En Iran, la répression étouffe les universités

• Les militants étudiants, les réformistes et les universitaires perçus comme laïques sont harcelés par les autorités.

• L’« islamisation » des programmes universitaires est en cours afin de bannir les influences dites occidentales.

• Les femmes se voient interdire d’étudier certaines matières, et des quotas sont imposés afin de limiter le nombre d’étudiantes.

• L’accès aux études supérieures pour les minorités est bloqué ou restreint.

Depuis trois décennies, les autorités iraniennes mènent une campagne de répression sans pitié contre les étudiants et les universitaires, qui sont régulièrement harcelés, arrêtés ou empêchés d’étudier ou d’enseigner en raison de leur militantisme, de leurs opinions ou de leurs convictions pourtant pacifiques, écrit Amnesty International dans un rapport rendu public lundi 2 juin. 

Ce rapport, intitulé Silenced, Expelled, Imprisoned: Repression of students and academics in Iran, met par ailleurs en lumière une discrimination généralisée, dont sont particulièrement victimes les femmes et les minorités religieuses, au sein du système universitaire du pays. « En Iran, les universités sont vues depuis longtemps comme un terrain favorable à la dissidence. Les autorités pratiquent systématiquement la tolérance zéro à l’égard des voix dissidentes dans les universités, n’hésitant pas à renvoyer, arrêter, torturer et enfermer des étudiants et des universitaires pour avoir simplement exprimé leurs opinions ou soutenu des politiciens d’opposition de manière pourtant pacifique », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International. « Les autorités iraniennes continuent à diriger les établissements universitaires d’une main de fer, autorisant même les forces de sécurité et les agences du renseignement à superviser les procédures disciplinaires sur les campus. Les inlassables efforts visant à accroître le contrôle sur la liberté académique, à bannir les étudiants qui militent pacifiquement et à écarter les femmes et les minorités religieuses ont étouffé les institutions universitaires iraniennes, laissant peu de place à la liberté de pensée ou d’expression. » Le rapport d’Amnesty International montre comment les autorités ont accru leur recours à des tactiques répressives, en particulier au lendemain de l’élection du président Mahmoud Ahmadinejad en 2005. Cela a notamment pris la forme de manœuvres visant à « islamiser » le programme universitaire de sorte à le purger des influences « occidentales » et laïques, ainsi que de mesures ayant pour objectif la diminution du nombre d’étudiantes. Par exemple, les cours portant sur les questions féminines ont été remaniés afin d’exclure les droits des femmes reconnus par le droit international, dans le souci de mettre l’accent sur les « valeurs islamiques ». Les autorités ont intégré dans leurs politiques la pratique consistant à attribuer des « étoiles » aux étudiants qui ne se conforment pas aux opinions sociales et politiques imposées par l’État, ce qui leur vaut une interdiction permanente ou temporaire d’étudier. Sous le régime du président Mahmoud Ahmadinejad, l’augmentation constante du nombre de femmes faisant des études supérieures – elles représentaient plus de la moitié des étudiants en 2002 – s’est arrêtée brutalement. Des mesures ont été introduites afin d’empêcher les femmes de suivre certaines formations considérées comme plus appropriées pour les hommes, comme celle d’ingénieur dans l’industrie minière. Un système de quotas a également été introduit afin de limiter le nombre de femmes acceptées à l’université. Malgré les premières mesures encourageantes prises par le gouvernement du président Hassan Rouhani afin de permettre la réintégration au sein de l’université d’un certain nombre d’étudiants et de professeurs visés par une interdiction, la situation reste désastreuse. Des centaines d’étudiants continuent à se voir empêcher de suivre des études supérieures et beaucoup sont maintenus en détention ; certains ont été arrêtés depuis l’élection du président Hassan Rouhani. Alors que la première année scolaire sous sa présidence touche à sa fin, de nombreuses restrictions restent en vigueur et les autorités iraniennes n’ont toujours rien fait pour garantir que la liberté académique soit respectée et que certaines des mesures destructrices adoptées durant la présidence de Mahmoud Ahmadinejad soient abrogées. Les accès d’« islamisation » de l’éducation supérieure, notamment l’application plus stricte de la séparation entre hommes et femmes sur le campus et d’un code vestimentaire pour les femmes et les jeunes filles, ainsi que l’introduction de quotas sous le régime de Mahmoud Ahmadinejad, continuent à dissuader des femmes de faire des études supérieures. Les autorités et les responsables religieux continuent par ailleurs à affirmer que le fait que des femmes fassent des études contribue à un taux plus élevé de chômage chez les hommes, à une hausse du nombre de divorces et au déclin du taux national de natalité – le guide suprême a récemment appelé de ses vœux une augmentation de la population dans plusieurs discours. « Les restrictions à l’accès des femmes à l’université, soutenues par le gouvernement, sont en soi discriminatoires et bafouent de manière flagrante l’obligation qui est faite à l’Iran de veiller à ce que l’éducation soit également accessible à tous selon les mérites de chacun. La séparation des hommes et des femmes, les quotas discriminatoires et les mesures interdisant aux femmes et aux jeunes filles de suivre certains cursus doivent être immédiatement abrogés », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui. Les restrictions à l’accès aux études supérieures ne sont pas limitées aux femmes. Chaque année, des dizaines d’étudiants appartenant à la minorité baha’ie sont soit empêchés d’intégrer l’université après avoir réussi les examens d’entrée, soit exclus ultérieurement. Les Baha’is sont vus d’un mauvais œil par les autorités et sont victimes de persécutions, prenant la forme d’arrestations, de placements en détention et d’emprisonnements. En dépit d’une accumulation d’informations prouvant le contraire, les autorités continuent à publiquement nier que qui que ce soit en Iran ait été expulsé ou emprisonné en raison de sa foi religieuse. « Les autorités iraniennes doivent veiller à ce que le droit à l’éducation pour tous soit respecté. Le président Hassan Rouhani doit tenir ses promesses concernant l’égalité des chances pour tous, quelles que soient la religion ou l’appartenance ethnique des personnes concernées. En réalité, appartenir à un groupe minoritaire en Iran ou avoir des opinions qui ne sont pas conformes aux idées sanctionnées par l’État peut vous barrer la route de l’université », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui. En vertu du droit international, personne ne doit être empêché de poursuivre ses études en raison de son genre, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son appartenance ethnique, de sa nationalité, ni de ses convictions religieuses ou autres. Les manifestations de masse ayant fait suite à l’annonce des résultats controversés de l’élection présidentielle de 2009 en Iran ont été suivies d’opérations de répression brutale, notamment de descentes dans des universités et résidences universitaires durant lesquelles des centaines d’étudiants ont été rassemblés, frappés et arrêtés. Beaucoup ont été maintenus en détention sans jugement pendant de longues périodes, et dans de nombreux cas des étudiants ont été soumis à la torture ou à d’autres formes de mauvais traitements en détention. Des dizaines de personnes purgent encore leur peine à ce jour. Le rapport d’Amnesty International donne une liste de plusieurs dizaines d’étudiants et d’universitaires qui se trouvent toujours derrière les barreaux après avoir été déclarés coupables d’infractions fourre-tout en relation avec la sécurité nationale, telles que la « propagande contre le système » ou l’« outrage au guide suprême ». Emprisonnés uniquement pour avoir exercé leurs droits de manière pacifique, ils sont des prisonniers d’opinion. « C’est à l’aune de la capacité des forces de sécurité à relâcher leur emprise sur les institutions universitaires et de la liberté qu’elles rendront à celles-ci que le gouvernement du président Hassan Rouhani sera jugé sur cette question. Les universités doivent pouvoir devenir de véritables forteresses de pensée critique et de liberté d’expression », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui.