Soudan du Sud. Des civils tués et violés sur fond de multiplication des violences et de menace de famine

De nouvelles investigations sur le conflit au Soudan du Sud ont mis en évidence les atrocités dont se sont rendues coupables les deux parties au conflit, qui ont notamment mené des attaques ciblées contre des civils en raison de leur origine ethnique et de leurs affiliations politiques présumées, atrocités qui constituent des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, écrit Amnesty International dans un rapport rendu public jeudi 8 mai 2014. Le rapport Nowhere Safe: Civilians Under Attack in South Sudan présente les récits de victimes de massacres et de violences sexuelles ainsi que de témoins d’un conflit qui a contraint plus d’un million de personnes à quitter leur domicile et qui risque de faire basculer le plus jeune pays au monde dans une catastrophe humanitaire. Ce rapport fait état des violations des droits humains commises par des forces rivales, fidèles au président Salva Kiir et à l’ancien vice-président Riek Machar depuis le début du conflit, à la mi-décembre 2013. Les civils ont été systématiquement pris pour cible dans les villes et les villages, chez eux, mais aussi dans les églises, les mosquées, les hôpitaux et même des bases des Nations unies où ils avaient trouvé refuge. Les chercheurs d’Amnesty International y ont parfois trouvé des squelettes humains et des corps en décomposition dévorés par des chiens. Ailleurs, ils ont découvert des charniers. La ville de Bor en comptait cinq, où avaient été jetés 530 corps d’après un représentant du gouvernement. Partout sur leur chemin ils ont vu des maisons pillées et incendiées, des centres de santé détruits et des magasins distribuant les rations d’aide alimentaire mis à sac. « Ces travaux de recherche témoignent des souffrances endurées par de nombreux civils qui sont incapables d’échapper à l’escalade de la violence au Soudan du Sud. Certains d’entre eux ont été massacrés dans les lieux même où ils avaient cherché refuge. Des enfants et des femmes enceintes ont été violées, tandis que des personnes âgées et des infirmes ont été abattus sur leur lit d’hôpital, a déclaré Michelle Kagari, directrice régionale adjointe d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Est. « Les forces des deux parties au conflit ont fait preuve d’un mépris total envers les principes les plus fondamentaux du droit international relatif aux droits humains et du droit international humanitaire. À tous les niveaux de la chaîne hiérarchique, les personnes responsables d’avoir commis, ordonné ou toléré des violations aussi graves, dont certaines constituent des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, doivent être amenées à rendre des comptes. » Le conflit a été déclenché par des querelles politiques, mais il a pris une tournure nettement ethnique, avec d’un côté les forces gouvernementales fidèles au président Kiir, qui appartiennent principalement aux Dinkas, et de l’autre des déserteurs et des hommes de milices alliées, fidèles à l’ex-vice-président Machar et membres pour la plupart des Nuers. Chaque partie au conflit s’en prend systématiquement aux membres de l’autre ethnie. Le rapport d’Amnesty International, qui repose sur des recherches menées sur le terrain en mars 2014, rend compte de plusieurs cas où des civils dinkas, nuers et shilluks ont été pris pour cible en raison de leur origine ethnique et de leurs affiliations politiques présumées.

Un homme qui a survécu à un massacre a raconté qu’il avait été arrêté par des soldats à Djouba et détenu avec au moins 300 autres hommes, entassés les uns sur les autres, dans des locaux d’une caserne. « Il faisait très chaud et nous n’avions pas d’eau. Vers 19 ou 20 heures, nous avons ouvert les fenêtres pour avoir un peu d’air. Des soldats ont alors tiré sur nous par les fenêtres. Beaucoup d’hommes qui se trouvaient dans la même pièce que moi ont été tués. Ceux qui étaient encore vivants restaient allongés parmi les cadavres, faisant semblant eux aussi d’être morts. Les soldats tiraient sur tout ce qui bougeait. Nous avons été 12 à réchapper au massacre », a-t-il expliqué. Une femme a raconté aux chercheurs d’Amnesty International que sa belle-sœur, âgée de 10 ans, avait été violée par 10 hommes à Gandor, dans le comté de Leer, tandis qu’une autre a témoigné du viol qu’elle avait subi avec 17 autres femmes aux mains de soldats du gouvernement à Palop. « J’étais enceinte de trois mois, mais j’ai été violée par tant d’hommes que le bébé est sorti. Ils m’auraient tuée si j’avais refusé de me faire violer. Ils ont été neuf à le faire. » Elle a expliqué que des soldats avaient enfoncé de gros bâtons en bois dans le vagin de sept femmes qui refusaient de se faire violer. Elles sont toutes mortes. En raison du conflit, la situation humanitaire au Soudan du Sud devient de plus en plus précaire. Les personnes déplacées ne peuvent pas retourner sur leurs terres du fait des violences qui sévissent dans le pays, alors qu’il s’agit d’une période cruciale, la saison de plantation. Si la population n’est pas en mesure de planter pendant les pluies, la famine sera quasi inévitable. La saison des pluies a déjà commencé, et les routes seront bientôt impraticables, ce qui rendra impossible l’acheminement de l’aide humanitaire dont a tant besoin la population dans de nombreuses zones touchées par le conflit. La livraison d’assistance humanitaire, y compris de nourriture et de matériel médical, à celles et ceux qui ont été déplacés par le conflit est délibérément bloquée, et des organismes humanitaires ont vu leurs activités entravées et ont été attaqués dans les États de Jonglei, du Haut-Nil et de l’Unité. Au moins trois membres de ces organismes ont été tués. En réaction à la flambée de violences que connaît le Soudan du Sud, le Conseil de sécurité des Nations unies a décidé à l’unanimité en décembre dernier d’augmenter provisoirement le nombre de soldats de maintien de la paix, mais leur déploiement se fait au compte-gouttes et la Mission des Nations unies au Soudan du Sud (MINUSS) peine à remplir son mandat de protection des civils. Une commission d’enquête, chargée d’enquêter sur les violations des droits humains, a été créée par le Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union africaine, mais les membres de cette commission viennent tout juste d’entamer leurs investigations sur le terrain, et les promesses qu’avait faites le gouvernement sud-soudanais d’enquêter sur les violations commises par ses forces n’ont toujours pas été tenues. Il faut de toute urgence que des mesures concrètes soient prises aux échelons local, régional et international pour mettre fin aux violences, faire cesser les représailles à l’encontre des civils et amener les responsables à répondre de leurs actes. Les principales recommandations d’Amnesty International sont les suivantes : • Les Nations unies doivent modifier le mandat de la MINUSS de sorte qu’il soit axé sur la protection de la population civile, sur l’ouverture d’enquêtes sur les violations des droits humains et sur la garantie d’accès à l’aide humanitaire. • Les parties au conflit doivent immédiatement cesser de commettre des violations du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains et autoriser les organismes humanitaires à accéder sans entraves à celles et ceux qui en ont besoin. • Les deux parties au conflit doivent coopérer pleinement dans le cadre d’enquêtes indépendantes et impartiales ouvertes sur ces violations, y compris par la commission d’enquête de l’Union africaine, et prendre les mesures qui s’imposent pour traduire en justice les auteurs d’atteintes aux droits fondamentaux et de violations du droit humanitaire. Des exemplaires du rapport, du communiqué de presse et du matériel vidéo et photo sont disponibles sur demande avant leur parution. Pour de plus amples informations, veuillez contacter Stefan Simanowitz, attaché de presse : +44 (0) 20 7413 5729 ou 07721398984, [email protected]. Notes aux rédacteurs : Ce rapport se fonde sur des informations obtenues par Amnesty International et provenant de sources de première et seconde mains. Une délégation d’Amnesty International a effectué une mission de recherche au Soudan du Sud en mars 2014. Elle s’est rendue à Djouba, la capitale du pays, ainsi que dans les villes de Bor (État de Jonglei), de Bentiu (État de l’Unité) et de Malakal (État du Haut-Nil). Les délégués se sont entretenus avec plus de 100 témoins, et ont rencontré des représentants du gouvernement aux niveaux local, national et des États, des membres de l’Armée populaire de libération du Soudan (APLS) et du Service de police du Soudan du Sud, ainsi que des représentants des forces de l’opposition. Témoignages inclus dans le rapport : • Une femme raconte que, le 16 décembre 2013, dans le quartier d’Eden de la ville de Djouba, son fils de 20 ans et deux autres hommes ont été emmenés par des soldats qui ont fait irruption chez elle en pleine nuit. « Ils les ont fait sortir, leur ont attaché les mains dans le dos, puis les pieds avec la même corde, si bien qu’ils étaient ligotés comme des moutons et ne pouvaient plus bouger. Et ils ont tiré sur eux à plusieurs reprises. » Elle s’est enfuie chez un voisin, puis a été victime avec neuf autres femmes d’un viol en réunion par des soldats. • À Bor (État de Jonglei), les corps de 18 femmes ont été retrouvés dans l’enceinte de la cathédrale Saint Andrew et autour de celle-ci en janvier 2014. Ces femmes ont, semble-t-il, été victimes d’une attaque perpétrée par les forces de l’opposition. Toutes appartenaient à l’ethnie dinka, et six d’entre elles étaient membres du clergé. • À Malakal (État du Haut-Nil), Amnesty International s’est rendue dans un entrepôt du Programme alimentaire mondial (PAM) qui avait été pillé et détruit en janvier 2014, lorsque les forces de l’opposition se sont emparées de la ville. Les provisions alimentaires, qui devaient permettre de nourrir 400 000 personnes pendant trois mois, auraient été saccagées en moins de trois jours.