Il est temps que l’Espagne tienne ses engagements en matière de droits humains

Amnesty International a rendu public ce vendredi 20 juin 2008, à Madrid, son programme des droits humains pour le second mandat du gouvernement espagnol. Ce programme, qui a été soumis le 19 juin au président Rodríguez Zapatero, présente un bilan des progrès réalisés et différentes propositions concrètes pour de futures actions.


« Nous saluons l’engagement pris par le président Rodríguez Zapatero d’adopter un plan national pour les droits humains d’ici fin 2008,
a déclaré Irene Khan, secrétaire générale d’Amnesty International. C’est là une belle occasion de prendre des initiatives fortes et d’obtenir des résultats dans ce domaine. »

Le rapport d’Amnesty International, intitulé Spain – a Stronger commitment, more effective action – A Human Rights Agenda for 2008 – 2012, passe en revue les accomplissements du précédent mandat du gouvernement, identifie les principaux défis que doit relever l’Espagne en matière de droits humains, trace la voie à suivre pour mettre en place des changements et recense 17 indicateurs permettant d’évaluer la réussite du gouvernement à l’aune de ses promesses.


« Le président Zapatero nous a confié que son plan en matière de droits humains serait ambitieux et nous ne manquerons pas de lui rappeler ses engagements »,
a indiqué Irene Khan. Amnesty International demande que ce plan fasse l’objet de larges consultations, soit conforme aux obligations internationales de l’Espagne et fasse preuve de la même détermination à l’égard des droits humains au niveau national et international. Tout en prenant en compte les enjeux relatifs aux droits humains auxquels est confrontée l’Espagne, il doit renforcer la protection des groupes les plus vulnérables de la société, notamment les femmes victimes de violence, les enfants, les migrants et les détenus. Il doit fixer des objectifs clairs et mobilisateurs qui permettront d’évaluer les évolutions dans la transparence.


« Ce plan ne doit pas rester une promesse sur le papier, mais bien se traduire par des résultats »,
a affirmé Irene Khan.

Selon Amnesty International, le bilan des quatre dernières années affiche des améliorations dans certains domaines et souligne la nécessité d’un engagement plus fort et de mesures plus efficaces dans d’autres. L’organisation se félicite de l’adoption de la loi visant à contrôler le commerce d’équipements militaires et de la loi contre la violence liée au genre. Elles témoignent d’une volonté politique – mais il faut bien davantage pour convertir ces mesures en actions concrètes. Quant à la loi sur les droits des victimes de la guerre d’Espagne et du régime de Franco, elle a marqué une étape importante, sans toutefois combler les attentes en termes de vérité, de justice et de réparation.


« Il est temps de mettre en œuvre un plan national en matière de droits humains doté d’une réelle ambition, qui s’appuie sur les réalisations actuelles et enclenche une dynamique en vue de s’attaquer aux défis cruciaux de notre époque »,
a déclaré Irene Khan.

Le gouvernement devra notamment faire face aux graves violences auxquelles continue de se livrer l’ETA (Pays basque et liberté). Amnesty International condamne systématiquement et sans réserve les violences imputables à l’ETA, les qualifiant de graves atteintes aux droits humains, et refuse catégoriquement tout argument ou objectif qui tenterait de les justifier.

Le gouvernement espagnol est tenu de protéger la population contre ces attaques, mais doit le faire dans le cadre du droit international et d’un système de défense des droits humains. « Le monde ne viendra pas à bout du terrorisme en bafouant les droits fondamentaux et le droit international – c’est le message que délivre Amnesty International dans le cadre de la lutte mondiale contre le terrorisme et c’est notre message en Espagne », a expliqué Irene Khan.

L’Espagne, et de fait toute l’Europe, devra également relever un autre défi complexe, celui de la migration. Amnesty International reconnaît aux États le droit de contrôler leurs frontières, mais pas au détriment des droits fondamentaux des migrants, qu’ils aient ou non des papiers.


« Ce n’est pas parce que vous n’avez pas de papiers que vous n’avez pas de droits,
a fait valoir Irene Khan. Amnesty International est profondément déçue par l’adoption d’une directive de l’Union européenne le 18 juin qui va désormais permettre aux États membres de détenir des personnes n’ayant commis aucun crime, y compris des mineurs, pendant une période pouvant aller jusqu’à dix-huit mois. »

Le gouvernement espagnol a fait part de sa volonté de modifier la Loi relative aux étrangers. Amnesty International l’invite à ne pas ajuster ses normes concernant le traitement des migrants sur le plus petit dénominateur commun européen. Le gouvernement espagnol a renouvelé l’engagement pris dans son programme électoral de ratifier la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille – ce dont Amnesty International se félicite. « Nous exhortons le gouvernement espagnol, dans l’élaboration du plan national pour les droits humains, à ouvrir la voie en Europe et à édifier une politique migratoire des meilleures pratiques s’appuyant sur ces droits », a préconisé Irene Khan.

En outre, l’Espagne doit faire face aux problèmes de racisme et de xénophobie qui concernent toute l’Europe. Bien qu’un observatoire ait été créé en Espagne, aucune donnée ni statistique n’a été publiée sur ces sujets. « Pourtant bien réels, le racisme et la xénophobie n’en demeurent pas moins invisibles officiellement. Cette situation doit prendre fin immédiatement », a expliqué Irene Khan. Amnesty International préconise l’adoption d’une stratégie globale visant à collecter et publier ces informations dans toute l’Espagne, dans le cadre d’un plan plus vaste de lutte contre le racisme et l’intolérance.

Par ailleurs, d’après les recherches menées notamment par Amnesty International, les cas de torture et de mauvais traitements, s’ils ne sont pas systématiques, continuent d’être signalés par un large éventail de personnes dans tout le pays. L’organisation se félicite de ce que les autorités admettent de plus en plus que ces pratiques ne sont pas des actes isolés et les exhorte à prendre des mesures afin de remédier au problème, notamment en mettant sur pied un mécanisme indépendant chargé d’enquêter sur les plaintes déposées contre des policiers, à l’instar de nombre de pays européens. De telles garanties sont le meilleur moyen de protéger tant les droits des détenus que la réputation des responsables de l’application des lois contre les plaintes mensongères.

À cet égard, une mesure préventive encourageante consiste à installer des caméras vidéos destinées à observer les détenus en garde à vue – initiative lancée par le Pays basque et suivie par la Catalogne. L’adoption de mesures permettant aux juges d’ordonner la vidéosurveillance des cellules où des personnes sont détenues au secret par la police nationale constitue un pas en avant. Amnesty International demande que cette mesure soit généralisée à tous les cas de détention. « Quoi qu’il en soit, la loi espagnole sur la détention au secret est une anomalie en Europe et doit être abrogée », a conclu Irene Khan.

Sur la scène internationale, Amnesty International invite l’Espagne à s’engager avec cohérence envers les droits fondamentaux dans toutes les facettes de sa politique étrangère. L’organisation salue la mobilisation de l’Espagne en faveur du multilatéralisme et l’appui positif qu’elle a apporté ces dernières années aux institutions de défense des droits humains des Nations unies. Toutefois, elle doit faire preuve du même engagement dans ses relations bilatérales avec des gouvernements tels que la Chine, la Colombie, les États-Unis, le Maroc et la Russie.


« Subordonner les droits fondamentaux à des considérations économiques, stratégiques et politiques à court terme dans le cadre de relations bilatérales témoigne d’une vision dénuée de clairvoyance, qui bat en brèche et met en péril les objectifs généraux de politique étrangère du gouvernement espagnol en termes de promotion multilatérale de ces droits,
a fait valoir Irene Khan.


« Le président Zapatero a lancé une initiative énergique en faveur d’un moratoire mondial sur la peine de mort, que nous soutenons. Nous l’exhortons à faire montre de la même hardiesse et à ouvrir la voie s’agissant d’autres problèmes urgents relatifs aux droits humains, à l’échelon national, européen et international. Au cours de son deuxième mandat, le gouvernement de Rodríguez Zapatero a une occasion unique de tenir ses engagements en matière de droits fondamentaux. »


Complément d’information

Une délégation d’Amnesty International conduite par la secrétaire générale Irene Khan s’est rendue en Espagne le 14 juin afin de rencontrer des représentants de la société civile, des parlementaires et des membres du gouvernement. Dans les îles Canaries, la délégation s’est entretenue avec le président du gouvernement autonome et a visité un centre pour mineurs non accompagnés. Au Pays basque, Irene Khan a rencontré le président du gouvernement autonome, le médiateur et les conseillers de l’Intérieur et de la Justice. Elle a également été conviée à prendre la parole devant la Commission des droits humains du parlement basque. À Madrid, dans le cadre de réunions officielles, Irene Khan s’est notamment entretenue avec le président du gouvernement, le ministre de la Justice, les secrétaires d’État à la Migration, à l’Intérieur et aux Affaires étrangères, le procureur général, le président de la chambre criminelle de l’Audience nationale, des représentants du Conseil général du pouvoir judiciaire et des représentants parlementaires de divers partis politiques.