La déclaration de culpabilité visant Charles Taylor montre que nul n’est au-dessus des lois

La condamnation de Charles Taylor par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone fait clairement savoir aux dirigeants de tous les pays que nul n’est à l’abri de la justice, a déclaré Amnesty International. Si cet arrêt apporte une certaine satisfaction aux victimes, il reste cependant beaucoup à faire désormais, a-t-elle ajouté. « Le jugement du jeudi 26 avril est important car il envoie aux hauts responsables le message sans équivoque selon lequel, qui que vous soyez et quelles que soient les fonctions que vous occupez, vous serez jugé pour vos crimes », a déclaré Brima Abdulai Sheriff, directeur d’Amnesty International en Sierra Leone. « Ce jugement peut aussi être vu comme un message envoyé au pays d’origine de Charles Taylor, le Liberia, pour lui rappeler que les responsables des crimes commis pendant le conflit au Liberia doivent être déférés à la justice. » Brima Abdulai Sheriff s’exprimait après avoir assisté avec des centaines de Sierra-Léonais à la retransmission, au siège du Tribunal à Freetown, de la lecture du jugement. La chambre de première instance du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, qui siège à La Haye pour des raisons de sécurité, a déclaré Charles Taylor coupable de 11 chefs d’accusation de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre commis dans ce pays d’Afrique de l’Ouest entre 1996 et 2002. Le prononcé de la peine aura lieu bientôt, lors d’une audience distincte. La défense et l’accusation peuvent faire appel du jugement. Le juge présidant le tribunal a déclaré que l’accusation avait prouvé au-delà de tout doute raisonnable que Charles Taylor était responsable de la planification de crimes commis en Sierra Leone par le Front révolutionnaire uni (RUF) et le Conseil révolutionnaire des forces armées (AFRC), et qu’il avait été complice de l’exécution de ces crimes. Des victimes qui attendent toujours que la justice soit rendue Si la déclaration de culpabilité prononcée jeudi 26 avril est très importante, Amnesty International demeure préoccupée par le fait que des milliers de personnes victimes d’atrocités pendant une décennie de conflit armé attendent toujours de voir les auteurs de ces agissements déférés à la justice. Du fait que le Tribunal spécial a été mandaté pour enquêter uniquement sur les personnes ayant la plus grande responsabilité dans les graves violations du droit international humanitaire commises sur le territoire de la Sierra Leone, et d’engager des poursuites à leur encontre, seules 12 personnes en plus de Charles Taylor ont été inculpées de crimes. Trois de ces personnes sont mortes et un suspect est en fuite. Des milliers d’autres suspects appartenant au RUF, à l’AFRC et aux Forces de défense civile (CDF) n’ont pas été remis au Tribunal spécial pour la Sierra Leone ni à la justice sierra-léonaise. « Si la condamnation du jeudi 26 avril apporte un peu de justice à la population de la Sierra Leone, il n’en reste pas moins que Charles Taylor et les autres personnes condamnées par le Tribunal spécial forment juste la partie visible de l’iceberg », a déclaré Brima Abdulai Sheriff. « Des milliers de personnes soupçonnées d’être responsables de cas d’homicides illégaux, de viol et de violence sexuelle, de mutilations et d’utilisation d’enfants pendant le conflit armé en Sierre Leone n’ont fait l’objet d’aucune enquête et encore moins de poursuites judiciaires. » « Malheureusement, seul un nombre limité des milliers de victimes qui portent les terribles cicatrices du conflit ont reçu réparation, malgré l’Accord de paix de Lomé et les recommandations précises formulées par la Commission vérité et réconciliation. « Les réparations sont essentielles pour donner aux victimes le sentiment que la justice a été rendue et pour les aider à commencer une nouvelle vie. » En 2004, la Commission vérité et réconciliation a fourni un rapport contenant des recommandations détaillées sur les réparations à fournir aux personnes ayant souffert tout au long du conflit. Il reste cependant du travail à accomplir pour que soit mis en place un plan à long terme permettant à toutes les victimes de recevoir les réparations qui leur reviennent. Une personne victime d’une double amputation des bras a déclaré à Amnesty International : « Rien n’est prévu pour l’indemnisation des victimes. Cela fait des années que nous leur demandons par le biais des tribunaux de trouver les moyens de nous indemniser mais les victimes sont toujours à la rue en train de mendier pour survivre. » Amnesty International continue de demander que les dispositions de l’Accord de paix de Lomé (1999) prévoyant une amnistie soient supprimées, et qu’une loi définissant les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité comme des crimes relevant du droit sierra-léonais soit adoptée. À ce jour, les milliers de personnes soupçonnées de crimes qui ne sont pas jugées par le Tribunal spécial ne peuvent pas être jugées en Sierra Leone. En plus de supprimer les dispositions relatives à une amnistie, les autorités sierra-léonaises devraient rendre le droit pénal du pays conforme au droit international et faire en sorte que la justice sierra-léonaise ait les moyens d’enquêter sur tous les crimes de droit international et d’en juger les auteurs présumés équitablement et sans avoir recours à la peine de mort ; il faut aussi qu’elles permettent aux survivants de demander directement des réparations aux personnes reconnues coupables. Liberia : un climat d’impunité Le jugement rendu jeudi 26 avril à l’encontre de Charles Taylor a attiré l’attention sur les crimes qui n’ont pas encore été jugés au Liberia, pays natal de l’ancien chef d’État. « Les obstacles politiques et législatifs qui empêchent de juger les suspects en Sierra Leone n’ont d’égal que le climat d’impunité qui prévaut au Liberia », a déclaré Brima Abdulai Sheriff. Pendant les 14 années de guerre civile au Liberia, au cours desquelles Charles Taylor a été d’abord le dirigeant d’un des nombreux groupes d’opposition armés puis le président du pays, toutes les parties au conflit se sont rendues coupables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité (y compris de meurtres à caractère ethnique) ; d’actes de torture ; de viols et d’autres crimes de violence sexuelle ; d’enlèvements, et de recrutement et d’utilisation d’enfants-soldats. La recommandation de la Commission vérité et réconciliation du Liberia de créer un tribunal pénal chargé de poursuivre les personnes soupçonnées d’être responsables de crimes de droit international n’a pas été suivie d’effet, comme la plupart des autres recommandations de la Commission concernant une réforme de la justice ou d’autres réformes institutionnelles, l’obligation de rendre des comptes et les réparations aux victimes. « L’absence de justice pour les victimes du conflit au Liberia est choquante. Le gouvernement du Liberia doit mettre fin au règne de l’impunité en promulguant les lois nécessaires et en faisant en sorte, comme il en a le devoir, que des enquêtes soient menées sur les auteurs présumés de violences, et que ceux-ci soient déférés à la justice.