La crise du Darfour gagne la capitale soudanaise

Amnesty International s’inquiète vivement de la répression menée par les forces de sécurité soudanaises après l’incursion d’un groupe armé dans Khartoum. Cette vague de répression se traduit par de graves atteintes aux droits humains ; des centaines d’arrestations arbitraires ont notamment été signalées, ainsi que des mauvais traitements et des exécutions extrajudiciaires. Ce sont essentiellement des Darfouriens qui en sont la cible.

Le samedi 10 mai 2008, le Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE), un groupe armé d’opposition basé au Darfour, a lancé une attaque militaire contre la banlieue de Khartoum. L’attaque signe le début d’une nouvelle phase du conflit au Darfour ; c’est la première fois depuis le début du conflit en 2003 qu’un groupe armé d’opposition frappe jusque dans les faubourgs de la capitale. De nombreux membres du MJE auraient été tués au cours de l’attaque et de nombreux autres arrêtés.

En réaction à cette attaque militaire, le gouvernement a procédé à des centaines d’arrestations arbitraires et à plusieurs exécutions extrajudiciaires. La police soudanaise et les Services de la sécurité nationale et du renseignement (NISS) ont mené les opérations, ciblant les Darfouriens, notamment de la tribu des Zaghawas. Depuis que les forces soudanaises ont repoussé l’attaque, un couvre-feu a été instauré à Omdurman et des points de contrôle ont été installés dans les rues de la capitale, permettant l’interpellation et la mise en détention de personnes voyageant en bus ou en voiture, tandis que le NISS et la police fouillent les maisons des Darfouriens et de leurs proches.


« Des civils, essentiellement des jeunes, ont été brutalement arrêtés dans les rues, dans leurs maisons et emmenés dans des lieux de détention inconnus. Les arrestations dans les lieux publics ont été faites essentiellement en fonction de l’apparence physique des personnes, de leur âge, de leur accent et de la couleur de leur peau. »
C’est par ces mots qu’un important avocat soudanais a fait part de ses préoccupations à Amnesty International à propos de la nature arbitraire des arrestations – certaines personnes étant arrêtées en fonction de leur appartenance ethnique et de leur âge –, des mauvais traitements accompagnant ces interpellations et du manque d’information sur les lieux de détention. Il a déclaré à Amnesty International que les jeunes hommes, les mineurs notamment, couraient plus de risques, le MJE étant connu du gouvernement pour s’appuyer en partie sur de jeunes recrues. Selon des témoins oculaires, les interpellés seraient testés sur leur prononciation de certains mots afin de déterminer s’ils sont ou non darfouriens.

Il y a parmi les personnes arrêtées des hommes et des femmes darfouriens mais aussi des familles entières. Amnesty International a reçu d’autres informations faisant état de l’arrestation d’avocats, de journalistes et d’au moins un militant des droits humains au cours de la semaine passée.
À la date du 21 mai 2008, cinq membres du Parti du Congrès populaire (PCP), un parti politique d’opposition, étaient toujours en détention tandis que Hassan al Tourabi, le chef de ce parti et d’autres membres du PCP avaient été libérés.

Amnesty International condamne l’arrestation arbitraire de centaines de personnes et demande instamment au gouvernement soudanais de libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes arrêtées uniquement en raison de leur appartenance ethnique ou pour avoir exprimé pacifiquement leur opinion.

L’organisation exhorte également le gouvernement à inculper tous les autres détenus d’une infraction dûment reconnue par la loi ou à les libérer immédiatement.

Des témoins oculaires ont parlé à Amnesty International des mauvais traitements subis au moment de leur arrestation par plusieurs personnes interpellées par la police et le NISS. Un avocat, libéré deux jours après son arrestation, a décrit comment lui et sa famille avaient été traînés hors de leur domicile. Il a aussi déclaré avoir été battu à coups de crosse de fusil sur la tête et les jambes, ce qui lui a occasionné des blessures graves. D’autres témoins ont signalé l’exécution extrajudiciaire d’hommes et d’au moins une femme en public à Omdurman. Selon différentes sources, la femme aurait été abattue le 11 mai par le NISS dans le quartier d’Umbada, à Omdurman, pour avoir protesté contre l’arrestation de son jeune frère.

Selon des informations communiquées par sa famille, un homme de trente et un ans originaire de l’État du Nil blanc a été arrêté par le NISS le 16 ou le 17 mai et emmené dans un centre de détention du NISS. Il avait déjà été arrêté et relâché un jour plus tôt, après avoir été accusé d’avoir hébergé des membres du MJE dans l’une de ses maisons. Le 19 mai, lorsqu’un proche est venu demander où le jeune homme était détenu, le NISS lui a répondu que ce dernier était décédé d’insuffisance rénale au cours de sa détention. Selon le NISS, le problème est apparu le premier jour de la détention et le détenu a été envoyé dans un hôpital du NISS, où il est décédé ; il a ensuite été transféré à la morgue. Le 19 mai, la famille a demandé au médecin de la morgue de procéder à une autopsie avant de leur remettre le corps. L’autopsie a révélé que l’homme était mort des suites d’une hémorragie interne due à des blessures graves et à des contusions sur diverses parties du corps.

Amnesty International appelle le gouvernement soudanais à condamner de tels actes et à enquêter sur toutes les allégations de mauvais traitements et de torture ainsi que sur toutes les exécutions extrajudiciaires qui ont eu lieu après l’attaque du MJE.

Selon les informations disponibles, un certain nombre de détenus se trouveraient dans la prison de Kober à Khartoum, mais le sort de la plupart des personnes arrêtées reste incertain. En ce qui concerne les personnes arrêtées dans la rue, on ne sait pas non plus de quelle autorité elles dépendent. Leurs proches les considèrent comme portées disparues. Amnesty International craint que beaucoup n’aient fait l’objet de disparitions forcées.

Le nombre de personnes arrêtées et les circonstances de leur interpellation, l’incertitude concernant leur sort et les mauvais traitements signalés au moment des arrestations sont autant d’objets d’inquiétude. Amnesty International craint que les personnes détenues au secret, peut-être dans des centres de détention non reconnus, sans contact possible avec un avocat ou avec leurs proches, ne courent des risques accrus de torture ou d’exécution extrajudiciaire.

Amnesty International s’inquiète en outre pour les personnes sans document d’identité vivant dans la capitale. De nombreuses arrestations ont lieu dans toute la ville et dans les transports publics, faisant courir un risque plus grand aux personnes ne pouvant fournir une preuve de leur identité.

Amnesty International a reçu un certain nombre d’informations non confirmées faisant état de fosses communes découvertes après l’attaque du MJE le 10 mai, dont une qui serait située dans la partie ouest d’Omdurman. Amnesty International demande instamment que ces sites soient identifiés et qu’un périmètre de sécurité soit établi afin que des enquêteurs indépendants disposant des compétences requises puissent les examiner.

Amnesty International demande en outre instamment aux autorités d’abroger l’article 31 de la Loi relative aux forces de sécurité, qui autorise jusqu’à neuf mois de détention, sans possibilité pour l’intéressé de faire contrôler la légalité de sa détention par une autorité judiciaire.

Amnesty International rappelle au gouvernement soudanais qu’il s’est engagé à accorder aux observateurs de la Mission des Nations unies au Soudan l’accès aux lieux de détention. L’organisation demande instamment aux autorités soudanaises de communiquer dans les plus brefs délais des informations concernant le sort de toutes les personnes détenues et d’autoriser les observateurs des droits humains, les familles, les avocats et les médecins à se rendre dans les lieux de détention.