Exclusif : des images révèlent la dévastation causée par le conflit qui se déroule secrètement dans le nord du Yémen

L’ampleur de la dévastation causée par les bombardements aériens des armées yéménite et saoudienne dans la région de Saada (nord du Yémen) a été révélée par des centaines d’images obtenues par Amnesty International. Ces clichés, donnés à Amnesty International par une source indépendante et pris en mars 2010 dans la ville d’al Nadir et autour de celle-ci, montrent des bâtiments détruits entre août 2009 et février 2010 lors de la dernière vague d’une série d’affrontements entre les forces yéménites et les partisans d’un dignitaire chiite. Parmi les édifices civils endommagés ou démolis qui ont été photographiés figurent des marchés, des mosquées, des stations d’essence, de petits commerces, une école primaire, une centrale électrique, un centre de santé, et des dizaines de maisons et d’immeubles résidentiels. « C’est un conflit presque totalement invisible qui a été mené à huis clos. Ces images révèlent l’ampleur et la férocité réelles des bombardements et l’impact qu’ils ont eu sur les civils pris dans ce conflit, a déclaré Philip Luther, directeur adjoint du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International. « Ces informations n’apparaissent que maintenant par le biais de Yéménites qui ont fui les combats et sont arrivés dans d’autres régions du pays. » Le droit international humanitaire interdit de viser des biens civils et de mener des attaques aveugles et disproportionnées contre la population civile pendant les conflits. Si des attaques de ce type sont menées délibérément, elles constituent des crimes de guerre. Ces bombardements ont eu lieu dans le cadre de la sixième vague de combats opposant, dans la région de Saada depuis 2004, les forces yéménites aux partisans armés de Hussain Badr al Din al Huthi, un dignitaire chiite de la communauté zaïdite tué en septembre 2009. En raison des restrictions de l’accès à cette région imposées par le gouvernement, de la présence de mines terrestres et d’autres problèmes de sécurité, aucun observateur indépendant ni aucun média ne semble avoir visité les lieux ces derniers mois. Les images obtenues par Amnesty International concordent avec les témoignages livrés par de nombreux témoins ayant fui Saada aux délégués de l’organisation qui se sont rendus au Yémen début avril. Ces témoins, interrogés séparément, ont tous déclaré que les raids aériens menés par l’Arabie saoudite qui ont commencé en novembre, très différents des attaques militaires précédentes de l’armée yéménite, étaient d’une intensité et d’une force jamais vues auparavant. Ils ont également indiqué que ces frappes étaient ininterrompues au cours des jours qui ont précédé leur fuite et le cessez-le-feu annoncé en février 2010. En mars, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a fait savoir que quelque 250 000 habitants de la région de Saada avaient fui ce conflit et qu’environ 10 % d’entre eux étaient installés dans des camps. Les autres logent chez des proches ou dans des bâtiments abandonnés ou en construction dans la capitale, Sanaa, et ailleurs dans le pays. Contrairement à la situation lors des précédentes vagues de combats, les familles de Saada ont fui plus loin et la plupart disent qu’elles n’envisagent pas de revenir chez elles car leurs habitations ont été détruites et elles craignent une reprise du conflit. Les tensions dans la région de Saada ont éclaté lorsque les partisans de feu Hussain Badr al Din al Huthi, un dignitaire religieux qui avait fondé dans les années 1990 un mouvement visant à faire revivre le zaïdisme, branche de l’islam chiite, ont organisé des protestations contre l’invasion de l’Irak conduite par les États-Unis en 2003. Dénonçant à l’origine les relations qu’entretenait le gouvernement yéménite avec les États-Unis, ces manifestations ont donné lieu à des arrestations et des détentions. En juin 2004, le gouvernement a ordonné à Hussain Badr al Din al Huthi de se rendre. Des affrontements armés s’en sont suivis entre les forces de sécurité et les partisans de Hussain Badr al Din al Huthi, jusqu’à ce que ce dernier soit tué en septembre 2004. Les vagues de combats qui ont eu lieu par la suite dans la région de Saada ont fait des centaines, voire des milliers, de victimes civiles. Un accord négocié par le gouvernement du Qatar en 2008 a permis une brève accalmie des hostilités et quelques libérations de prisonniers des deux camps. Cependant, le conflit a repris avec un regain d’intensité en août 2009. Le gouvernement yéménite a lancé une offensive militaire portant le nom de code « Terre brûlée », qui comprenait des bombardements aériens et le déploiement de troupes au sol. En novembre 2009, les affrontements se sont étendus au-delà de la frontière avec l’Arabie saoudite, qui a alors fait intervenir son armée et ses forces aériennes dans la région de Saada. Il semblerait que toutes les parties au conflit aient commis de graves atteintes aux droits humains, même si les restrictions de l’accès à cette région imposées par les autorités yéménites rendent difficile, voire impossible, l’obtention d’informations fiables sur les actes perpétrés. Le gouvernement a accusé les partisans de Hussain Badr al Din al Huthi d’avoir tué des civils et capturé des soldats. Des habitants de Saada ont affirmé que certaines attaques yéménites et saoudiennes étaient aveugles et disproportionnées, mais cette information n’a pas pu être confirmée de manière indépendante. Ils ont également déclaré que des incursions visant des marchés, des mosquées et d’autres lieux où se rassemblent les civils, ainsi que de grands immeubles d’habitation, avaient tué des dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants non armés. Ni les autorités saoudiennes, ni celles du Yémen n’ont fourni d’explication à ces attaques. Le gouvernement saoudien a en outre refusé l’asile à des personnes qui ont tenté de se réfugier de l’autre côté de la frontière pour échapper à cette nouvelle vague plus intense d’affrontements au Yémen.