Les autorités iraniennes doivent respecter et favoriser le débat

Quelle que soit leur issue immédiate, les événements qui se déroulent aujourd’hui en Iran sont lourds de conséquences. Les vues de Téhéran qui ont été diffusées lundi [15 juin] dans le monde entier étaient stupéfiantes : des centaines de milliers d’Iraniens défilaient sur la place de la Liberté, dans la capitale iranienne, pour protester contre ce qu’ils considéraient comme le vol de leurs suffrages. Et ils sont revenus tout au long de la semaine, en rangs toujours serrés, malgré les violences qui ont éclaté à la fin du rassemblement de lundi et les mesures prises par le gouvernement pour verrouiller les médias. S’étant présentés aux urnes en foules impressionnantes, les femmes et les hommes d’Iran sont résolus à faire entendre leur voix.

Cette volonté est particulièrement nette chez ceux qui n’ont pas participé à la dernière élection présidentielle, en 2005, mais qui ont été galvanisés par l’écho sans précédent que les médias iraniens ont donné à la campagne de cette année : la presse a diffusé des informations sur les programmes des quatre candidats et la télévision a organisé des débats animés. Les citoyens – en particulier les jeunes, qui constituent la majorité de la population – ont eu enfin le sentiment qu’il était intéressant de participer et ont afflué dans les bureaux de vote. Ce sont précisément les jeunes, et notamment les étudiants, nombreux à soutenir les candidats de l’opposition, qui subissent un traitement particulièrement dur ; des descentes ont eu lieu dans des locaux universitaires à Téhéran, Tabriz, Babol, Ispahan et Chiraz, et des étudiants ont été frappés. Il y aurait même eu des morts.

Mais la jeunesse iranienne n’est pas seule à se dresser pour défendre ses droits. Parmi la foule qui s’est répandue dans les rues figurent de nombreuses femmes. La présence charismatique de Zahra Rahnavard a dynamisé la campagne électorale de son mari Mir Hossein Moussavi, rival principal du président sortant Ahmadinejad. La question des droits et de la condition des femmes a en fait occupé une place importante pendant la campagne électorale, de même qu’elle était arrivée au premier plan du débat politique grâce aux efforts courageux des militantes du mouvement des femmes, initiatrices notamment de la campagne du million de signatures, mouvement de masse réclamant la fin d’une discrimination contre les femmes inscrite dans la loi.

Quant aux différentes minorités ethniques de l’Iran, ces groupes qui ont exigé de plus en plus activement ces dernières années de se voir octroyer des droits politiques et culturels accrus, leurs droits étaient également tout en haut de la liste des préoccupations. Deux des quatre candidats pouvaient être considérés comme des représentants de minorités ethniques. En fait, de nombreuses personnes semblent avoir trouvé particulièrement difficile à croire l’information officielle selon laquelle ces candidats n’avaient pas obtenu la majorité dans leur ville natale. On a signalé des arrestations dans des villes qui comptent d’importantes populations appartenant à ces minorités, par exemple Ahvaz, Tabriz ou Zahedan.

L’autre caractéristique remarquable des événements de Téhéran et d’autres villes iraniennes est l’utilisation des réseaux sociaux. Il s’agit là d’un outil puissant qui permet aux citoyens d’exercer leur droit à la liberté d’expression, individuellement et lors de manifestations de masse. Des sites de réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter et l’envoi de messages SMS ont été employés pendant la campagne électorale pour élargir le soutien en faveur des candidats, malgré les efforts du gouvernement pour empêcher l’accès à ces sites. Les autorités essaient maintenant de dissimuler les informations sur l’évolution de la situation en bloquant les transmissions par satellite et l’accès à l’internet, en interdisant aux journalistes étrangers de couvrir les manifestations, en coupant les lignes téléphoniques et en supprimant d’autres modes de télécommunication comme les SMS ou Texto. Cependant, les jeunes militants iraniens, au courant de toutes les possibilités de la technologie, parviennent pour l’instant à garder de l’avance sur les censeurs et déjouent les interdictions pour diffuser des informations auprès de leurs compatriotes et dans le monde entier.

On n’a pas vu en Iran de manifestations d’une telle envergure depuis la révolution islamique, en 1979 ; au cours des trente dernières années, les rassemblements de protestation étaient réprimés aussitôt par la force. Selon les correspondants de presse à Téhéran, les autorités ne s’attendaient pas du tout à voir des centaines de milliers de personnes défiler dans la rue en dépit des menaces. Elles en ont éprouvé une certaine frayeur.

Mais elles n’ont pas le droit d’écraser une opposition pacifique au moyen de tactiques d’intimidation. Les autorités ont le devoir d’assurer le maintien de l’ordre, mais elles doivent respecter les normes internationales dans ce domaine : les circonstances de la mort de manifestants tués à Téhéran ou dans d’autres lieux doivent faire l’objet d’enquêtes menées dans de brefs délais par un organisme impartial.

Les autorités iraniennes doivent comprendre que le déroulement d’un débat serein sur des thèmes d’une importance essentielle pour la vie de chacun, bien loin de menacer les responsables politiques, ne peut que les aider à prendre la bonne direction. Elles doivent reconnaître que les jeunes, forts de leur énergie et de leur optimisme illimités, sont la source des solutions futures aux nombreux problèmes pressants auxquels notre planète fait face. Elles doivent apprendre à respecter et à favoriser le débat, au lieu de chercher à y mettre fin. Après tout, même si elles réussissent dans un premier temps à réprimer le mouvement actuel, l’éveil politique grâce auquel les Iraniens découvrent aujourd’hui la possibilité pour chacun d’exercer sans violence une influence sur le destin de son pays ne saurait être facilement étouffé sous la chape de plomb de la peur.