Tunisie. Menace d’incarcération d’un journaliste hospitalisé

Amnesty International appelle les autorités tunisiennes à ne pas emprisonner le journaliste Fahem Boukadous, de santé fragile, après la confirmation par un tribunal de sa condamnation à quatre ans d’emprisonnement pour ses reportages sur les manifestations de 2008 contre le chômage et le coût élevé de la vie. Fahem Boukadous, actuellement hospitalisé pour un asthme sévère, a été reconnu coupable d’« appartenance à une association criminelle », de « participation à un groupe établi dans le but de préparer ou de commettre une attaque contre des personnes ou des biens » et de « propagation de fausses nouvelles de nature à troubler l’ordre public » pour avoir couvert les manifestations dans la région de Gafsa pour un réseau de télévision par satellite. « La police peut venir me chercher à l’hôpital d’une heure à l’autre. J’ai des opinions et je suis un défenseur des droits. Je n’ai pas peur de l’arrestation ni de la prison. Ce qui m’inquiète, c’est mon état de santé qui se détériore », a déclaré Fahem Boukadous à Amnesty International. Son recours a été rejeté par la cour d’appel de Gafsa le 6 juillet 2010. Hospitalisé le 2 juillet pour des problèmes respiratoires, il était trop mal-en-point pour assister à l’audience. S’il était incarcéré, Amnesty International le considérerait comme un prisonnier d’opinion, détenu uniquement pour avoir exercé pacifiquement son droit à la liberté d’expression. « Ces audiences n’ont été rien d’autre qu’un simulacre de procès », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International. « Fahem Boukadous est une des nombreuses victimes de la répression qui a suivi les manifestations de 2008 à Gafsa. » « Le travail des avocats de la défense a été entravé à toutes les étapes ; ils ont été privés du droit de faire citer des témoins à décharge et de procéder à un contre-interrogatoire des témoins de l’accusation, et n’ont dans certains cas même pas été autorisés à s’exprimer pendant les audiences. Les tribunaux tunisiens ont ajouté de l’injustice à l’injustice. » Fahem Boukadous a été hospitalisé à plusieurs reprises depuis avril 2010 pour des difficultés respiratoires. Amnesty International craint que son incarcération n’ait des conséquences désastreuses pour sa santé, et qu’il ne puisse pas bénéficier des soins nécessaires en prison. En l’absence de son client pour raison de santé lors du procès en appel, son avocat n’a pas été autorisé à s’exprimer devant la cour. Par ailleurs, un certain nombre de documents produits par la défense ont été perdus par la poste avant l’audience, limitant encore le droit du journaliste à une défense satisfaisante. Son avocat, qui a vu un reçu attestant de l’envoi de ces documents, pense qu’ils ont peut-être été perdus délibérément. Il a expliqué à Amnesty International que ce n’était pas qu’une affaire de documents perdus : « Il ne s’agit pas un combat pour la liberté de mon client, mais d’un combat pour sa vie. » Fahem Boukadous a réalisé des reportages sur les manifestations populaires contre le chômage et le coût élevé de la vie à Gafsa, dans le sud-ouest de la Tunisie, au cours du premier semestre 2008. En juin 2008, il s’est caché pour échapper aux arrestations menées dans le cadre de la répression qui a suivi ces manifestations. En décembre 2008, il a été condamné par contumace à six ans de prison pour incitation à l’agitation sociale ; sa peine a été confirmée en appel en février 2009. D’autres détenus incarcérés en lien avec ces manifestations, dont des dirigeants syndicaux condamnés dans le même procès, se sont vu accorder une libération conditionnelle à la suite d’une grâce présidentielle le 4 novembre 2009. Rejugé en janvier 2010, Fahem Boukadous a été reconnu coupable et condamné à quatre ans de prison. Tous ces procès ont bafoué les normes internationales fondamentales relatives à l’équité des procès. « L’audience de mardi dernier devant la cour d’appel de Gafsa n’a été qu’un verni judiciaire sur une injustice. C’est un nouvel avertissement terrifiant qui est adressé aux Tunisiens : quiconque osera exprimer une opinion divergente de celle du gouvernement ou simplement en rendre compte en toute indépendance devra en subir les conséquences », a conclu Hassiba Hadj Sahraoui.