Le Royaume-Uni adopte à la hâte des lois autorisant une surveillance intrusive tandis que le renseignement passe en jugement

Amnesty International et Privacy International ont accusé le gouvernement britannique d’essayer de faire adopter des lois dans la précipitation afin de détourner l’attention d’une audience historique s’ouvrant lundi 14 juillet, qui remet en question la validité des raisons invoquées par les services britanniques du renseignement pour justifier la surveillance de masse de l’utilisation des médias sociaux par les citoyens britanniques. « Le gouvernement britannique instrumentalise la législation nationale afin de pouvoir continuer à bafouer le droit international », a déclaré Michael Bochenek, directeur général chargé du droit international et de la stratégie politique au sein d’Amnesty International. « Il semble que le Premier ministre préfère déplacer les poteaux de but plutôt que respecter les règles du jeu. » À quelques jours de l’audience qui se déroulera devant l’Investigatory Powers Tribunal, Theresa May, ministre britannique de l’Intérieur, a annoncé que le gouvernement accélérait l’adoption d’un nouveau projet de loi sur la conservation des données et les pouvoirs d’enquête, un texte relatif à la surveillance d’Internet. Elle a affirmé que le projet de loi « lèvera tout doute sur l’application de nos lois relatives à l’interception ». La loi précédente, la directive de l’Union européenne sur la conservation des données, a été déclarée invalide par la Cour de justice de l’Union européenne il y a trois mois, mais les autorités ont attendu jusqu’au tout dernier moment pour faire passer la loi en force et soustraire ce texte à un examen scrupuleux. Techniquement, le projet de loi respectera l’instruction de la Cour de justice de ne pas appliquer l’ancienne loi, mais il fait fi des raisons pour lesquelles la Cour a abrogé cette dernière. Avec l’audience qui se tiendra lundi 14 juillet devant l’Investigatory Powers Tribunal, ce sera la première fois que les services britanniques du renseignement seront tenus de rendre des comptes en public pour leurs activités de surveillance de masse. Cette procédure s’inscrit dans une action en justice en cours intentée par Privacy International, Liberty, Amnesty International et d’autres groupes de défense des droits humains. Le but est de déterminer l’ampleur de la surveillance exercée par le gouvernement britannique sur leurs activités en ligne. « En choisissant ce moment précis pour l’adoption de ce texte, le gouvernement a toutes les audaces », a déclaré Carly Nyst, directrice juridique de Privacy International. « Il est honteux que les autorités cherchent à renforcer encore davantage la surveillance, à l’heure où les pouvoirs déjà étendus des services britanniques du renseignement sont remis en cause par la justice et le public. » Lors de l’audience, le groupe d’organisations de défense des droits contestera l’assertion du gouvernement selon laquelle il est habilité à intercepter sans discrimination les recherches effectuées en ligne ou les communications entre résidents britanniques, tant que ceux-ci utilisent un fournisseur de services basé hors du Royaume-Uni. « Pour la première fois, les agences britanniques du renseignement devront s’expliquer sur leurs activités et justifier leur indéfendable politique de surveillance de masse », a déclaré Michael Bochenek. « À l’heure même où le tribunal prendra connaissance des éléments du dossier, le gouvernement fera adopter en toute hâte une nouvelle loi afin de limiter l’indispensable débat sur la protection de la vie privée. » Un an après les révélations d’Edward Snowden, le gouvernement britannique continue à ne vouloir ni confirmer ni nier qu’il espionne ces groupes de défense des droits humains, et refuse de s’expliquer sur la manière dont il utilise les pouvoirs de surveillance de masse qu’il dit avoir. Or, certaines informations provenant d’autres pays, en particulier des États-Unis, mettent fortement en cause le Royaume-Uni. « Ne nous y trompons pas – la politique actuelle et le nouveau projet de loi donnent toute latitude au gouvernement pour se livrer à une intrusion massive et disproportionnée dans la vie privée des citoyens », a déclaré Carly Nyst. Le nouveau projet de loi sur la conservation des données et les pouvoirs d’enquête a été introduit avec le soutien de plusieurs partis, ce qui laisse entendre que des accords ont été conclus en coulisse. « Il semble que des négociations sont actuellement menées en privé, limitant le débat au sein de la Chambre des Communes et nimbant les agissements du gouvernement d’une aura sinistre. » Les allégations d’Edward Snowden ont révélé de profondes failles dans le système judiciaire du Royaume-Uni, mettant en évidence une tendance à approuver sans discussion les mandats relatifs à une surveillance généralisée et l’absence de procédures claires pour l’obtention d’informations auprès de l’Agence nationale de sécurité américaine. « L’audience de lundi doit donner le coup d’envoi d’un débat approfondi et honnête permettant de trouver une meilleure manière de concilier besoins de sécurité et droit à la vie privée », a déclaré Michael Bochenek. « Il est certain que le Royaume-Uni a besoin de lois nouvelles et plus claires sur les modalités de la surveillance exercée par ses services du renseignement, mais il est essentiel que le respect du droit de recevoir et de partager librement des informations sans interférence soit au cœur de celles-ci. »