Les charges retenues contre un juge d’instruction espagnol doivent être abandonnées

Amnesty International a fermement condamné les charges « scandaleuses » retenues contre un éminent juge d’instruction qui doit comparaître en mai devant la Cour suprême pour abus de pouvoir. Baltasar Garzón comparaîtra le mois prochain devant la Cour suprême d’Espagne, accusé d’avoir enfreint une loi d’amnistie de 1977 en ouvrant la première enquête du pays sur des crimes commis pendant la période franquiste. « C’est scandaleux. Par principe, Amnesty International ne prend pas position sur le fond des poursuites spécifiques engagées contre une personne faisant l’objet d’une enquête menée par un tribunal, mais dans le cas présent – où le juge d’instruction Baltasar Garzón est conduit devant la justice pour avoir enquêté sur des atteintes aux droits humains commises par le passé – l’organisation ne peut pas rester silencieuse, a déclaré Widney Brown, directrice de programme à Amnesty International. « La question de savoir si le juge Garzón a violé ou non la législation nationale espagnole est simplement hors de propos quand la loi elle-même viole le droit international. Le fait d’enquêter sur des violations passées et d’écarter une loi d’amnistie pour des crimes de droit international, tels que les disparitions forcées, les exécutions extrajudiciaires et la torture, ne doit jamais être traité comme une infraction pénale. » Baltasar Garzón, un juge de l’Audience nationale qui a enquêté sur les atteintes aux droits humains commises sous des régimes militaires en Amérique latine et celles qui ont eu lieu au centre de détention américain de Guantánamo Bay, a annoncé en octobre 2008 qu’il enquêterait sur la disparition forcée de plus de 114 000 personnes entre 1936 et 1951. Aux termes de la loi d’amnistie adoptée par l’Espagne en 1977, les membres du gouvernement de Francisco Franco ne peuvent être poursuivis pour des crimes commis au cours de la guerre civile espagnole ou sous le régime franquiste qui a ensuite dirigé le pays de 1939 à 1975. Cependant, le juge Garzón, qui encourt maintenant une interdiction d’exercer pendant 20 ans, a fait valoir que les lois d’amnistie ne s’appliquent pas pour les crimes contre l’humanité au regard du droit international. Amnesty International soutient cette position. Le Comité des droits de l’homme et le Comité contre la torture, deux organes des Nations unies, ont récemment prévenu que l’Espagne devait abroger la loi d’amnistie. Ils ont rappelé aux autorités espagnoles que les disparitions forcées et la torture ne sont pas susceptibles d’amnistie et que les délais de prescription ne s’appliquent pas pour ces types de crimes. « La loi d’amnistie de 1977 interdisant les poursuites pour des crimes de droit international viole les obligations qui incombent à l’Espagne en vertu du droit international et il est du devoir des autorités judiciaires, tôt ou tard, de déclarer que cette loi est simplement nul et non avenue », a ajouté Widney Brown. Amnesty International exhorte les autorités espagnoles à s’attacher plutôt à rendre justice aux proches des quelque 114 266 personnes (selon les estimations) qui ont disparu aux mains du régime franquiste. « Au lieu de déposer une plainte contre Baltasar Garzón parce qu’il a enquêté sur des crimes de droit international commis par le passé, l’Espagne doit, quelle que soit la date à laquelle ces faits ont eu lieu, traduire en justice leurs auteurs présumés. Elle doit prendre toutes les mesures nécessaires pour faire le jour sur les milliers de disparitions forcées, d’exécutions extrajudiciaires et d’actes de torture commis sous Francisco Franco et accorder pleinement réparation aux victimes et à leurs familles. « Toute action visant à poursuivre un juge pour avoir exercé ses attributions de manière indépendante et impartiale ou contesté la légalité d’une loi d’amnistie va à l’encontre des obligations de l’Espagne au regard du droit international et doit être annulée », a conclu Widney Brown. Le 16 octobre 2008, Baltasar Garzón, juge d’instruction de l’Audience nationale, a rendu une décision capitale par laquelle il acceptait la compétence pour les disparitions forcées s’apparentant à des crimes contre l’humanité commises pendant la guerre civile espagnole (1936-1939) et sous le régime de Francisco Franco (1939-1975), et il a ouvert une information judiciaire sur les plaintes de proches de victimes concernant de tels faits. Ce magistrat a établi que, sous réserve des conclusions de l’enquête à prendre en considération, 114 266 personnes au total avaient été identifiées comme victimes de disparition forcée entre le 17 juillet 1936 et décembre 1951. À la suite de la décision d’ouvrir une enquête, le syndicat Mains propres a porté plainte contre le juge Garzón pour abus de pouvoir. Par la suite, deux plaintes similaires émanant de l’organisation Identité et liberté et de la Phalange espagnole ont été déclarées recevables par la Cour suprême. Le 3 février 2010, le juge d’instruction de la Cour suprême, Luciano Varela Castro, a rejeté la requête en non-lieu déposée par Baltasar Garzón, affirmant que le fait d’avoir mené cette enquête malgré la loi d’amnistie de 1977 pouvait constituer une infraction au titre de l’article 446.3 du Code pénal espagnol. Le 25 mars 2010, la chambre d’appel de la Cour suprême a confirmé la décision de refuser l’abandon des poursuites. Dans son arrêt, elle a précisé que les charges retenues n’étaient « pas arbitraires, illogiques ou absurdes ». Le juge Garzón pourrait être jugé pour avoir mené une enquête sur des crimes de droit international au motif qu’il l’a fait après avoir conclu, à raison, que la loi d’amnistie de 1977 violait le droit international. Un État ne peut pas se soustraire à ses obligations découlant du droit international conventionnel ou coutumier en invoquant sa législation nationale.