États-Unis : l’enquête sur le programme de détention de la CIA n’a que trop tardé

Pour Amnesty International, le fait que le ministre de la Justice des États-Unis, Eric Holder, ait annoncé ce mardi 25 août qu’il avait demandé l’ouverture d’une enquête sur des interrogatoires auxquels ont été soumis certains détenus dans le cadre du programme de détentions secrètes mis en place par la CIA après les attentats du 11 septembre 2001 est une mesure positive mais insuffisante.

« Les États-Unis doivent faire en sorte que tous les cas de torture donnent lieu à des poursuites, y compris lorsque les auteurs de ces agissements affirment avoir obéi aux ordres, a déclaré Rob Freer, responsable des recherches sur les États-Unis au sein d’Amnesty International. Ceux qui ont autorisé ou donné l’ordre que soient commis des actes de torture ou d’autres actes répréhensibles à l’encontre de détenus doivent, eux aussi, être déférés à la justice Il faut que le pays nomme également une commission d’enquête indépendante sur tous les aspects des pratiques de détention mises en place par les États-Unis dans le cadre de ce que le gouvernement précédent appelait la “guerre contre le terrorisme”.

« Cependant, la création et la mise en œuvre d’une commission d’enquête ne doivent pas empêcher de poursuivre dès à présent en justice toute personne contre laquelle il existe suffisamment de preuves d’actes répréhensibles. »

Le procureur général a fait son annonce le jour où les résultats d’une enquête de 2004 de l’inspecteur général de la CIA sur les pratiques de l’agence du renseignement en matière de détention et d’interrogatoire étaient rendus publics, en application de la Loi sur la liberté d’accès à l’information. Passé sous silence pendant plus de cinq ans, le rapport couvre la période entre septembre 2001 et octobre 2003. Une partie de ce document demeure top secret et ne figure pas dans la version rendue publique.

« L’annonce du ministre de la Justice constitue de toute évidence une avancée considérable par rapport aux années de déni précédentes, qui ont fait prédominer jusqu’à ce jour un climat dans lequel nul n’a été sommé de rendre des comptes et nul n’a reçu de réparations », a déclaré Rob Freer.

« Cependant, ceci ne suffit pas à faire en sorte que les États-Unis remplissent les obligations qui sont les leurs aux termes du droit international humanitaire et relatif aux droits humains, et respectent les notions les plus élémentaires que sont la nécessité de rendre des comptes et d’attribuer des réparations en cas de violations manifestes des droits de la personne. »

Cela fait des années qu’allégations de torture, disparitions forcées et autres violations du droit international commises dans le cadre du programme de détention de la CIA sont de notoriété publique. Pourtant, personne n’a été poursuivi pour avoir autorisé ou commis ces crimes.

Cela fait plus de quatre ans qu’une fuite a révélé le contenu d’une note à l’attention de la CIA rédigée en 2002 par le ministère de la Justice, dans laquelle il est écrit notamment que, « dans les circonstances actuelles », les méthodes d’interrogatoire assimilables à de la torture peuvent être justifiées par la nécessité ou l’autodéfense.

Cela fera en outre bientôt trois ans que le président George W. Bush a confirmé dans un discours l’existence d’un programme de détentions secrètes et admis, de fait, que les États-Unis organisaient des disparitions forcées.

L’annonce du ministre de la Justice intervient alors que des sources anonymes de la CIA viennent d’indiquer à ABC News que la Lituanie aurait accueilli sur son territoire une prison secrète où la CIA détenait et interrogeait des personnes soupçonnées de terrorisme.

Des informations ont également circulé sur le fait que la Pologne et la Roumanie auraient fourni à la CIA des centres de détention qu’elle aurait utilisés comme prisons secrètes. Le gouvernement polonais est en train d’enquêter sur la présence de centres d’interrogatoire secrets de la CIA sur son territoire, et le gouvernement lituanien a indiqué ces jours-ci qu’il allait ouvrir une enquête parlementaire sur les allégations selon lesquelles de telles entités existaient aux environs de Vilnius jusqu’à la fin de l’année 2005. La Roumanie continue de nier qu’elle s’était entendue avec les États-Unis sur la présence d’une prison secrète sur son territoire et elle n’a ouvert aucune enquête sur les informations faisant état de l’existence d’une telle structure en Roumanie.

Il y a un an et demi, celui qui était alors le directeur de la CIA, le général Michael Hayden, avait confirmé que le « waterboarding », méthode de torture consistant à induire chez la victime la sensation de noyade, faisait partie des techniques d’interrogatoire « renforcées » utilisées contre les détenus aux mains de la CIA. Il y a quatre mois, des informations révélaient qu’Abu Zubaydah avait été soumis à la quasi-noyade au moins 83 fois en août 2002, et Khalid Sheikh Mohammed environ 183 fois en mars 2003.

« Les États-Unis se doivent, aux termes de traités aussi élémentaires que la Convention des Nations unies contre la torture et les Conventions de Genève, de ne pas sous-estimer la gravité des crimes tels que la torture et les disparitions forcées mais, au contraire, de mobiliser toutes les ressources de leur appareil judiciaire pour y faire face, a déclaré Rob Freer. Refuser de déférer à la justice les auteurs d’actes de torture est tout simplement indéfendable pour un pays qui veut s’acquitter de ses obligations. »