Myanmar : un rapport imparfait qui ne va pas suffire à briser le cycle de la violence entre bouddhistes et musulmans

Les recommandations qui figurent dans un rapport commandé par le gouvernement sur les violences dévastatrices qui ont eu lieu en 2012 au Myanmar ne s’attaquent pas efficacement à la discrimination dont sont victimes les musulmans rohingyas et pourraient entraîner de nouvelles atteintes aux droits humains, a déclaré Amnesty International. Une commission nommée par le gouvernement vient de rendre les conclusions de son enquête sur les violences entre les communautés bouddhiste et musulmane qui ont débuté en juin 2012 dans l’État d’Arakan, dans l’ouest du Myanmar. Ces affrontements ont fait de nombreuses victimes et des milliers de déplacés. La commission, qui ne compte aucun Rohingya parmi ses membres, appelle le gouvernement à « doubler » les effectifs des forces de sécurité dans l’État d’Arakan, notamment de la police des frontières (connue sous le nom de NaSaKa). « Ce rapport contient des éléments positifs, mais aussi un certain nombre d’imperfections. Déployer davantage d’agents des forces de l’ordre sans commencer par suspendre, dans l’attente d’une enquête, ceux qui pourraient avoir participé à des violations des droits humains pendant les affrontements de l’an dernier pourrait favoriser de nouvelles violences », a déclaré Isabelle Arradon, directrice adjointe du programme Asie d’Amnesty International. « Il est aussi indispensable de procéder à une réforme en profondeur des forces de sécurité, avec notamment la mise en place de mécanismes solides d’obligation de rendre des comptes, de systèmes de contrôle appropriés et d’une formation aux normes internationales pertinentes. » Depuis juin 2012, la NaSaKa, la police et l’armée ont incarcéré arbitrairement des centaines d’hommes et de garçons, principalement issus de régions peuplées majoritairement de musulmans, et ont soumis un grand nombre d’entre eux à la torture et à d’autres mauvais traitements. L’absence de réaction des forces de sécurité à des attaques visant des musulmans, en particulier des membres de la minorité rohingya, est aussi régulièrement dénoncée. Il est arrivé également que les forces de sécurité aient recours à une force non nécessaire et excessive, faisant des morts et des blessés. La commission a tout de même recommandé la mise en place d’une commission Vérité, et a souligné la nécessité de « poursuivre » ceux qui violent la loi. « La mise en place d’une commission Vérité est une mesure positive, à condition qu’elle s’inscrive dans le cadre d’une enquête indépendante visant à déterminer les responsabilités et que ses conclusions soient rendues publiques », a souligné Isabelle Arradon. « Toutefois, une telle commission ne doit pas faire obstacle à la justice pénale ni aux réparations pour les crimes relevant du droit international, et ne saurait les remplacer. » Le rapport de la commission d’enquête, qui qualifie les Rohingyas de « Bengalis », estime que les revendications de cette communauté en matière de nationalité doivent être examinées « de façon transparente et responsable ». Toutefois, il ne demande pas la révision de la Loi de 1982 relative à la citoyenneté, qui a rendu les musulmans rohingyas apatrides de fait. « En vertu des normes internationales relatives aux droits humains, nul ne doit être laissé dans une situation d’apatridie. Toute disposition qui empêche les Rohingyas d’accéder à la nationalité au même titre que les autres habitants du Myanmar constitue une forme de discrimination à laquelle il convient de remédier de toute urgence », a indiqué Isabelle Arradon. La commission recommande aussi plusieurs mesures pour résoudre la crise humanitaire dans l’État d’Arakan, reconnaissant l’existence d’« un certain nombre de lacunes » dans la réponse apportée à cette crise. Selon les estimations des Nations unies, quelque 140 000 personnes sont toujours déplacées dans l’État d’Arakan et ont difficilement accès aux denrées et services de première nécessité, comme la nourriture et les soins médicaux. La situation devrait encore s’aggraver pendant la saison de la mousson, qui commence en mai, car les fortes pluies risquent d’inonder certains camps de personnes déplacées. « Il est profondément préoccupant que les organisations humanitaires ne puissent toujours pas accéder librement à toutes les populations qui ont besoin d’aide, y compris celles qui vivent dans des régions reculées ou dans des camps non enregistrés », a dénoncé Isabelle Arradon. « Pour éviter une crise humanitaire à l’approche de la saison des pluies, des dispositions doivent être prises immédiatement en faveur des personnes déplacées qui vivent dans des zones inondables. » La commission recommande dans son rapport que la ségrégation de fait qui a été instaurée à la suite des violences entre les Rakhines (bouddhistes) et les Rohingyas soit maintenue tant que les tensions entre ces deux populations ne seront pas apaisées. « Si la nécessité de rétablir le calme ne fait aucun doute, les autorités doivent aussi consulter les personnes déplacées et élaborer un plan pour faciliter leur retour volontaire. La ségrégation et les camps de personnes déplacées ne peuvent pas être des solutions à long terme », a souligné Isabelle Arradon. La commission, créée en août 2012, compte parmi ses membres 27 parties intéressées, dont des musulmans, mais les Rohingyas n’y sont pas représentés.