Témoignages de militantes des droits humains ayant fait l’objet d’agressions et de manœuvres d’intimidation en Afghanistan

Des Afghanes défendant les droits humains ont décrit à Amnesty International les agressions et les manœuvres d’intimidation auxquelles elles sont confrontées lorsqu’elles essaient de remettre en cause la violence et la discrimination dans leur pays. En Afghanistan, les violations à l’encontre des femmes et des jeunes filles, telles que les enlèvements, les viols et le trafic d’être humains, sont très répandues. Plus de 87 % des Afghanes font l’objet de violences familiales, selon les Nations unies, et entre 60 et 80 % des mariages sont des mariages forcés. Et ce, bien que le gouvernement afghan se soit engagé à protéger les droits des femmes et à promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes en Afghanistan. Les femmes qui militent en faveur d’un plus grand respect des droits humains sont systématiquement agressées et menacées par les talibans et d’autres groupes antigouvernementaux, ainsi que par les milices et les chefs de guerre locaux. Le gouvernement ne soutient pas les femmes qui militent en faveur des droits humains et, parfois, les empêchent activement de mener leurs activités, portant ainsi un grand coup aux progrès réalisés à grand peine par les Afghanes depuis la chute des talibans.Dans les zones sous l’influence des talibans, plusieurs personnalités féminines ayant été agressées et tuées les femmes ne peuvent tout simplement pas poursuivre leurs activités de défense des droits fondamentaux. Cependant, de nombreuses Afghanes engagées continuent de défendre courageusement le statut de la femme en Afghanistan. Pour marquer la Journée internationale de la femme, Amnesty International s’est entretenue avec plusieurs d’entre elles. L’avocateLa directrice d’ONGLa formatrice en droits humainsLa députéeMasiha Faiz, 36 ansProfession : avocate pour Medica Mondiale, ONG de défense des droits des femmesJe travaille principalement sur des affaires concernant des femmes accusées de crimes moraux, par exemple des femmes qui se sont enfuies après avoir subi des violences, ou sur des problèmes de droit de garde, quand des femmes victimes de violences veulent libérer leurs enfants d’un père violent. Ces cas sont nombreux, mais il nous est difficile d’entrer en contact avec les victimes. La police et les tribunaux ne veulent pas que nous les défendions. Ils cachent les affaires et essaient de renvoyer les femmes sans ouvrir d’enquête. Pour eux, la parole d’une femme ne vaut rien. Les ONG sont les seules à défendre les femmes, car les avocats financés par les pouvoirs publics défendent principalement des hommes. Cette pratique, aujourd’hui largement acceptée, pose un réel problème. Les juges et les policiers se moquent de ce qui arrive aux femmes et ne respectent pas les lois. Le système actuel n’aide pas les femmes, il leur fait du mal.Comme nous travaillons sur des affaires de femmes, les tribunaux ne sont pas coopératifs avec nous. Ils ne nous informent même pas des dates d’audience, ce qui est particulièrement problématique car nous avons besoin de temps pour transférer une femme d’un centre d’accueil au tribunal. Je reçois constamment des menaces à cause de mon travail, en particulier quand je travaille dans d’autres provinces que celle de Kaboul. Nous pouvons porter plainte auprès du gouvernement ou de la police, mais cela ne sert à rien.Les avocats font régulièrement l’objet de pressions destinées à les inciter à abandonner certaines affaires, comme les enlèvements de jeunes filles, en particulier si le commanditaire est quelqu’un de puissant. Souvent, nous devons abandonner des affaires à cause des menaces. J’ai défendu une jeune fille qui avait été enlevée par trois hommes ; tous trois ont été condamnés à 20 ans de prison. Après leur condamnation, la femme de l’un d’entre eux et le frère d’un autre ont menacé de m’attaquer. Je les ai vus dans ma rue et j’ai peur des représailles, mais ma mission est de servir les femmes. Les menaces ne m’arrêtent pas.

Noor Marjan, 34 ansProfession : directrice par intérim du Centre afghan de développement des compétences des femmes, qui gère différents projets pour les femmes, dont des centres d’accueil.Près de 600 femmes ont été accueillies dans nos centres depuis avril 2003. Il s’agit de victimes de violences familiales, de la traite, de mariages forcés ou d’autres violences. Le problème est de savoir que faire de ces femmes une fois qu’elles sont dans nos centres. Il est très difficile de défendre les droits de ces victimes ; la police et les tribunaux considèrent toujours que c’est la femme qui est fautive et ne nous sont d’aucune aide.La réintégration de ces femmes dans la société est extrêmement compliquée. Nos lois ne sont pas appliquées, et les tribunaux ne sont pas coopératifs. Personne ne se soucie de ce qui est bien pour les femmes ni de ce qui est requis par la loi. Les juges, les policiers et les autres représentants de l’État se forgent leur propre opinion et suivent un code moral. Nous n’avons pas encore réussi à réintégrer une seule fille pachtoune dans la société. Soit elles ont été tuées, soit les procédures les concernant n’ont jamais abouti. Nos centres d’accueil sont importants car, dans les postes de police, il n’y a pas d’endroits réservés aux femmes. Dans les cellules de garde à vue, les femmes se font frapper et violer par les policiers. Je suis harcelée par les policiers, les juges et les familles des victimes. Il m’arrive d’avoir à sortir de chez moi en plein milieu de la nuit pour aller chercher une femme dans un poste de police. Je fais ce travail parce que notre action est très importante. Nous protégeons les victimes pour qu’elles ne subissent pas de nouvelles violences.Récemment, nous avons ouvert un centre d’accueil pour les policières ayant reçu des menaces en raison de leur travail, en particulier parce qu’elles avaient aidé des femmes à porter plainte ou les avaient protégées dans des situations de violence. Bien que le gouvernement essaie sans cesse de recruter des femmes dans la police, il ne fait rien pour les protéger. Dans ce pays, si vous aidez une femme, vous devenez un ennemi pour sa famille car la violence domestique est considérée comme une affaire privée, qu’il est honteux de faire sortir du cercle familial.

Kamila Faizyar, 54 ans Profession : formatrice en droits humains pour la Women and Children Legal Research Foundation (WCLRF)Lorsque je parle de violence conjugale, la plupart des hommes me répondent que le Coran dit que l’on peut battre une femme. La plupart des hommes qui citent le Coran en réaction à nos formations ne l’ont jamais lu, ils sont analphabètes. Ils ne font que répéter ce que disent leurs mollahs.Nous allons souvent dans des villages où tout semble aller bien jusqu’à ce que nous découvrions, après avoir insisté, lors des sessions de formation, qu’il y a un grand nombre d’actes de violence et de mariages forcés.J’ai été menacée et agressée verbalement, en particulier lorsque j’ai animé des formations dans des fiefs traditionalistes. Les villageois, surtout les hommes, n’aiment pas entendre les femmes parler de droits fondamentaux. Les mollahs que nous rencontrons se sentent menacés par nous. Les hommes nous disent que nous incitons les femmes à se retourner contre eux.Dans la plupart des provinces, il n’existe aucun lieu sûr où les femmes peuvent porter plainte ou parler de leurs problèmes. Très peu de cas sont signalés.

Shinkai Karokhail, 36 ansProfession : Le seul moyen de faire entendre la voix des femmes au niveau de la prise de décisions politiques, c’est d’avoir plus de femmes ministres. Chaque ministre devrait également avoir une vice-ministre et nous avons besoin de plus de femmes responsables de district. J’ai été très contrariée quand le président Hamid Karzaï a annoncé la composition de son cabinet parce qu’il a nommé moins de femmes qu’auparavant. Il y a un grave problème avec nos programmes scolaires, y compris avec le nouveau programme financé par USAID et d’autres donateurs. Nos manuels scolaires contiennent des propos discriminatoires et les filles et les femmes sont rarement mentionnées ou montrées comme des exemples positifs. On ne parle d’aucune femme dirigeante politique, policière ou exerçant une quelconque activité professionnelle. Aucun engagement n’a été pris pour financer et mettre en œuvre le Plan d’action national pour les femmes afghanes (NAPWA), qui dresse une liste de points essentiels à modifier dans les stratégies et les programmes concernant les femmes et les filles. En dehors du ministère de la Condition féminine, aucun donateur, ministère ou organe gouvernemental n’a fait du NAPWA une priorité. On ne peut pas être une femme active en Afghanistan sans se sentir menacée. Cela fait parti de mon quotidien. Je ne sais jamais ce qui va arriver. Au cours des cinq dernières années, de nombreuses Afghanes de premier plan ont été tuées parce qu’elles tentaient d’accroître la visibilité des femmes ou de défendre leurs droits fondamentaux. Je prends chaque jour comme il vient, tout en essayant d’œuvrer sur des questions qui auront des répercussions durables.