprises et de ressources naturelles. Nous leur disons : mettez un frein à ce commerce meurtrier ou vous aurez du sang sur la conscience.»   Commentaires d’experts : Gautier Muhindo Misonia, coordinateur du Centre de recherche sur l’environnement, la démocratie et les droits de l’homme (CREDDHO) en RDC : « Nous avons besoin de toute urgence d’une loi forte en Europe qui empêche les entreprises de ne pas tenir compte des atteintes que leurs achats alimentent dans des pays comme la RDC. Le secteur minier artisanal congolais est confronté à d’immenses difficultés. Les groupes armés et l’armée contrôlent les mines et les routes commerciales. Les conditions de travail sont parfois déplorables. Cependant, l’attention internationale portée à ce secteur a généré de véritables progrès que le dispositif non contraignant proposé par l’UE mettrait à mal. Il permettrait à des entreprises européennes de dégager des bénéfices aux dépens des populations locales.» Helena Kennedy, avocate de la couronne britannique : « Il est extrêmement important que l’UE et le Royaume-Uni adoptent une législation contraignante obligeant les entreprises à respecter les normes de protection des droits humains. Actuellement, nos entreprises sont trop nombreuses à se procurer des minerais par le biais de chaînes d’approvisionnement qui financent en fait des conflits en Afrique, permettant ainsi que soient perpétrés des viols et des meurtres à grande échelle. C’est une campagne qui a besoin de notre soutien de toute urgence.» Edward Zwick, réalisateur du film Blood Diamond et membre du conseil consultatif de Global Witness, soutient cette campagne : « En Europe, nos fabricants achètent des minerais qui pourraient financer les conflits que l’argent de nos aides espère justement calmer. Et pendant ce temps, nous risquons d’acheter des produits contenant ces “minerais du conflit”, sans avoir conscience des conséquences […]. C’est une occasion historique de remédier à cette situation.» John Ruggie, auteur des Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, a déclaré dans une lettre adressée au président de la Commission européenne, José Manuel Barroso : « [Les Principes directeurs] énoncent clairement que les entreprises dont les activités ou contextes d’activité comportent des risques de graves conséquences pour les droits humains doivent rendre officiellement compte de ce qu’elles font pour lutter contre ces risques. Dans les cas où il est possible que des minerais ou des métaux extraits dans des situations de conflit par le biais du travail forcé, du travail des enfants et d’autres pratiques abusives fassent partie de la chaîne de valeur d’une entreprise, cela devient naturellement un problème nécessitant un signalement officiel […]. Toute initiative rendant la communication d’informations totalement facultative risque d’exposer aux regards les entreprises les plus responsables, tandis que les moins attentives à leurs responsabilités en matière de droits humains poursuivront leurs pratiques actuelles sans se laisser décourager.» Notes aux rédacteurs : 1. Site Internet de la campagne contre les « minerais du conflit » (en anglais) : https://www.globalwitness.org/conflictminerals/. 2. La coalition d’ONG soutenant cette campagne comprend les organisations suivantes : Amnesty International, Global Witness, Christian Aid, Commission Justice et Paix Belgique francophone, CORE,ALBOAN, le Centre national de Coopération au développement, EurAc, OENZ, London Mining Network, PAX, Western Sahara Resource Watch, Südwind Agentur, Save Act Mine, CODHO, Congo Calling, Jesuit European Social Centre, Info Birmanie, PowerShift, CERN/CENCO, Association pour le développement des initiatives paysannes (ASSODIP), Green IT. 3. La proposition législative de la Commission européenne a été annoncée en mars et peut être consultée ici. 4. Vous trouverez de plus amples informations sur la position de la coalition ici. 5. Les gouvernements et les députés européens examinent actuellement la proposition de la Commission. Les députés européens débattront de cette question lors d’une audience du comité concerné début décembre. Le Conseil européen et le Parlement devraient procéder au vote du texte au début de l’année prochaine. Pays par pays : données complémentaires relatives aux principaux importateurs de l’UE Le tableau suivant présente les cinq principaux pays importateurs d’ordinateurs portables et de téléphones mobiles au sein de l’UE. Ces deux produits contiennent de l’étain, du tantale, du tungstène et de l’or. À l’heure actuelle, il est impossible pour les consommateurs de savoir si les minerais contenus dans ces produits ont financé des conflits et des atteintes aux droits humains dans le monde.

Allemagne

L’Allemagne est le troisième importateur mondial d’ordinateurs portables et de téléphones mobiles, et le premier importateur au sein de l’UE. En 2013, ce pays a importé 64 millions de téléphones mobiles et 15 millions d’ordinateurs portables, pour une valeur de 14,4 milliards d’euros. Parmi ce total figuraient 7,6 milliards d’euros de téléphones mobiles et d’ordinateurs portables (52 %) provenant de Chine. (Voir plus bas la section sur les importations de la Chine.)

Royaume-Uni Le Royaume-Uni est le quatrième importateur mondial d’ordinateurs portables et de téléphones mobiles, et le deuxième importateur au sein de l’UE. En 2013, ce pays a importé 20 millions d’ordinateurs portables et plus de 44,5 millions de téléphones mobiles, pour une valeur de 11,2 milliards de livres Sterling (14,3 milliards d’euros). Parmi ce total figuraient 4,4 milliards de livres Sterling (5,6 milliards d’euros) de téléphones mobiles et d’ordinateurs portables (40 %) provenant de Chine. (Voir plus bas la section sur les importations de la Chine.)

Pays-Bas Les Pays-Bas sont le cinquième importateur mondial d’ordinateurs portables et de téléphones mobiles, et le troisième importateur au sein de l’UE. En 2013, ce pays a importé 14,8 millions de téléphones mobiles et 20 millions d’ordinateurs portables, pour une valeur de 9,5 milliards d’euros. Parmi ce total figuraient 7,1 milliards d’euros de téléphones mobiles et d’ordinateurs portables (74 %) provenant de Chine. (Voir plus bas la section sur les importations de la Chine.)

France La France est le sixième importateur mondial d’ordinateurs portables et de téléphones mobiles, et le quatrième importateur au sein de l’UE. En 2013, ce pays a importé 16 millions d’ordinateurs portables et près de 36 millions de téléphones mobiles, pour une valeur de 9 milliards d’euros. Parmi ce total figuraient 6,2 milliards d’euros de téléphones mobiles et d’ordinateurs portables (69 %) provenant de Chine.(Voir plus bas la section sur les importations de la Chine.)

Italie  L’Italie est le onzième importateur mondial d’ordinateurs portables et de téléphones mobiles, et le cinquième importateur au sein de l’UE. En 2013, ce pays a importé 9,6 millions d’ordinateurs portables et 28,6 millions de téléphones mobiles, pour une valeur de 6,1 milliards d’euros. Parmi ce total figuraient 1,9 milliard d’euros de téléphones mobiles et d’ordinateurs portables (33 %) provenant de Chine. (Voir plus bas la section sur les importations de la Chine.)

Importations de la Chine

Une proportion importante des importations de téléphones mobiles et d’ordinateurs portables de l’UE vient de Chine, comme le montrent les chiffres présentés plus haut. La Chine importe des quantités considérables de minerais et de métaux destinés à être utilisés dans la fabrication de ces produits. En 2013, la Chine a importé plus de 4 000 tonnes de minerais et de concentrés d’étain, de tungstène, de tantale et d’or, pour une valeur supérieure à 106,6 millions d’euros, en provenance de la Colombie, de la RDC, du Rwanda et du Burundi. C’est l’équivalent du poids de 333 autobus à impériale qui, s’il a été importé de zones à risque sans contrôle en bonne et due forme, pourrait avoir financé la guerre. En 2013, 23 % (en poids) des importations de minerais et de concentrés de tantale de la Chine provenaient de ces quatre pays. Notes : Toutes les données sont extraites de la base de données UN Comtrade : https://comtrade.un.org/. Les données relatives aux métaux, minerais et concentrés d’étain, de tantale, de tungstène et d’or reflètent le commerce de l’UE sous les codes SH/NC figurant dans le tableau en p.78 de l’Analyse d’impact de la Commission, disponible en anglais sur https://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2014/march/tradoc_152229.pdf. Les données relatives aux téléphones mobiles et aux ordinateurs portables reflètent le commerce de l’UE sous les codes 851712 (téléphones mobiles) et 847130 (ordinateurs portables).