Lettre ouverte aux dirigeants politiques irakiens

Alors que l’Irak se prépare à la tenue de nouvelles élections parlementaires sur fond de controverse persistante quant à l’éligibilité de nombreux candidats, Amnesty International engage les dirigeants politiques du pays à veiller à ce que la campagne électorale et le scrutin du 7 mars 2010 se déroulent de manière pacifique, dans le plein respect des obligations incombant à l’Irak au titre du droit international relatif aux droits humains.Les élections ne doivent pas servir d’excuse à de nouvelles violencesLes dirigeants politiques doivent demander à leurs partisans de respecter la loi et les droits d’autrui, et contribuer à éviter que l’élection ne serve à accentuer la violence intercommunautaire qui fait rage dans le pays ces dernières années. Ils doivent faire tout leur possible pour garantir la sécurité de tous les Irakiens, sans discrimination, et faire appliquer leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de participation politique lorsqu’ils vont élire ceux qui vont guider le pays dans les années à venir. Amnesty International demande également à tous les partis politiques et à leurs candidats de s’engager à protéger et promouvoir les droits humains dans leurs manifestes électoraux et dans la pratique, s’ils sont élus au gouvernement, et à satisfaire pleinement aux obligations de l’Irak en droit international. Les auteurs d’attentats-suicides et d’attaques visant des civils doivent mettre immédiatement fin à ces agissements, dont beaucoup constituent des crimes contre l’humanité – crimes de la plus extrême gravité. Amnesty International condamne toutes les attaques ciblant des civils, avec la plus grande fermeté et sans aucune réserve, et demande qu’il y soit mis fin immédiatement. On ne saurait leur trouver aucune justification. Voici les préoccupations en matière de droits humains auxquelles tous les partis politiques, leurs candidats, leurs partisans et d’autres doivent entreprendre de porter remède :Protéger les civils et leur droit de voteLa protection des civils est primordiale lors d’élections, pour que les votants soient assurés qu’ils peuvent exercer leur droit de vote sans peur ni intimidation. En Irak, la population civile est la principale victime de la violence qui dévaste le pays depuis plusieurs années et le bilan des précédentes élections demeure sombre. Des dizaines de civils ont été tués lors d’attaques menées à la veille des dernières élections provinciales le 31 janvier 2009. Lors des dernières élections parlementaires nationales, le 15 décembre 2005, des dizaines de civils ont péri dans le cadre d’attaques imputables aux groupes armés sunnites et aux milices chiites dans les semaines précédant le scrutin et pendant les élections. Amnesty International invite l’ensemble des dirigeants de partis politiques, des dignitaires religieux et des porte-parole de communautés, ainsi que toutes les personnalités influentes, à condamner publiquement la violence, les effusions de sang et les atteintes aux droits humains. Ils doivent réclamer que tous les Irakiens puissent décider librement et sans peur de la manière d’exercer leur droit de vote. Protéger les candidats et les membres des bureaux de voteLes candidats, les militants des partis politiques et les membres des bureaux de vote comptent parmi les personnes les plus exposées aux enlèvements et aux homicides à l’approche des élections. Au moins deux candidats ont déjà été assassinés. Soha Abdul-Jarallah, candidate sur la liste de l’ancien Premier ministre Iyad Allawi, a été abattue alors qu’elle quittait la maison d’un proche à Mossoul, le 7 février 2010. Saud al Issawi, arabe sunnite et candidat de l’Alliance irakienne unifiée (AIU), a été tué avec ses deux gardes du corps, fin décembre 2009, à Fallouja, dans l’explosion d’une bombe magnétique fixée à son véhicule. Safa Abd al Amir al Khafaji, directrice d’une école pour filles dans le quartier d’al Ghadi, à Bagdad, a été grièvement blessée par balles par des hommes armés non identifiés le 12 novembre 2009, peu après avoir annoncé qu’elle se présenterait aux élections sous les couleurs du Parti communiste irakien (PCI). Ali Mahmoud, membre de la Haute commission électorale indépendante (IHEC), organe chargé de superviser les élections, a été abattu devant son domicile dans le quartier d’al Jadiriya, à Bagdad, le 17 décembre 2009. Neuf candidats ont été tués lors des dernières élections provinciales et à Mandali, dans la province de Diyala, deux membres des bureaux de vote ont été enlevés et retrouvés abattus quelques heures plus tard. Plusieurs candidats ont été assassinés lors du scrutin du 15 décembre 2005, dont Mizhar al Dulaimi, à la tête du Parti progressiste irakien libre, abattu alors qu’il menait campagne dans le centre de Ramadi le 13 décembre. Amnesty International demande au gouvernement en place, à l’IHEC et à tous les leaders politiques de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour garantir que les candidats et les membres des bureaux de vote mènent leurs activités légitimes librement et sans peur ni contrainte, et bénéficient rapidement d’une protection adéquate lorsque cela s’avère nécessaire. Rendre compte du scrutin : la protection des journalistes Au cours des dernières années, l’Irak est devenu l’un des pays les plus dangereux au monde pour les journalistes et beaucoup ont été enlevés, assassinés ou soumis à d’autres violences. En 2008, au moins 16 journalistes et travailleurs des médias auraient été tués. En 2009, au moins quatre ont connu le même sort. Lors des élections provinciales de 2009, des journalistes qui couvraient l’événement ont été harcelés, arrêtés et agressés, y compris par les forces de sécurité irakiennes et l’armée américaine. Plusieurs ont été appréhendés et retenus pendant des heures. D’autres se seraient vus interdire l’accès aux bureaux de vote, entre autres à Fallouja et al Hilla, alors qu’ils avaient été officiellement accrédités par l’IHEC. À Mossoul, des soldats irakiens auraient ouvert le feu sur des véhicules transportant des journalistes. Avant et après les élections de juillet 2009 au Parlement régional du Kurdistan, plusieurs journalistes ont été agressés, notamment Nebaz Goran, rédacteur en chef du magazine indépendant Jihan, attaqué par trois hommes non identifiés devant son bureau à Erbil. Empêcher les journalistes de couvrir les élections accroît forcément le risque de fraude électorale et de bulletins truqués et prive la population d’informations qu’elle est en droit de connaître. Amnesty International exhorte tous les dirigeants politiques irakiens à respecter le droit à la liberté d’expression garanti par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre […] des informations. » Ils doivent aussi faire appliquer le droit de tous les journalistes à exercer de manière légitime leur profession, librement et sans craindre d’être harcelés. S’engager envers la protection et la promotion des droits humains Tous les partis politiques et leurs candidats doivent reconnaître que le respect des droits humains et du droit international constitue une obligation fondamentale. Ils doivent s’engager à œuvrer en faveur de la paix, de la tolérance et du respect des droits humains s’ils sont élus, et faire prévaloir l’état de droit en ayant à cœur de mettre fin aux détentions arbitraires, à la torture et aux mauvais traitements, aux procès iniques, à l’imposition de la peine de mort et à l’impunité dont jouissent les auteurs d’atteintes aux droits humains. En outre, ils doivent veiller à rendre la loi irakienne pleinement conforme avec le droit international relatif aux droits humains, notamment les lois relatives aux droits des femmes, et à faire appliquer ces textes dans le respect des obligations incombant à l’Irak au titre du droit international.Les partis politiques, les candidats et toutes les personnalités influentes, notamment les dignitaires religieux et les porte-parole de communautés, doivent se déclarer partisans de la protection et de la promotion des droits des plus vulnérables. Il s’agit notamment des femmes, qui font toujours l’objet de violences et de discriminations entre autres légales, et des personnes persécutées en raison de leur identité religieuse, ethnique ou sexuelle. À Mossoul, par exemple, au moins 14 membres de la minorité chrétienne ont été tués dans des attaques ciblées depuis début décembre 2009, sur fond de recrudescence des tensions politiques à l’approche du scrutin du 7 mars. Récemment, une vague d’attentats à la bombe imputables à des groupes armés semble avoir eu pour objectif délibéré d’attiser les divisions et les violences intercommunautaires entre les musulmans sunnites et chiites. Amnesty International demande que tous les Irakiens, y compris les membres de minorités ethniques et religieuses, puissent voter librement, sans subir de pressions ni d’intimidations.Les femmes peuvent contribuer à l’avènement d’une société non sectaire. Afin d’enrayer les menaces contre les femmes en situation de conflit, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 1325, qui exhorte les États à garantir une participation plus importante des femmes aux processus de règlement du conflit et de construction de la paix, ainsi qu’au développement et à la reconstruction.Mettre fin aux exactions perpétrées par les groupes armés Amnesty International engage tous les groupes armés à cesser immédiatement les attaques contre des civils et à renoncer à ces pratiques. Nombre de ces attaques constituent des crimes contre l’humanité, crimes les plus graves au regard du droit international. Ils ne sauraient se justifier sous aucun prétexte. Les responsables présumés doivent être traduits en justice. Des milliers de civils, dont des femmes, des enfants et des membres de minorités ethniques et religieuses, ont été tués dans le cadre d’attentats-suicides et d’attaques imputables aux groupes armés. Des centaines, voire des milliers, de civils ont été enlevés, torturés et mis à mort par ces groupes. De nombreux attentats et attaques ciblant des civils sont l’œuvre d’al Qaïda en Irak et de ses alliés parmi les groupes armés sunnites. D’autres sont imputables aux milices armées, dont certaines entretiennent des liens avec les partis politiques chiites représentés au gouvernement et au Parlement. Amnesty International continue de préconiser le démantèlement de ces milices armées.Toutes ces attaques contre des civils doivent cesser sur-le-champ. Le peuple irakien a le droit de vivre en paix et en sécurité. Les Irakiens doivent être en mesure d’exercer leurs droits humains librement et sans crainte. Amnesty International exhorte tous les dirigeants et militants politiques, l’ensemble des dignitaires religieux, des porte-parole de communautés et des hommes d’affaires, ainsi que toutes les personnalités influentes en Irak, à faire campagne pour la réalisation de cet objectif et à l’appuyer.