Égypte : mortelles traversées du désert

« Ici c’est comme si c’était la guerre, et chez nous aussi c’est la guerre, il n’y a aucune différence ».


« Nous avons fui la mort mais la mort nous poursuit ; nous ne savons pas ce que deviennent ceux d’entre nous qui sont restés, dans les camps de déplacés. Il aurait mieux valu rester là-bas, plutôt que de subir ce que nous avons dû endurer. »

Un réfugié soudanais du Darfour qui a tenté de traverser la frontière égyptienne pour se rendre en Israël et qui a purgé une peine d’un an d’emprisonnement en Égypte.

Depuis le milieu de l’année 2007, des centaines de réfugiés, de demandeurs d’asile et de migrants originaires pour la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne ont risqué leur vie en tentant de traverser la frontière égyptienne pour gagner Israël.

Les gardes-frontières égyptiens procèdent généralement à des tirs de sommation en l’air et ordonnent aux personnes de s’arrêter. Celles qui n’obtempèrent pas le paient souvent de leur vie.

En l’espace d’un peu plus d’un an, jusqu’à la semaine dernière, 25 personnes avaient été tuées par balles – 19 hommes, cinq femmes et une fillette de sept ans – alors qu’elles tentaient de passer la frontière égyptienne pour se rendre en Israël. Amnesty International n’a pu obtenir l’identité que de cinq d’entre elles : Haroun Mohamed Yehya Haroun (vingt-quatre ans, de nationalité soudanaise) ; Mervat Mer Hatover (trente-sept ans, de nationalité érythréenne) ; Ermeniry Khasheef (cinquante ans, de nationalité soudanaise); Adam Mohammed Othman (vingt-trois ans, de nationalité soudanaise) ; et Hajja Abbas Haroun (vingt-huit ans, de nationalité soudanaise) qui était enceinte de sept mois lorsqu’elle a été abattue. Lundi dernier, au soir, une vingt-sixième personne aurait été tuée par des gardes-frontières égyptiens, un réfugié soudanais qui tentait de traverser la frontière à proximité de Rafah.

Dans un document publié ce mercredi 20 août et intitulé Égypte. Mortelles traversées du désert, Amnesty International prie le gouvernement égyptien de respecter les droits humains, y compris le droit de chacun à la vie, et de se conformer pleinement au droit et aux normes internationaux relatifs aux droits humains lors des contrôles aux frontières et de toute autre opération liée aux déplacements ou au séjour des étrangers. Cela étant, le gouvernement égyptien a en lui-même le devoir et la responsabilité de réglementer les entrées et les séjours des étrangers sur son sol, ainsi que leurs sorties de ce même territoire, et l’organisation reconnaît que les agents des forces de l’ordre responsables des contrôles aux frontières peuvent parfois être confrontés à des actes de violence.


« La manière dont les autorités égyptiennes traitent les migrants ainsi que les demandeurs d’asile et les réfugiés sans défense d’Afrique sub-saharienne est scandaleuse et constitue un mépris flagrant du droit international ; c’est pourquoi nous demandons au président Hosni Moubarak d’intervenir d’urgence pour y mettre un terme »,
a déclaré Amnesty International.

L’organisation a ajouté que, en vertu des normes internationales, les forces de sécurité ne doivent faire usage de leurs armes à feu que dans des circonstances bien précises : lorsque des vies sont en danger et qu’il n’y a aucun autre moyen pour faire face à la situation.

D’après les informations recueillies, rien n’indique que les réfugiés, les demandeurs d’asile et les migrants qui tentaient de quitter l’Égypte pour se rendre en Israël auraient eu recours à la force ou menacé de quelque manière que ce soit les gardes-frontières égyptiens qui ont tiré sur eux.

Bien que 26 personnes aient été tuées dans 17 affaires différentes, les autorités égyptiennes n’ont ouvert aucune enquête, à la connaissance d’Amnesty International, sur ces homicides et sur l’usage de la force meurtrière par les gardes-frontières égyptiens.

Au lieu d’ordonner à ces derniers de ne pas avoir recours à une force excessive, elles ont arrêté plus de 1 300 réfugiés, demandeurs d’asile et migrants d’Afrique sub-saharienne et les ont poursuivis, devant des tribunaux militaires qui ne tiennent pas compte des normes internationales en matière d’équité des procès, pour avoir « tenté de quitter illégalement l’Égypte par sa frontière orientale ».

D’autres réfugiés, demandeurs d’asile et migrants ont été renvoyés dans leur pays où ils risquent d’être torturés. En août 2007, les autorités israéliennes ont renvoyé en Égypte 48 personnes qui avaient réussi à passer la frontière ; d’après les informations recueillies, une vingtaine d’entre elles ont ensuite été renvoyées d’Égypte au Soudan sans avoir eu la possibilité de faire examiner leur demande d’asile par le bureau du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. On ignore toujours ce qu’il est advenu des autres personnes.

En juin 2008, au mépris des normes internationales, l’Égypte a renvoyé pas moins de 1 200 Érythréens dans leur pays, où il semblerait qu’ils risquent d’être torturés et soumis à d’autres graves atteintes aux droits humains. Ceci est en complète contradiction avec les principes directeurs du HCR, aux termes desquels tous les gouvernements sont priés de ne pas renvoyer en Érythrée les réfugiés et les demandeurs d’asile de ce pays, même ceux dont la demande a été rejetée.

Le document d’Amnesty International sur les violations des droits humains aux frontières égyptiennes a été adressé au président égyptien Hosni Moubarak, accompagnant une note dans laquelle l’organisation prie les autorités égyptiennes :

de veiller de toute urgence à ce que les forces de sécurité égyptiennes n’utilisent la force qu’en respectant rigoureusement les normes internationales relatives aux droits humains ;

de s’assurer que tous les membres des forces de sécurité égyptiennes sont correctement formés aux droits humains ;

d’enquêter sans délai, de façon approfondie et impartiale sur tous les cas où des gardes-frontières égyptiens ou d’autres membres de forces de sécurité ont ouvert le feu sur des personnes cherchant à traverser les frontières égyptiennes avec Israël ou d’autres pays ;

de veiller à ce que les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile ne soient pas arrêtés dans une optique de contrôle de l’immigration et de cesser de traduire des civils devant des tribunaux militaires, procédure qui viole les normes internationales en matière d’équité des procès ;

de faire cesser tout renvoi forcé d’Érythréens, dans le respect des principes directeurs du HCR, ainsi que toute expulsion de personnes vers des pays où elles risquent d’être victimes d’atteintes aux droits humains, conformément aux obligations qui sont celles de l’Égypte en vertu du droit international relatif aux droits humains et du droit relatif aux réfugiés.