Au Cameroun, le durcissement de la répression n’est pas un signal positif 

La scène se déroule un matin du 30 juin 2019. Vêtu d’un grand boubou immaculé, l’homme marche lentement. Sa main gauche agrippe une sacoche noire et un téléphone portable. Il franchit le grand portail qui donne sur l’assez vaste cour d’une maison d’où fusent des cris de joie aigus en guise de bienvenue. Cet homme est élargi de prison, et s’appelle Aboubakar Siddiki, dirigeant du Mouvement patriotique du salut camerounais (MPSC), un parti de l’opposition.

Son épouse et ses enfants, au premier rang du comité d’accueil familial, le serrent longuement dans leurs bras. Pendant ce temps, une jeune femme tient une petite cassolette servant d’encensoir dont elle fait tourner les chainettes pour laisser échapper une épaisse fumée de parfum.

Cette séquence ouvre une petite vidéo de trois minutes réalisée par la famille pour immortaliser le retour au bercail de leur père. Il s’agit d’une succession d’images mettant à la fois en scène une famille heureuse de revoir un être cher et des sympathisants rendus euphoriques par l’élargissement de leur dirigeant après plus de quatre années de détention.

Le 9 août 2014, Aboubakar Siddiki est arrêté dans son bureau, en présence de ses enfants en bas âge. Il lui a fallu deux mois pour savoir ce qu’on lui reprochait : « rébellion, révolution, sécession, bandes armées, port illégal d’armes et minutions de guerre, hostilité contre la patrie, complicité d’assassinat » entre autres griefs. Il passera plusieurs années de détention provisoire dont 18 mois ont servi à l’instruction de son dossier.

Malgré son statut de civil, il comparaitra devant un tribunal militaire au cours d’un procès ouvert en janvier 2016 et qui a abouti à sa condamnation en 2017 à 25 ans de prison ferme.  Il y a ensuite eu une série de 13 audiences en appel entre mars 2018 et juin de cette année. Aboubakar finira par être condamné par la chambre criminelle de la cour d’appel militaire, à quatre ans de prison pour « non dénonciation » peine qu’il avait déjà purgée, d’où sa libération.

Au Cameroun, les autorités cherchent à protéger les populations mais dans leur lutte contre Boko Haram, elles commettent aussi de graves violations des droits humains contre les civils, comme documenté par Amnesty International.

L’arrestation de cet opposant au régime du président Paul Biya a eu lieu dans un contexte sécuritaire assez particulier. Depuis 2014, le Cameroun fait face aux violentes attaques menées par des membres du groupe armé Boko Haram, dans la région de l’Extrême-Nord. Les autorités cherchent à protéger les populations mais dans leur lutte contre ce groupe armé, elles commettent aussi de graves violations des droits humains contre les civils, comme documenté par Amnesty International.

Le contexte sécuritaire et politique tendu, accentué ces dernières années par une crise dans les zones anglophones et l’élection présidentielle de 2018, a aussi plongé les autorités dans une vague répressive et liberticide, caractérisée par des restrictions aux libertés d’expression, d’association et de réunion et des arrestations arbitraires massives d’activistes politiques, souvent après un recours excessif à la force.Depuis le début de l’année, plusieurs centaines d’activistes ont ainsi été arrêtés, certains libérés au bout de plusieurs mois de détention, comme ce fut le cas de 39 opposants arrêtés en janvier pour « hostilité contre la patrie » et « insurrection » finalement libérés le 13 juillet dernier.

Aboubakar Siddiki se rappelle de sa journée du 9 août 2014 quand des individus en civil encagoulés, ont fait irruption dans son bureau. Ils lui mettent des menottes aux pieds et aux mains, son visage dissimulé, avant de le conduire vers une destination inconnue. Il a été gardé pendant 48 jours sans voir ni le soleil, ni sa famille, encore moins ses avocats et un médecin. 

Au Cameroun, – des opposants politiques, des personnes soupçonnées de soutenir Boko Haram ou des séparatistes armés des régions anglophones payent souvent le prix fort des arrestations et des longues détentions arbitraires. 

Il y a le cas de trois jeunes étudiants pour qui Amnesty International et des milliers de personnes à travers le monde, signataires de plus de 300 000 lettres et pétitions, ont mené campagne, demandant leur libération. Fomusoh Ivo Feh et ses amis Afuh Nivelle Nfor et Azah Levis Gob ont été condamnés en 2016 chacun à 10 ans d’emprisonnement par un tribunal militaire pour avoir fait circuler une plaisanterie sur Boko Haram par SMS. 

Aujourd’hui, dans la prison d’où Aboubakar Siddiki est élargi, ces trois étudiants sont toujours détenus, alors que leur rêve a toujours été de pouvoir continuer leurs études et trouver un emploi.

Ils ont tous été jugés par un tribunal militaire. C’est d’ailleurs devenu systématique au Cameroun. Dans la riposte contre Boko Haram, les séparatistes armés des régions anglophones, et des opposants, des tribunaux militaires sont saisis alors que le droit international des droits humains réfute leur compétence pour juger des civils. Les autorités en font une arme pour corser les peines.

Et les conditions de détention sont particulièrement difficiles dans des prisons surpeuplées, comme cela a également été documenté par Amnesty International. « Les conditions étaient très mauvaises et très difficiles dans tous les centres de détention où je suis passé. Ma vue s’est complètement dégradée, j’ai eu des pneumonies par moment et subi une torture psychologique et physique », raconte Aboubakar.

Les conditions étaient très mauvaises et très difficiles dans tous les centres de détention où je suis passé. Ma vue s'est complètement dégradée, j'ai eu des pneumonies par moment et subi une torture psychologique et physique

Aboubakar Sidikki, ancien détenu Camerounais

Durant son séjour carcéral, Aboubakar Siddiki dit aussi avoir cultivé la patience, la perspicacité et la résilience.  « La prison a raffermi ma foi et c’est en y étant qu’on réalise l’importance d’une famille. C’est le ferment qui permet de tenir, de persévérer, » dit-il. 

En prison, les jours se suivent et ne se ressemblent presque pas. Les uns sortent libres, de nouveaux arrivent, arrêtés ou déjà jugés. Des discussions naissent et des amitiés se tissent.  Au Cameroun, certains chemins qui mènent en prison ont pour noms : répression post-électorale comme celle contre les partisans de l’opposant Maurice Kamto,  suspicion d’appartenir à un groupe armé,  et même le fait de se lever pour demander le respect des droits fondamentaux.

Le durcissement de la répression auquel nous avons assisté ces dernières années au Cameroun n’est pas un signal positif dans un pays où les autorités ont l’obligation de reconnaître et de protéger les droits humains.

Ce billet de Blog a été publié en exclusivité par le Point Afrique.