Se souvenir en 2009 des personnes «disparues» à travers le monde

Rosendo Radilla avait soixante ans lors de sa disparition forcée, en août 1974. La dernière fois que quelqu’un a aperçu cet homme, militant des droits sociaux et ancien maire d’Atoyac, ville de l’État de Guerrero (Mexique), c’était dans une caserne, quelques jours après son arrestation à hauteur d’un barrage routier. Des codétenus ont affirmé qu’il avait été torturé.

Comme dans d’autres cas de disparition forcée, les gouvernements mexicains successifs ont refusé de donner des éclaircissements sur le sort de Rosendo Radilla. Ses proches, quant à eux, n’ont pas voulu baisser les bras. Ils ont porté l’affaire devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Ils espèrent que, cette année, un arrêt de la Cour contraindra le gouvernement mexicain à leur dire la vérité et à concrétiser leur droit à la justice.

« Les gens me demandent “Pourquoi ne pardonnes-tu pas ?”, explique Tita Radilla Martinez, la fille de Rosendo Radilla. Parce que personne ne me dit ce qui est arrivé à mon père. Est-il mort ou vivant ? Je l’ignore. Je me souviens qu’il était frileux. Quand il a été arrêté, j’ai pensé à ça. A-t-il froid, faim ou soif ? Est-ce qu’il souffre ? Comment va-t-il ? C’est comme ça que nous avons passé toute notre vie. On me dit “Ne rouvre pas cette blessure”. “Rouvrir” ? La plaie est à vif, elle n’a jamais cicatrisé. »

Dans le monde entier, des familles attendent des informations sur leurs proches, emmenés par des représentants de l’État ou par des personnes agissant avec son soutien ou son assentiment.

Amis et parents n’ont aucun moyen de s’informer sur le sort de ces personnes. Une fois qu’une personne a disparu, elle est soustraite à la protection de la loi. Elle n’est à l’abri de rien : les cas de torture et même d’homicide sont monnaie courante.

Le dimanche 30 août marque la 26e Journée internationale des personnes disparues. Chaque année, à l’instar d’autres ONG, des associations de proches de disparus et des associations, Amnesty International commémore le souvenir des « disparus » et demande justice pour les victimes de la disparition forcée, par le biais d’activités et de manifestations.

Des gouvernements ont recours aux disparitions forcées comme outil répressif, afin de museler les dissidents et d’éliminer toute opposition politique, mais aussi pour persécuter des minorités ethniques, religieuses ou politiques.

Pendant le conflit armé au Kosovo en 1999, plus de 3 000 Albanais du Kosovo ont été victimes de disparition forcée aux mains de la police et des forces paramilitaires et militaires serbes. Plus de 800 Serbes, Roms et autres ont été enlevés par des groupes armés d’Albanais du Kosovo. Quelque 1 900 familles, au Kosovo et en Serbie, ne savent toujours pas ce qu’il est advenu de leurs proches.

Les disparitions forcées surviennent souvent dans le contexte d’opérations contre-insurrectionnelles ou antiterroristes. La Tchétchénie, qui a tenté de faire sécession de la Fédération de Russie en 1991, a depuis lors été ravagée par deux conflits armés et une opération antiterroriste. Des membres des forces fédérales russes aussi bien que des responsables tchétchènes de l’application des lois ont été impliqués dans des affaires de disparition forcée, dont le nombre se compte en milliers.

Aux Philippines, plus de 1 600 personnes ont disparu depuis les années soixante-dix, la plupart dans le cadre d’opérations contre-insurrectionnelles visant des groupes gauchisants ou séparatistes.

James Balao, défenseur des droits des peuples autochtones et chercheur, a disparu en septembre 2008, alors qu’il était en route au volant de sa voiture pour rendre visite à sa famille à La Trinidad, dans la province de Benguet.

Des hommes armés en uniforme, se disant policiers, l’ont sommé de s’arrêter et l’ont fait monter de force dans une camionnette blanche. Des témoins de son enlèvement ont signé des déclarations sous serment décrivant sa capture et se cachent désormais de peur d’être persécutés.

Les proches des personnes qui disparaissent, plongés dans une incertitude angoissante, n’ont pas la possibilité de faire leur deuil et de laisser la vie reprendre ses droits. Chief Ebrima Manneh, un journaliste gambien, a été arrêté en juillet 2006 pour avoir eu l’intention de publier un article de la BBC qui critiquait le gouvernement de son pays. On ignore à ce jour où il se trouve, malgré une décision historique prononcée par une cour de justice régionale d’Afrique de l’Ouest, ordonnant au gouvernement gambien de le relâcher et de l’indemniser. Sa mère explique qu’il lui est impossible de reprendre goût à la vie parce qu’elle pense constamment à lui. Ses proches ont dit à Amnesty International qu’ils se sentaient de plus en plus isolés car les gens ont peur de les fréquenter. Ils souffrent en outre de privations car ils dépendaient du salaire d’Ebrima Manneh.

En 2006, afin de combattre ce fléau, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Une fois en vigueur, la Convention sera un outil efficace visant à prévenir les disparitions forcées et, lorsque de tels crimes sont commis, à faire émerger la vérité et à garantir que les responsables seront sanctionnés et que les victimes et leur famille recevront réparation.

La définition de la disparition forcée donnée par la Convention est la suivante :
« L’arrestation, la détention, l’enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l’État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi. »

Cette Convention traite des violations liées à une disparition forcée et des obstacles que rencontrent les personnes qui essaient de mener l’enquête et d’obtenir que les responsables présumés rendent des comptes. Elle affirme également le droit des familles à connaître la vérité sur le sort réservé à une personne disparue et à obtenir des réparations.

Aux termes de la Convention, les États doivent protéger les témoins et tenir pour pénalement responsable toute personne impliquée dans une disparition forcée. Elle enjoint également aux États de mettre en place des garanties rigoureuses pour les personnes privées de leur liberté, de rechercher les personnes disparues et, dans le cas où elles seraient mortes, de localiser leur dépouille, de la respecter et de la remettre aux proches.

Les États sont également tenus de poursuivre les responsables présumés de disparitions forcées qui se trouvent sur leur territoire, indépendamment du lieu où le crime a été commis, à moins qu’ils ne décident de les extrader ou de les remettre à une juridiction pénale internationale.

Le Comité des disparitions forcées effectuera un suivi de la mise en œuvre de la Convention et examinera les plaintes déposées par des particuliers et par des États.

La Convention n’est plus qu’à quelques ratifications de son entrée en vigueur. Amnesty International exhorte tous les gouvernements ne l’ayant pas encore fait à ratifier la Convention le plus rapidement possible. Ratifier la Convention fera clairement savoir que les disparitions forcées ne seront pas tolérées et donnera à ceux qui recherchent un proche un nouvel outil qui leur est bien nécessaire.