Égypte : la condamnation d’Hosni Moubarak ne rend pas pleinement justice aux victimes

La condamnation de l’ancien président égyptien Hosni Moubarak à la réclusion à perpétuité pour l’homicide de manifestants lors de la « révolution du 25 Janvier », en 2011, est une avancée de taille dans le cadre de la lutte contre l’impunité qui sévit de longue date en Égypte, a déclaré Amnesty International. Habib Adly, qui était alors ministre de l’Intérieur, a été condamné à la même peine, pour les mêmes faits. L’acquittement de tous les autres accusés, dont de hauts responsables des forces de sécurité, empêche cependant de nombreuses personnes d’obtenir pleinement justice. « Nous avons toujours soutenu le procès d’Hosni Moubarak et de ces autres personnes pour leur rôle présumé dans les homicides de manifestants depuis janvier 2011. Cependant, ce procès et les jugements prononcés laissent aujourd’hui les proches des personnes tuées dans le cadre des manifestations, ainsi que les blessés, dans l’incertitude quant à ce qui s’est réellement passé ; ils ne rendent donc pas pleinement justice », a indiqué Ann Harrison, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International. « Les autorités égyptiennes doivent désormais charger une commission d’enquête indépendante et impartiale de répondre aux questions laissées en suspens par le tribunal. » Six hauts responsables des forces de sécurité, dont l’ancien chef du Service du renseignement de la sûreté de l’État, ont été acquittés. Quelque 840 manifestants ont été tués et plus de 6 000 autres blessés au cours du soulèvement ayant conduit Hosni Moubarak à quitter le pouvoir le 11 février 2011. Les accusations de corruption portées contre deux des fils d’Hosni Moubarak, Gamal et Alaa, ainsi que contre son associé d’affaires Hussein Salem, jugé par contumace, ont été abandonnées. À l’annonce du jugement, beaucoup dans la salle d’audience se sont mis à hurler « le peuple veut nettoyer la justice » afin de manifester leur mécontentement face à l’acquittement de tous les autres accusés. Le parquet a indiqué lors des plaidoiries que l’Agence de sécurité nationale des renseignements généraux et le ministère de l’Intérieur ne l’avaient pas suffisamment aidé à recueillir davantage d’éléments de preuve. À divers moments des procès, de nombreux proches de victimes n’ont pas été autorisés à pénétrer dans la salle d’audiences, et ont parfois même été frappés et menacés par la police. D’autres fois, ils se sont heurtés à des sympathisants d’Hosni Moubarak. « Nous déplorons que le manque de coopération des autorités avec le parquet se soit soldé par une occasion manquée de faire toute la lumière sur ce qui s’est passé durant ce soulèvement de 18 jours, ainsi que par la suite », a poursuivi Ann Harrison. « Cette absence de coopération a sans aucun doute eu un impact sur le jugement rendu mais, surtout, elle est le signe d’un non respect de l’état de droit et empêche les familles des victimes et les blessés d’avoir connaissance de tous les faits qui les concernent. » Le jugement devait démontrer que l’état de droit avait été renforcé, et ainsi signaler de manière forte que les violations des droits humains ne seront pas tolérées à l’avenir et que nul n’est au-dessus des lois. Dans le même temps, ce jugement montre que les violations des droits humains commises par le passé peuvent et doivent être sanctionnées sans recours à la peine de mort, contrairement à ce que le parquet avait requis.   Dans le système pénal égyptien, Hosni Moubarak et les autres ont le droit de faire appel auprès de la plus haute juridiction du pays, la Cour de cassation, qui passera en revue la manière dont le droit et les procédures ont été appliqués, mais ne réexaminera pas les éléments de preuve produits. Le parquet a également le droit de faire appel. Pendant toute la durée de la présidence d’Hosni Moubarak, soit 30 ans, des violations des droits humains ont été commises en toute impunité, en particulier par des membres du Service du renseignement de la sûreté de l’État, désormais dissous. Beaucoup voient l’acquittement de l’ensemble des hauts responsables des forces de sécurité comme un signe que les auteurs présumés de violations des droits humains peuvent continuer à se soustraire à la justice. Au cours de l’année écoulée, de nombreux policiers directement accusés d’avoir tué des manifestants lors du soulèvement ont été acquittés, ce qui a suscité la colère et la frustration des proches de victimes, et donné du poids au grief selon lequel la justice continue à les trahir même après la révolution du 25 Janvier. Les procès de ce type offrent aux blessés et aux familles des défunts la possibilité non seulement d’obtenir justice, mais également d’apprendre la vérité sur ce qui s’est passé. Ils doivent permettre aux victimes de bénéficier de réparations complètes et effectives, et notamment d’une réadaptation, pour les violations subies. « Les décisions de justice rendues samedi 2 juin doivent être l’occasion de lancer de toute urgence des réformes institutionnelles et juridiques, et de mettre ainsi fin à la culture de l’impunité pour les violations des droits humains, qui est profondément enracinée en Égypte », a ajouté Ann Harrison. « Tant que ces réformes ne seront pas en place, les membres des forces de sécurité et autres verront qu’ils sont en mesure d’échapper aux sanctions pour les violations qu’ils commettent. »