Justice différée jusqu’à la fin

C’est un triste jour pour les droits humains et la justice.

Herman Wallace, âgé de 71 ans, a succombé à un cancer du foie après avoir passé plus de 41 années à l’isolement dans une prison de Louisiane.

La seule consolation est qu’il est mort en homme libre, un juge fédéral ayant annulé sa condamnation la semaine dernière.

Malgré tout, persistant dans son obsession depuis plusieurs décennies de maintenir Herman Wallace derrière les barreaux, l’État de Louisiane avait fait appel de la décision de justice ordonnant sa libération immédiate.

Heureusement, au bout de quelques heures, le même juge fédéral avait débouté l’État de son appel et menacé de le sanctionner pour atteinte à l’autorité du tribunal. Alors seulement, l’État avait enfin libéré Herman Wallace.

Ce dernier était si faible qu’il a quitté la prison en ambulance, pour être conduit directement à l’hôpital.

De sa condamnation sujette à caution lors de son procès entaché de graves irrégularités en 1974, à ses 41 années d’incarcération dans des conditions cruelles, inhumaines et dégradantes, puis à son diagnostic retardé et à sa mort, le traitement d’Herman Wallace par l’État a été obstinément marqué par un profond mépris de ses droits fondamentaux.

Amnesty International avait mené campagne pendant des années pour qu’Herman Wallace ne soit plus détenu à l’isolement. Plus récemment, après le diagnostic indiquant qu’il souffrait d’un cancer du foie, l’organisation avait également milité pour qu’il soit libéré de prison afin de passer ses derniers jours entouré des siens.

Herman Wallace, un Afro-Américain, avait été déclaré coupable en 1974 du meurtre d’un surveillant pénitentiaire, Brent Miller, par un jury exclusivement composé d’hommes blancs.

Aucune trace d’ADN, ni même le couteau ou les empreintes digitales ensanglantées trouvés sur les lieux, n’avaient permis d’établir un lien entre lui et le crime. Le principal témoignage à charge s’est révélé par la suite avoir été acheté par l’État en échange de faveurs, dont une grâce.

En raison de la gravité des manquements commis par le parquet et des violations de la Constitution, le directeur de l’administration judiciaire de l’État avait recommandé en 2006 une annulation de la condamnation d’Herman Wallace.

Cependant, la cour suprême de Louisiane avait rejeté son appel sans explication.

En 2009, Herman Wallace avait demandé une révision de son procès par la justice fédérale. Le jugement rendu mardi 1er octobre a annulé sa condamnation en raison de l’exclusion systématique des femmes du jury l’ayant mis en accusation pour le meurtre en 1973. Ce n’est qu’une des nombreuses irrégularités relevées dans cette affaire.

Immédiatement après le meurtre, Herman Wallace a été placé en détention à l’isolement dans une cellule de deux mètres sur trois et enfermé dans ce minuscule espace 23 heures par jour. Privé de véritables interactions sociales et de toute possibilité de travailler, il n’a bénéficié d’aucun programme d’enseignement ou de réinsertion.

Durant ses 41 années de détention à l’isolement, il n’était autorisé à quitter sa cellule que sept heures par semaine, qu’il passait seul à se doucher ou à prendre l’air. Aux termes du droit international, ces conditions s’apparentent à un traitement cruel, inhumain et dégradant.

À la connaissance d’Amnesty International, une seule autre personne aux États-Unis a été détenue plus longtemps dans des conditions aussi éprouvantes. À l’injustice d’être détenu dans des conditions cruelles pendant plusieurs décennies s’est ajouté le fait de se voir refuser un véritable réexamen des motifs justifiant son maintien à l’isolement.

Depuis 1972, la commission de révision de la prison a examiné et réaffirmé à plus de 160 reprises la décision initiale de maintenir Herman Wallace à l’isolement. La décision des autorités pénitentiaires ne pouvait pas être justifiée par son comportement, car les registres de la prison montrent qu’il n’a commis aucune infraction disciplinaire grave en plusieurs décennies et le dossier relatif à sa santé mentale précise qu’il ne représentait aucune menace ni pour lui-même, ni pour autrui.

Herman Wallace a toujours clamé son innocence. Il pensait avoir été mis en cause à tort en raison de son militantisme politique en prison en tant que membre du parti des Panthères noires (BPP).

Avec Albert Woodfox, également condamné pour le même crime, il avait créé la première section du BPP au sein du pénitencier d’État de Louisiane dans les années 1970. Ensemble, ils s’efforçaient d’unir tous les détenus pour lutter contre les agressions sexuelles et la violence endémiques qui faisaient de cette prison l’une des plus dangereuses de son temps.

Il n’y a jamais eu aucune raison valable de soumettre Herman Wallace à un tel isolement prolongé. Son traitement par les autorités de Louisiane bafouait le principe fondamental selon lequel tous les prisonniers, quels que soient leurs antécédents, doivent être traités avec humanité.

Avant qu’on diagnostique chez lui un cancer du foie en juin, les conditions de vie d’Herman Wallace avaient déjà eu des conséquences sur sa santé physique et psychologique.

En 2007, un juge fédéral a estimé que les conditions dans lesquelles il était détenu constituaient une privation de ses besoins humains fondamentaux et que les autorités pénitentiaires auraient dû se rendre compte qu’un tel traitement pouvait nuire gravement à la santé physique et mentale des prisonniers.

En juin 2013, à la suite d’un diagnostic tardif prononcé seulement après une perte de poids de plus de 20 kilos, Herman Wallace avait été transféré de sa cellule d’isolement à un dortoir de moyenne sécurité dans l’infirmerie de la prison.

Selon ses avocats, les soins médicaux qui lui ont été dispensés par les autorités pénitentiaires étaient de piètre qualité, aussi bien avant qu’après le diagnostic.

Il est déplorable qu’Herman Wallace n’ait pas été libéré plus tôt.

Plus de 110 000 personnes ont signé une pétition adressée au gouverneur de Louisiane pour qu’il accède à cette demande.

Albert Woodfox, qui a lui aussi toujours clamé son innocence, demeure détenu à l’isolement dans des conditions éprouvantes. Sa condamnation a récemment été annulée pour la troisième fois par la justice fédérale. Cependant, il reste en prison dans l’attente d’une décision concernant un nouvel appel formé par l’État.

Amnesty International continue de demander que l’isolement d’Albert Woodfox cesse immédiatement.

Dans cette affaire, qui a toujours davantage tenu de la vengeance que de la justice, l’État doit se désister sans délai de son appel et rendre sa liberté à Albert Woodfox avant qu’il ne soit trop tard.