Le changement climatique pèse sur l’ensemble de la population, mais à différents degrés. Parmi les personnes qui subissent des répercussions disproportionnées se trouvent les femmes et les filles, en particulier celles qui appartiennent à des milieux marginalisés et discriminés dans les pays du Sud. Pourtant, leurs voix sont rarement entendues dans les hautes sphères du pouvoir.
Depuis les ruines semées par la division, nous voyons émerger malgré tout des mouvements qui s’unissent. Mené par des femmes puissantes et diverses, le combat pour la justice climatique prend de l’ampleur. La crise climatique pourrait-elle nous unir ? Sera-t-elle la cause d’une véritable solidarité internationale, en nous obligeant à agir et à voir les points communs de nos luttes pour finir par triompher des inégalités systémiques qui nous divisent ?
Pour la Journée internationale des droits des femmes 2020, nous avons demandé à cinq militantes leur définition de la justice climatique et la manière dont nous pouvons tous et toutes profiter de notre diversité pour garantir un avenir juste et durable à l’ensemble de l’humanité.
SOSTINE NAMANYA – SPÉCIALISTE DES QUESTIONS DE GENRE ET DE SÉCURITÉ ALIMENTAIRE, OUGANDA
« Mes modèles, ce sont les femmes des régions rurales qui ont été déplacées entre autres par les grandes entreprises et par les catastrophes naturelles, mais qui continuent de résister malgré les difficultés auxquelles elles sont confrontées chaque jour.
« Les choses que j’ai vues en tant que jeune fille africaine qui a grandi dans la campagne ougandaise ont joué un grand rôle dans ma décision de devenir militante. Non seulement j’ai vu ma propre mère, mes tantes et d’autres femmes du village lutter pour surmonter les obstacles posés par l’injustice climatique, mais j’ai été moi aussi une victime dès le plus jeune âge. On aurait dit qu’il y avait une loi, quelque part, qui disait que seules les femmes et les filles pouvaient aller chercher de l’eau, laver tout ce qui devait être lavé à la maison, cuisiner, servir les repas puis recommencer à chercher de la nourriture. Il m’est arrivé plusieurs fois de voir des femmes battues par leur mari, que ce soit pour avoir tardé à préparer le repas, pour ne pas avoir fait bouillir l’eau du bain ou pour être rentrées trop tard du marché ou du puits. C’est à ce moment-là que quelque chose s’est développé en moi, un besoin de lutter contre cette situation, même si à l’époque je ne savais pas exactement comment faire. Il m’a semblé parfaitement naturel de me joindre aux actions de la société civile et de militer contre les injustices sociales et économiques avant même d’avoir quitté l’université.
« La justice climatique, pour moi, c’est un monde où le changement climatique n’est pas considéré dans sa globalité, mais à travers ses conséquences pour différentes catégories de la population, par exemple en fonction de leur genre, de leur localisation, de leur métier, de leurs revenus, etc. C’est un monde où les femmes sont écoutées dans les débats et les discussions sur le climat, particulièrement dans les pays du Sud où elles travaillent dur chaque jour pour subvenir aux besoins de leur famille. »
AMASAI JEKE – FÉMINISTE TRANSGENRE ET MILITANTE POUR LES DROITS DES PERSONNES LGBTQI, FIDJI
« De mon point de vue de jeune féministe et de personne qui croit en la justice climatique et écologique, l’objectif majeur est de mettre en place des relations de confiance, de créer des stratégies communes et de donner plus d’importance aux témoignages des personnes qui sont en première ligne du changement climatique. Il s’agit entre autres des personnes qui vivent dans des pays du Sud, des personnes de couleurs, des communautés autochtones et rurales, des femmes, des personnes LGBTQI, des enfants, des personnes en situation de handicap, et des jeunes qui font bouger les choses à l’échelle internationale.
« Il s’agit également de placer la solidarité au cœur de notre travail et d’organiser ce dernier ensemble, pour mettre un terme à l’injustice climatique. La crise climatique nous propose une loupe qui nous permet de comprendre les formes intersectionnelles d’injustices dans le monde. C’est pour cela qu’il est important de placer l’égalité des genres (qui ne se limite pas à l’égalité entre les hommes et les femmes) et les droits humains au cœur de notre travail pour l’obtention d’une justice climatique. Il est également important de ne pas mettre les milieux marginalisés de côté, ni de les considérer comme une monnaie d’échange, mais au contraire de les inclure dans les processus de décision et de les mettre en valeur dans le débat public.
« Le mouvement LGBTQI et le mouvement féministe m’ont appris que notre plus grande puissance individuelle, c’était de dire la vérité au pouvoir en place. Le reste suivra naturellement. »
ASTRID PUENTES – JURISTE SPÉCIALISÉE DANS LES QUESTIONS ENVIRONNEMENTALES, COLOMBIE-MEXIQUE
« Les populations locales et indigènes devraient être au cœur des discussions sur la justice climatique, et jouer un rôle central dans la recherche de solutions. Leurs voix doivent être entendues, y compris celles des jeunes et des femmes, et les solutions qu’elles proposent doivent être étudiées et mises en place.
« Nous avons toutes et tous, en particulier les personnes qui se trouvent dans une situation privilégiée, la responsabilité de reconnaître l’existence des inégalités sociales, d’admettre qu’elles se produisent partout et surtout de prendre des mesures pour réellement lutter contre elles. Nous devons arrêter d’agir dans le but d’être politiquement corrects, et commencer à transformer les communautés et les milieux afin qu’ils soient réellement inclusifs.
« Chacun et chacune d’entre nous devrait sortir de sa zone de confort, c’est une étape indispensable. Si nous nous sentons encore à l’aise, cela signifie que nous pouvons en faire davantage. Je ne parle pas forcément de faire des sacrifices ; plutôt l’inverse, d’ailleurs. La première étape vers la construction d’un monde réellement juste est de se sentir profondément mal à l’aise avec les inégalités et la discrimination. »
MARCELLE PARTOUCHE – TRAVAILLEUSE SOCIALE ET ARTISTE, CANADA
« Je crois que chacun et chacune d’entre nous doit faire preuve d’humilité. Il n’y a pas de place pour le sentiment de supériorité dans cette bataille. Nous devons absolument comprendre qu’il s’agit d’une opportunité d’apprendre à faire les choses différemment. Nous pouvons commencer par apprendre à nous écouter mutuellement et à suivre les pratiques respectueuses de la terre et de l’environnement. Nous pouvons essayer d’entreprendre de petits changements : manger moins de bœuf, résister à toutes les formes de surconsommation, recycler et nous informer sur les énergies renouvelables. Toutes ces mesures auront des conséquences sur notre état d’esprit, sur notre comportement, et nous pouvons tout simplement essayer de partager au lieu de gaspiller.
« Je crois que nos valeurs fondamentales doivent s’orienter davantage vers une meilleure distribution des ressources, dans tous les sens du terme. Lorsqu’elle s’est insinuée dans nos esprits, la restriction devient un véritable parasite ; elle nous rend cupides et égoïstes. En réalité, nous devrions faire attention à tous les êtres vivants et à tous les éléments qui nous entourent, et agir en conséquence : avec gentillesse, empathie et humanité. »
JOYCE TAN – MILITANTE ET JURISTE SPÉCIALISÉE DANS LES QUESTIONS ENVIRONNEMENTALES, PHILIPPINES
« Je suis juriste aux Philippines, un pays qui est toujours en tête de liste des États les plus vulnérables au changement climatique et aux catastrophes naturelles. Ici, personne n’est écolosceptique. Tout le monde doit vivre avec les premières conséquences du changement climatique et voir sa famille et ses amis perdre leur vie, leur maison et leur environnement social face à des cyclones de plus en plus dangereux et à des sécheresses prolongées.
« Je savais que la lutte contre le changement climatique demanderait des transformations profondes de systèmes établis et interdépendants, et je voulais utiliser la langue des experts, c’est-à-dire des données et des éléments de preuves, pour trouver des moyens de militer pour ces changements difficiles.
« Nous voyons de plus en plus souvent les preuves de l’obscurantisme de nos décisions, que ce soit dans les incendies, dans les inondations, dans l’anéantissement instantané de communautés entières ou dans des extinctions rapides. Aujourd’hui, nous savons que notre marge d’action se réduit continuellement, et malgré tout nos responsables politiques prennent encore trop longtemps à réagir. Le monde brûle. Nous ne pouvons pas détourner les yeux et mettre le problème sur les épaules des générations futures. »