Myanmar : les prisonniers politiques continuent de lutter pour leurs droits derrière les barreaux

La libération le 13 novembre 2010 d’Aung San Suu Kyi, qui était placée en résidence surveillée, braque les projecteurs sur les souffrances qu’endurent pas moins de 2 200 prisonniers politiques toujours incarcérés au Myanmar, beaucoup d’entre eux pour le seul crime d’avoir exercé leurs libertés d’expression, d’association et de réunion. Le gouvernement du Myanmar s’appuie sur des textes de loi sévères et formulés en termes vagues pour incarcérer durant des années des dissidents pacifiques au motif qu’ils ont diffusé des documents écrits interdits, fondé une organisation que la junte considère comme « illégale » ou émis des critiques à l’égard des autorités. Amnesty International dresse le portrait de quatre prisonniers d’opinion dont les condamnations cumulées s’élèvent à 229 années d’emprisonnement. Malgré les problèmes de santé, la torture, les travaux forcés, les emprisonnements répétés et l’incarcération loin de leurs familles et de leurs sympathisants, certains d’entre eux continuent de lutter pour leurs droits derrière les barreaux.

Min Ko Naing, 48 ansMilitant chevronné : condamné à 65 ans de prisonMin Ko Naing a été arrêté en août 2007, deux jours après avoir pris la tête d’une manifestation organisée à Yangon (ex-Rangoon), pour protester contre la hausse du prix du carburant. Il avait été libéré depuis trois ans seulement, après avoir purgé une peine d’emprisonnement de 15 ans pour son rôle de premier plan dans les manifestations de grande ampleur en faveur de la démocratie de 1988, lorsqu’il présidait la Fédération des syndicats étudiants de Birmanie (ABFSU). Insoumis après des années d’isolement cellulaire et de mauvais traitements, lorsqu’il a retrouvé la liberté, il s’est de nouveau lancé dans le militantisme et a cofondé en 2005, avec ses vieux amis qui avaient pris part au soulèvement de 1988, le mouvement Étudiants de la génération 88, qui avait pour objectif de reprendre les initiatives visant à ouvrir l’espace politique dans le pays. Min Ko Naing a été condamné en novembre 2008, ainsi que 22 autres membres du mouvement, à 65 ans de prison. Une fois derrière les barreaux, il a conclu un pacte en 2007 avec d’autres membres de son groupe incarcérés et décidé de s’opposer à toute élection au Myanmar qui ne prévoirait pas la libération des prisonniers politiques. Dans les semaines qui ont suivi son arrestation en 2007, les manifestations qu’il avait contribuées à déclencher ont éclaté dans tout le pays ; les moines bouddhistes et la population sont descendus ensemble dans la rue, donnant lieu à la plus grande démonstration de désobéissance depuis 1988. Ce mouvement allait bientôt être baptisé la « révolution de safran », en référence à la couleur des robes des moines. U Gambira, 32 ansA pris part à la « révolution de safran » : condamné à 63 ans de prison, actuellement à l’isolementDans le cadre de la vague d’arrestations qui s’est abattue sur les manifestants dénonçant la hausse des prix du carburant en août 2007, le moine bouddhiste U Gambira a fondé l’Union des moines de Birmanie (ABMU) afin de contribuer à mettre sur pied et piloter les manifestations de la « révolution de safran ». Avec l’appui des moines, les manifestations au départ mineures contre les prix des produits de base ont gagné en confiance et éclaté partout dans le pays, pour revendiquer une réforme politique et la libération des prisonniers politiques. Les autorités ont réprimé le mouvement avec violence fin septembre 2007 et U Gambira s’est réfugié dans la clandestinité, tout en continuant à donner des interviews dans lesquelles il sollicitait un soutien international et exprimait sa solidarité avec les manifestants. Pourchassé, il a finalement été arrêté en novembre 2007. Il est à ce jour condamné au total à 63 ans de prison, dont des travaux forcés. Malgré la torture et les problèmes de santé, U Gambira n’a pas cessé de défier les autorités en prison ; il a notamment manifesté en scandant des slogans bouddhistes avec d’autres détenus et observé une grève de la faim. Après que sa robe de moine lui a été retirée en prison, il a refusé de répondre à une convocation du tribunal, au nom de la dignité du bouddhisme. Il est désormais maintenu à l’isolement.

Su Su Nway, 39 ansCondamnée aux travaux forcés : huit ans et demi Su Su Nway était une villageoise comme les autres avant de devenir la première citoyenne au Myanmar à obtenir gain de cause dans le cadre de poursuites engagées contre le gouvernement pour l’avoir soumise, ainsi que sa communauté, à des travaux forcés. Après l’avoir incarcéré pendant huit mois en représailles de sa victoire judiciaire, le gouvernement l’a remise en liberté en 2006, cédant à la pression internationale. Lors de sa libération, elle a proclamé qu’elle gardait son uniforme de prisonnière, car elle savait qu’en continuant à dénoncer le triste bilan du gouvernement en termes de droits humains, elle retournerait bientôt en prison. Su Su Nway a été arrêtée une nouvelle fois en novembre 2007 pour avoir placé une banderole antigouvernementale près d’un hôtel où résidait le rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme. Elle a failli être capturée en août 2007 après avoir participé aux manifestations protestant contre le prix du carburant. Malgré des problèmes de santé, notamment cardiaques, elle n’a cessé de faire montre de sa résistance en prison : elle a participé à une cérémonie organisée à l’occasion du Jour des martyrs, qui commémore l’assassinat des dirigeants du mouvement de lutte pour l’indépendance du Myanmar – dont le père d’Aung San Suu Kyi – et observé une grève de la faim pour protester contre le fait que les autorités ne l’avaient pas autorisée à voir sa famille. Ses actions de désobéissance ont conduit à son transfert dans une prison isolée, loin de sa famille et privée de tout traitement médical.

U Khun Htun Oo, 67 ansDirigeant politique chan : condamné à 93 ans de travaux forcésU Khun Htun Oo avait fait figure d’interlocuteur privilégié entre la junte militaire et le mouvement en faveur de la démocratie, en tant que plus haut responsable politique des Chans, la première minorité ethnique du Myanmar. Mais lorsque son parti politique, le Parti de la ligue des nationalités chan pour la démocratie (SNLDP), a commencé à soulever des interrogations sur le projet de réforme constitutionnelle porté par le gouvernement, U Khun Htun Oo a été arrêté et déclaré coupable de trahison en raison d’une conversation qu’il avait eue lors d’un dîner. En 2005, U Khun Htun Oo et des dirigeants de plusieurs formations politiques se sont en effet rencontrés lors d’un dîner dans l’État chan, pour discuter de la Convention nationale du gouvernement, la première phase de la feuille de route en sept points de la junte militaire traçant la transition vers un régime civil. Certains groupes ethniques minoritaires s’inquiétaient de l’exclusion qui imprégnait cette feuille de route. Le SNLDP avait boycotté la convention de l’année précédente. Les dirigeants du parti ont tous été interpellés un mois plus tard. U Khun Htun Oo a été condamné en novembre 2005 à une peine particulièrement sévère de 93 ans de prison assortis de travaux forcés, en dépit de son âge et de ses nombreux problèmes de santé. Reconnu coupable de haute trahison et d’avoir « semé le mécontentement à l’égard du gouvernement » entre autres chefs d’inculpation, il est maintenu en détention dans des conditions extrêmement dures dans une prison très isolée, dans le nord du Myanmar. Sa détention prolongée risque de constituer un obstacle majeur à l’amorce d’un véritable dialogue sur l’unité nationale entre les autorités, leurs détracteurs politiques et les représentants des minorités ethniques du Myanmar.