La Journée de la liberté de la presse (3 mai) est depuis plusieurs années l’occasion pour les journalistes et les professionnels des médias de rendre hommage à leurs collègues ayant perdu la vie dans le cadre de leur activité professionnelle, un phénomène en augmentation dans le monde entier. Cette année a cependant apporté un peu de répit au milieu du flot ininterrompu de mauvaises nouvelles. Le rapport annuel de la Fédération internationale des journalistes recensant le nombre de journalistes et d’autres professionnels des médias tués en 2008 a constaté une forte baisse entre 2007 et son chiffre record de 172 morts, et 2008 (109). En Irak, pays le plus dangereux du monde pour les journalistes depuis 2003, 16 morts ont été dénombrées en 2008 contre 65 en 2007. (Voir la note sur les chiffres) Cette diminution n’est cependant pas d’un grand réconfort pour ceux dont un collègue a été tué, emprisonné ou agressé. Si ce bilan mortel est en baisse, la liberté de la presse dans le monde entier continue à faire l’objet d’atteintes persistantes. La baisse du nombre de journalistes tués peut sans doute s’expliquer en partie par la tendance croissante de certains gouvernements à empêcher les reporters à accéder aux zones de conflit. Lors de trois conflits récents – dans la bande de Gaza, au Sri Lanka et dans la région de la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan – les gouvernements israélien, sri-lankais et pakistanais ont pris des mesures afin de barrer la route aux journalistes. Ailleurs, des journalistes individuels doivent surmonter tout un ensemble de problèmes entravant leur travail. Qu’il s’agisse d’attaques directes émanant des autorités et d’autres, ou du recours à la législation relative à la diffamation, les journalistes sont souvent confrontés à des obstacles insurmontables les empêchant d’effectuer certaines tâches indispensables à la défense des droits humains. La liberté d’expression est reconnue dans l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Une presse libre est essentielle à la liberté d’expression, et joue un rôle tout aussi important pour la protection des droits humains. Lorsque des journalistes sont tués en toute impunité, lorsque la peur et la censure étouffent la liberté d’expression, la société toute entière en paye le prix. Dans de telles conditions, les abus de pouvoir et l’injustice augmentent. ATTAQUES CONTRE DES JOURNALISTES DANS LE MONDE :
Azerbaïdjan – Emin Hüseynov Emin Hüseynov, directeur de l’Institut pour la liberté et la sécurité des Reporters, a été hospitalisé en juin 2008 pour des douleurs à la tête et à la nuque. Il aurait été roué de coups par des policiers pour avoir protesté contre la prise de photographies et d’empreintes digitales à la suite d’un raid visant à disperser une manifestation à Bakou commémorant le révolutionnaire argentin Che Guevara. Des enquêteurs officiels qui se sont rendus au chevet d’Emin Hüseynov ont attribué son état à une « réaction neurasthénique » ou à des blessures qu’ils se seraient « lui-même infligées ». Le 17 juin 2008, il a été transféré du service des urgences de l’hôpital de Bakou (Service hospitalier centralisé d’aide médicale urgente) au service de neurologie pour y être soigné. Brésil – Katia Camargo Le journaliste d’investigation Luiz Carlos Barbon, qui enquêtait sur la corruption de fonctionnaires, a été tué en mai 2007. Des agents de la police militaire locale ont été arrêtés et attendent d’être jugés pour son meurtre. Son épouse, Katia Camargo, est menacée par des personnes liées aux assassins présumés de son mari, dont certains sont toujours en liberté. Les journalistes brésiliens, en particulier ceux qui publient des articles sur la corruption ou les activités criminelles de fonctionnaires, continuent à être la cible d’attaques, qui sont parfois fatales. Chine – Tan Zuoren Tan Zuoren a été arrêté par la police dans la ville de Chengdu (province du Sichuan) le samedi 28 mars. Soupçonné pour « incitation à la subversion de l’État », cet écrivain et militant écologiste chinois est actuellement incarcéré au centre de détention de Wenjiang. Amnesty International craint qu’il n’y soit torturé ou soumis à d’autres formes de mauvais traitements. Selon des sources locales, l’arrestation de Tan Zuoren est liée à son intention de rendre certaines informations publiques à l’occasion du premier anniversaire du tremblement de terre qui a frappé la province du Sichuan. Il s’agirait d’une liste d’enfants morts lors du séisme le 12 mai 2008, ainsi que d’un rapport issu d’une enquête indépendante sur l’effondrement de nombreux bâtiments scolaires, qui serait imputable à des malfaçons. Juste après cette catastrophe naturelle, la Chine a accordé une liberté sans précédent et largement appréciée à ceux qui rendaient compte de la situation dans les zones sinistrées. Cependant, elles ont ensuite entravé la mission des journalistes étrangers et leur a interdit de pénétrer dans les villes des régions touchées ou leur ont fait quitter les lieux sous escorte. Égypte La loi égyptienne sur la presse et d’autres dispositions du Code pénal font de l’information légitime une infraction, tandis que les procès en diffamation servent à harceler les journalistes et à les empêcher d’informer la population sur des sujets d’intérêt public légitime. Ces derniers mois, on a assisté à une augmentation du nombre d’arrestations et d’incarcération de cybermilitants et de blogueurs égyptiens en raison de leurs activités non violentes, considérées par les autorités comme critiques à l’égard du gouvernement et de sa politique. Haïti – Jean Dominique Le 3 avril 2000, Jean Dominique a été abattu par un agresseur inconnu devant le siège de sa station de radio, Radio Haïti Inter, à Port-au-Prince. Le gardien de la station, Jean-Claude Louissaint, a été tué en même temps que lui. Ces meurtres ont causé la consternation en Haïti, notamment parce que Jean Dominique, personnalité respectée, s’exprimait ouvertement depuis quatre décennies en faveur de la démocratie. Son assassinat a été un sérieux coup porté à la liberté d’expression en Haïti. Neuf ans plus tard, les responsables présumés n’ont toujours pas été traduits en justice. Russie – Anna Politkovskaïa En février 2009, un tribunal militaire de Moscou a prononcé l’acquittement de toutes les personnes accusées d’avoir pris part au meurtre d’Anna Politkovskaïa, journaliste défenseure des droits humains. Anna Politkovskaïa a été assassinée le 7 octobre 2006 à Moscou. Elle faisait l’objet de manœuvres d’intimidation et de harcèlement de la part des autorités russes et tchétchènes parce qu’elle critiquait à haute voix leur politique et leurs interventions. Après le procès, Anna Stavitskaïa, l’une des représentantes des enfants d’Anna Politkovskaïa, a opposé les faiblesses de l’enquête à la solidité de la défense des accusés. Un éminent avocat défenseur des droits humains ayant travaillé avec Anna Politkovskaïa a été abattu dans le centre de Moscou en janvier. Stanislav Markelov avait préparé un recours contre la libération anticipée d’un ancien colonel russe condamné pour le meurtre d’une jeune femme tchétchène. Anastassia Barbourova, une journaliste travaillant pour le journal Novaïa Gazeta, qui employait aussi Anna Politkovskaïa, a été mortellement blessée au cours de cette attaque. Somalie Des journalistes somaliens continuent à être victimes de meurtre, de menaces de mort, de détention arbitraire et d’intimidation, actes attribués à toutes les parties au conflit. Une trentaine de journalistes somaliens ont été placés en détention pendant des durées variables (de quatre à cent quinze jours). On a enregistré plus de 30 cas de menaces de mort et deux assassinats ; plusieurs journalistes ont par ailleurs été blessés. Personne n’a été traduit en justice pour répondre de ces actes. Depuis le début de l’année 2009, plusieurs agressions et meurtres ont été recensés. Nur Muse Hussein, de Radio Holy Quran, a reçu une balle dans la jambe à Beletweyne le 20 avril 2009, alors qu’il effectuait un reportage sur les affrontements opposant le gouvernement local et une milice armée dans cette zone. Tandis qu’il assistait à une réunion de réconciliation locale à Abudwaq le 7 février 2009, Hassan Bulhan Ali, directeur de la station Radio Abudwaq, a été agressé par un homme qui lui a donné cinq coups de couteau à l’estomac et au cœur. Said Tahlil Ahmed, directeur de la station de radio HornAfrik, à Mogadiscio, a été abattu de quatre balles dans la tête par trois hommes non identifiés dans le quartier du marché de Bakara, dans la capitale, le 4 février 2009. Il se rendait avec d’autres journalistes à une réunion convoquée par Al Shabab. Hassan Mayow Hassan, de Radio Shabelle, a été tué de deux balles dans la tête le 1er janvier 2009 à Afgoye, après avoir été arrêté à un barrage routier par un membre d’une milice du gouvernement local, alors qu’il était en route pour couvrir les affrontements armés dans le secteur. Sri Lanka – Lasantha Wickramatunga Lasantha Wickramatunga, rédacteur en chef du journal Sunday Leader, a été tué par balle jeudi 8 janvier 2009 par des hommes armés non identifiés, alors qu’il circulait à Mount Lavinia, dans la banlieue de Colombo. Il a été transporté en urgence à l’hôpital de Kalubowila où il est décédé. Le Sunday Leader a publié un certain nombre d’articles dénonçant l’ingérence politique et la corruption dans des affaires de privatisation. Les journalistes du Sunday Leader ont également attiré l’attention sur les atteintes aux droits humains perpétrées sur fond d’intensification des combats. À ce jour, Amnesty International n’a pas eu connaissance d’enquêtes ayant mené à des arrestations et à la poursuite en justice d’auteurs présumés d’assassinats de journalistes et d’autres professionnels des médias. Soupçonné d’entretenir des liens avec le groupe d’opposition armé des Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul (LTTE), le journaliste JS Tissainayagam (mieux connu comme « Tissa »), lui-même tamoul, a été incarcéré au centre de détention de Service d’enquête sur le terrorisme à Colombo, la capitale, le 7 mars 2008. Tissa est avant tout connu pour sa chronique hebdomadaire, The Telescope, publiée dans le Sunday Times, journal en langue anglaise. De 2002 à la mi-2007, il était le rédacteur en chef d’un magazine d’actualité, le North Eastern Monthly, qui couvrait les événements se produisant dans les zones du pays les plus touchées par les combats entre le gouvernement et les LTTE. De sa plume, il a critiqué l’échec des gouvernements successifs dans le domaine de la protection des droits humains des Tamouls. Tissa s’est vu refuser pour la quatrième fois une libération sous caution lors d’une audience qui s’est tenue le 13 janvier 2009. Depuis le début de l’année 2006, au moins 14 professionnels des médias ont fait l’objet d’un homicide illégal au Sri Lanka. D’autres ont été torturés, maintenus en détention arbitraire et auraient « disparu » alors qu’ils se trouvaient sous la garde des forces de sécurité. Plus de 20 journalistes ont quitté le pays après avoir reçu des menaces de mort. Soudan En avril, neuf hommes accusés du meurtre, datant de 2006, de Mohamed Taha, journaliste et rédacteur en chef d’un journal soudanais, ont été exécutés. Amnesty International estimaient qu’il était possible qu’ils soient innocents, car leur procès n’avait pas été conforme aux normes internationales d’équité et leurs « aveux » avaient été obtenus sous la torture. Les autorités ont procédé à leur exécution immédiatement après confirmation des condamnations à mort par le tribunal constitutionnel. La campagne de répression menée par les services de sécurité contre la presse et les journalistes a été la plus dure depuis 2005, époque à laquelle la Constitution nationale de transition, adoptée dans le cadre de l’application de l’Accord de paix global, a introduit des dispositions visant à protéger la liberté d’expression et celle de la presse. La réintroduction de mesures de censure à l’égard de journaux privés a débuté en février 2008. À l’époque, de nombreux journaux locaux avaient évoqué des liens entre le gouvernement soudanais et des groupes d’opposition tchadiens qui avaient attaqué N’Djamena, la capitale du Tchad. À titre de représailles, des représentants du Service national de la sûreté et du renseignement ont repris l’inspection quotidienne des bureaux des journaux et des imprimeries. L’attaque du Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE) sur Omdurman, en mai, a donné lieu à un renforcement des restrictions pesant sur la presse. Des journalistes ont régulièrement été pris pour cible par le Service national de la sûreté et du renseignement. Certains ont fait l’objet d’actes d’intimidation et de harcèlement, d’autres ont été arrêtés et emprisonnés, tout particulièrement dans les jours qui ont suivi l’attaque. Al Ghali Yahya Shegifat, journaliste et président de l’Association des journalistes du Darfour, a été arrêté par des agents du Service national de la sûreté et du renseignement à la suite de l’attaque lancée par le MJE. Maintenu au secret pendant plus de deux mois, il a été torturé sans relâche. Il n’a pas été autorisé à consulter un avocat ni à recevoir les visites de sa famille, laquelle n’a pas été informée de son lieu de détention. Il n’a fait l’objet d’aucune inculpation. Tunisie – Fahem Boukadous Fahem Boukadous, journaliste de la chaîne de télévision tunisienne Al Hiwar Ettounsi, a été inculpé d’« appartenance à une association de malfaiteurs » et de « diffusion de publications susceptibles de porter atteinte à l’ordre public ». Ces charges étaient liées à ses reportages concernant les violations des droits humains commises par les forces de sécurité lors de manifestations à Gafsa en 2008. Entré dans la clandestinité, il a été jugé par défaut le 12 décembre, en même temps que 37 autres personnes, et condamné à six ans d’emprisonnement. Sa condamnation a été confirmée en appel en février 2009. Continuant à se cacher, il souffrirait de graves problèmes respiratoires. Le gouvernement tunisien soumet les médias à de sévères restrictions. Plusieurs journalistes ont été inculpés en raison de leurs activités professionnelles, bien que les charges retenues contre eux n’aient, semble-t-il, le plus souvent rien à voir avec celles-ci. Note sur les chiffres : Le Comité pour la protection des journalistes évalue à 41 le nombre de journalistes tués en 2008, dont 11 en Irak ; Reporters sans frontières estime ce chiffre à 60 – plus un assistant –, dont 15 en Irak.