Un témoin inoxydable des homicides commis par l’État

« Lorsque je suis sortie de la chambre d’exécution, je venais d’assister à la mise à mort d’un homme par électrocution. Il m’a regardée en plein visage avant qu’on ne le tue. Le protocole d’un froid clinique suivi par l’ensemble des gardiens m’a choquée. Je suis sortie de la prison dans le noir et j’ai vomi. »

La vie remarquable d’Helen Prejean a connu de nombreux tournants, mais le plus marquant a eu lieu tôt le matin du 5 avril 1984 quand elle a assisté à l’exécution d’un homme qui était devenu un ami.

Ce fut un moment décisif pour Sœur Helen Prejean, dont la vie a été changée pour toujours lorsqu’elle est allée vivre parmi des Afro-Américains pauvres à la Nouvelle-Orléans, au début des années 80. Elle a quitté son existence confortable au sein d’une banlieue de classe moyenne pour découvrir « une autre Amérique, dont j’avais ignoré l’existence jusque là ». Elle se rappelle vivement le choc éprouvé face à tant de pauvreté, d’injustice et de violences policières.

Peu après, elle a commencé à correspondre avec Patrick Sonnier, qui se trouvait dans le couloir de la mort. Les lettres ont bientôt cédé la place aux visites, et deux ans et demi plus tard le point de non retour est arrivé – sa présence lors de l’exécution de cet homme.

« Cela a complètement bouleversé ma vie. J’avais été témoin d’un homicide d’État ; je devais donc raconter cette histoire. Je me suis aussi liée aux proches de la victime et j’ai été témoin de leur douleur et vu que la peine de mort ne contribuait en rien à l’apaisement de leurs souffrances. Si elle a eu le moindre effet, c’est peut-être celui d’avoir prolongé leur attente dans l’espoir d’un soulagement illusoire, censé venir à eux en s’asseyant au premier rang et en regardant Patrick mourir. »

Son implication auprès de Patrick Sonnier a fait d’Helen Prejean une farouche opposante à la peine capitale. Elle a mis des mots sur cette expérience dans un ouvrage qui a remporté le prix Pulitzer, intitulé Dead Man Walking, sur lequel est basé le film du même nom écrit et réalisé par Tim Robbins.

Helen Prejean s’est également mesurée, avec un succès considérable, à deux des institutions les plus puissantes au monde – l’Église catholique et les États-Unis – et ne semble pas près de s’arrêter. Approchant désormais de son soixante-dixième anniversaire, elle poursuit son action sans relâche dans le monde entier afin que la peine de mort soit abolie. Elle donne une centaine de conférences par an et continue à rendre visite à des hommes et des femmes se trouvant dans le couloir de la mort.

Sœur Helen Prejean parle avec passion des nombreuses injustices de tous ordres associées selon elle au châtiment ultime – le racisme, les attitudes rendant les pauvres responsables de tous les maux, les dégâts qu’il cause chez ceux qui l’administrent et dans la société en général, l’homicide d’innocents et le fait d’arracher leur dignité à des êtres humains.

« Il n’y a rien de digne à tuer une personne sans défense, dit-elle. Cette question était au cœur de mon dialogue avec le pape Jean-Paul II en 1997. Je lui ai dit que la position d’Amnesty International était ferme, n’autorisant aucune exception, mais que ce n’était pas le cas de l’Église catholique. Je lui ai montré la brèche qu’il avait laissée dans ses propos concernant la peine capitale – dans son encyclique intitulée L’Évangile de la vie –, les mots “en cas de nécessité absolue”. Je lui ai dit que l’on ne pouvait laisser cela à l’appréciation des gouvernements car ils déclareront toujours que c’était absolument nécessaire.

« Lorsque le pape est venu à St Louis en 1999, il a inclus pour la première fois la peine de mort à la liste des sujets relatifs à la préservation de la vie. Il a dit non à la peine de mort parce que c’est un châtiment cruel qui n’a rien de nécessaire puisque nous avons des prisons, puis il a ajouté : “même ceux parmi nous qui ont commis un crime terrible ont une dignité”.

« Notre tâche est donc d’enseigner cela aux gens, maintenant que notre discours est cohérent !, poursuit-elle. Il y a 65 millions de catholiques aux États-Unis. Les États où ils sont le plus nombreux sont ceux où l’on a le moins recours à la peine de mort. Nous pouvons en finir avec la peine de mort en mobilisant ces 65 millions de catholiques. »

Elle affirme qu’Amnesty International lui a appris que les droits humains sont inaliénables, qu’ils ne sont pas accordés aux personnes par les gouvernements pour bonne conduite et ne peuvent pas leur être retirés pour mauvaise conduite. « Amnesty International a joué pour moi le rôle d’enseignant – beaucoup plus vite que ne l’a fait mon Église qui [à l’époque] avait une position trouble sur la peine de mort. Amnesty International m’a également appris ce qu’était la force morale et ce qu’il fallait faire pour mobiliser les gens, mais aussi la marche à suivre pour éduquer la population. »

L’un des principaux enseignements tirés par Helen Prejean de ses expériences est de commencer simplement. « Écrivez une lettre à quelqu’un, suggère-t-elle. Si nous laissons cette rose déplier tous ses pétales, notre vie tout entière s’en trouvera changée : ce qui est en jeu, c’est le combat pour la dignité de chacun. Ceux qui ont besoin de traverser un changement, ce n’est pas tant eux [les prisonniers du couloir de la mort] que nous. Cette expérience nous apprend que nous n’avons qu’une vie, et qu’elle compte. Nous sommes là pour accomplir des choses essentielles, et non pas triviales. »