Il est urgent de protéger les personnes sans défense contre la montée de la violence en Côte d’Ivoire

Des témoins oculaires ont dit à Amnesty International que les enlèvements, les disparitions et les mauvais traitements physiques se multiplient à mesure que la violence post électorale s’amplifie en Côte d’Ivoire. Amnesty International reçoit de plus en plus d’informations signalant que des personnes ont été arrêtées ou enlevées, chez elles ou dans la rue, souvent par des agresseurs armés non identifiés accompagnés de membres des forces de défense et de sécurité, ainsi que de miliciens. Des gendarmes et des policiers sont accusés d’avoir attaqué une mosquée à Grand-Bassam ; ils auraient tiré à balles réelles sur la foule, et attouché et frappé des manifestantes. « Il apparaît clairement que de plus en plus de gens sont soumis à des arrestations illégales par les forces de sécurité ou des miliciens armés, et nous craignons que nombre d’entre eux n’aient été tués ou n’aient disparu », a déclaré Salvatore Saguès, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International. Amnesty International a reçu des informations selon lesquelles certains individus identifiés comme étant des sympathisants avérés ou présumés du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix, le parti de coalition ayant soutenu Alassane Ouattara lors de l’élection présidentielle, sont victimes d’un harcèlement constant : « Nous ne dormons pas de la nuit. Nous sommes toujours aux aguets et lorsque nous voyons des gens armés, en uniforme ou en civil, nous faisons du bruit avec des casseroles afin d’alerter nos voisins et de dissuader ces personnes », ont confié à Amnesty International de nombreux résidents des quartiers d’Abobo, d’Adjame, de Treichville et de Yopougon. Amnesty International a pris connaissance de nombreux cas de personnes arrêtées par les forces de sécurité ou des miliciens loyaux à Laurent Gbagbo. Les corps de certaines d’entre elles ont été retrouvés à la morgue ou dans la rue. On ignore où se trouvent de nombreuses autres personnes. Dans la soirée du 16 décembre, quelques heures après qu’un défilé organisé par des sympathisants d’Alassane Ouattara eut été violemment réprimé par les forces de sécurité, des témoins ont assisté à l’enlèvement de Drissa Yahou Ali et Konan Rochlin chez eux, dans une zone appelée Avocatiers, à Adobo, un quartier d’Abidjan. Un témoin a raconté à Amnesty International : « Vers 19 heures, une Mercedes noire s’est arrêtée devant notre mur d’enceinte. Des gens vêtus d’un t-shirt noir et d’un pantalon militaire sont entrés dans la cour et ont demandé à voir Drissa. Ils les ont pris, Rochlin et lui, et sont partis. » Leurs corps ont été retrouvés deux jours plus tard à la morgue de Yopougon. Le 18 décembre, Brahima Ouattara et Abdoulaye Coulibaly, membres d’une organisation appelée Alliance pour le changement (APC) ont été arrêtés près d’une pharmacie à Angré, dans le secteur de Cocody, un quartier d’Abidjan. Un témoin a raconté à Amnesty International : « Une voiture de la garde républicaine s’est arrêtée. Les passagers ont demandé aux gens tout autour de se mettre à terre et ils ont emmené les deux membres de l’APC. Personne ne les a revus depuis. » La violence et les mauvais traitements ne sont pas restés circonscrits à Abidjan. L’après-midi du 17 décembre, à Grand-Bassam, à une quarantaine de km à l’est d’Abidjan, près de 100 gendarmes et policiers ont encerclé une mosquée et y ont lancé des grenades lacrymogènes. Un témoin a raconté à Amnesty International : « Il était environ 13 heures. Nous écoutions le prêche de l’imam lorsque nous avons vu des gendarmes et des policiers autour de la mosquée. Certains de nos jeunes sont allés protester et on nous a lancé des grenades lacrymogènes dessus, alors nous avons dû fuir. » Le lendemain matin, le 18 décembre, les gendarmes ont arrêté plusieurs personnes dans une maison. Un témoin a raconté à Amnesty International : « Ils ont pris trois jeunes gens et les ont frappés avec un pilon. Ils recherchaient aussi d’autres personnes et nous avons tous fui, alors ils nous ont tiré dessus à balles réelles. » Quelques heures plus tard, plus de 300 femmes ont défilé devant le poste de police pour réclamer la libération des personnes arrêtées. L’une d’entre elles a déclaré à Amnesty International : « Ils nous ont frappées. Ils ont déchiré nos sous-vêtements. Ils nous ont touchées au vagin avec leurs mains et nous ont touché les seins. » Dimanche 19 décembre, Laurent Gbagbo a exigé que la mission des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) et la mission française Opération Licorne retirent leurs forces du pays. Les Nations unies ont refusé, avançant que Laurent Gbagbo n’est pas le président reconnu par la communauté internationale et qu’il n’a pas le droit de demander le départ de leurs forces de maintien de la paix. Le 20 décembre, le Conseil de sécurité de l’ONU a prolongé de six mois le mandat de la force de maintien de la paix en Côte d’Ivoire. Le gouvernement français a également déclaré que sa force, composée de plus de 900 éléments, resterait en place. Dans une déclaration séparée, le Conseil de sécurité a signalé que toute personne responsable d’attaques visant des civils ou des soldats chargés du maintien de la paix pourrait être traduite devant un tribunal international. Un responsable du maintien de la paix a dit à New York que les troupes de l’ONU étaient prêtes à faire feu pour se défendre et défendre leur mandat, qui inclut la protection des civils. Le 19 décembre, Navi Pillay, la haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, a dit que plus de 50 personnes avaient été tuées au cours des trois jours précédents et que plus de 200 avaient été blessées. « Face à une situation dans laquelle les forces de sécurité prennent part à la commission de graves violations des droits humains, la communauté internationale doit agir afin qu’il soit immédiatement mis fin à ces abus », a conclu Salvatore Saguès.