Hommage à Anna Politkovskaïa

Des personnes du monde entier, notamment des membres et des sympathisants d’Amnesty International, rendent hommage à la journaliste et défenseure russe des droits humains Anna Politkovskaïa, assassinée à son domicile à Moscou il y a un an, le 7 octobre. Anna Politkovskaïa a été tuée très probablement en raison de son travail de journaliste, dans le cadre duquel elle dénonçait des violations des droits humains commises en Russie. Amnesty International estime que la manière dont l’enquête judiciaire a été menée jusqu’à présent révèle le manque de volonté politique de traduire en justice les commanditaires du meurtre. Après avoir écrit ses premiers articles sur le conflit armé en Tchétchénie et dans le Caucase du Nord en 1999, Anna Politkovskaïa a été arrêtée et menacée de graves représailles, notamment de mort, à plusieurs reprises. Elle a interviewé des Russes, des Tchétchènes et des membres d’autres groupes ethniques qui affirmaient avoir subi des tortures ou d’autres mauvais traitements ou avoir été privés de justice par les autorités russes. Aujourd’hui, des journalistes et des militants des droits humains qui sont toujours en butte à des agressions, à des menaces et à des intimidations (y compris à des menaces de mort) en raison de leur travail se souviennent d’Anna Politkovskaïa. Svetlana Gannouchkina, présidente de l’ONG Assistance aux citoyens et membre du bureau exécutif de l’ONG Memorial:

« Pendant la deuxième guerre de Tchétchénie (1999-2004), la Tchétchénie est devenue le principal sujet du travail d’Anna. Elle s’y rendait très souvent. La Tchétchénie l’a transformée, elle est devenue sa raison de vivre. Pour beaucoup de gens, les articles d’Anna sur cette deuxième campagne de Tchétchénie étaient le seul moyen d’apprendre la vérité, s’ils le souhaitaient encore. « Anna n’a pas cessé d’écrire. Elle intervenait pour aider les gens et exigeait des réponses de la part des enquêteurs, des procureurs et des militaires. Elle recevait des menaces par téléphone et par écrit, et pas seulement à Moscou. En Tchétchénie, on avait aussi menacé de l’exécuter. Je ne crois pas qu’Anna n’avait pas peur, mais ce qui se passait autour d’elle était tellement terrifiant qu’elle repoussait sa propre peur tout au fond de son esprit et n’en tenait pas compte. « Anna répondait à chaque appel à l’aide, à chaque cri de douleur. Sa voix était déjà si forte qu’elle se faisait entendre dans les coins les plus reculés de notre petit monde. Et elle continue d’être entendue aujourd’hui, car de nombreuses personnes ont été touchées par ce qu’Anna a accompli. « J’espère vraiment qu’il y aura plein de monde à Moscou le 7 octobre, que les gens marcheront dans les rues avec sa photo et qu’ils iront au cimetière. Juste pour que ceux qui ont cru le président Poutine lorsqu’il a dit que l’influence d’Anna sur la vie politique russe était minime se rendent compte que c’est faux. « L’influence d’Anna va perdurer, ses articles seront là pour combattre l’indifférence et la passivité, et sa voix se fera entendre longtemps, tant que des personnes auront besoin d’être protégées et d’avoir quelqu’un qui dénonce leur situation. Ses articles seront lus par les générations futures, qui sauront ce qui se passait à notre époque. » Osman Boliev, un défenseur des droits humains victime de détention arbitraire et de torture en novembre 2005 :

« Anna Politkovskaïa est l’une des personnes qui m’ont sauvé la vie. Grâce à ses articles, les gens ont su ce qui se passait dans le Caucase du Nord et c’est à cela que j’ai dû ma libération. Mais Anna a perdu la vie à cause de son travail. Je pense que c’était une véritable héroïne, elle savait que sa vie était menacée mais elle a quand même continué. « C’était aussi une vraie patriote, elle a agi comme elle l’a fait parce qu’elle était sensible à la situation des gens en Russie, y compris dans le Caucase du Nord. D’une certaine manière, elle était le porte-drapeau de tous ceux pour qui les droits humains signifient quelque chose. Désormais, c’est à nous de prendre le relais. »

Magomed Moutsolgov, un défenseur des droits humains dont le frère, Bachir, a disparu en 2003: « Les articles d’Anna Politkovskaïa consacrés aux enlèvements en Ingouchie ont mis en lumière des violations des droits humains, systématiques dans la région. Anna a eu le courage de révéler à l’opinion publique en Russie et dans le monde entier l’ampleur des violations perpétrées dans le Caucase du Nord et cela a remonté le moral des familles des personnes enlevées. « Elle a réussi à briser le mur du silence dans la région et des journalistes du monde entier se sont rendus dans le Caucase pour pouvoir ensuite dire la vérité sur l’impunité qui est la règle ici. Le fait que la vérité ait été révélée sur les enlèvements et sur l’impunité des autorités a entraîné une diminution du nombre d’enlèvements en Ingouchie pendant un certain temps. » Dmitri Mouratov, rédacteur en chef du journal Novaïa Gazeta, pour lequel travaillait Anna Polikovskaïa.

« Le dossier Politkovskaïa est en train de s’écrouler. L’objectif, c’est qu’il ne reste rien. C’est ce qui a par exemple été fait en organisant la fuite d’informations qui auraient dû rester secrètes. Des personnes haut placées travaillant pour différentes structures gouvernementales, des “siloviki” et des membres des services spéciaux, ont organisé la fuite d’informations concernant ce dossier. « Elles ont diffusé une liste indiquant les noms des personnes arrêtées. On n’avait jamais vu ça. Pourquoi ont-elles agi ainsi? Parce qu’elles ont reçu l’ordre de le faire, pour que toutes les autres personnes impliquées dans ce dossier puissent se cacher. Toutes les photos et les biographies des individus arrêtés, accompagnées d’informations émanant de la police, ont été publiées sur Internet et dans deux tabloïds. » ——————————————————————————– Amnesty International demande aux autorités russes de prendre clairement et explicitement la défense des journalistes, des avocats et des défenseurs des droits humains qui s’expriment ouvertement sur la situation des droits humains dans la Fédération de Russie. L’organisation demande aux autorités fédérales et tchétchènes de prendre d’importantes mesures pour permettre aux observateurs indépendants et aux journalistes, y compris étrangers, de rendre compte de la situation en Tchétchénie sans craindre de représailles. Amnesty International appelle par ailleurs les autorités russes à protéger les journalistes, les défenseurs des droits humains et les avocats en enquêtant activement sur les allégations d’agressions contre ces personnes. Les pouvoirs publics doivent notamment enquêter sur le meurtre d’Anna Polikovskaïa. Les responsables, y compris les personnes qui ont ordonné ou organisé ces agressions, doivent être traduits en justice sans délai.