Evans Njoroge, leader étudiant de l’université de Meru, aurait dû obtenir son diplôme l’année dernière. C’était un jeune homme intelligent qui militait avec passion pour les droits humains. Il y a un an, Evans a participé à une manifestation pacifique contre une augmentation des frais universitaires, mais cela a mené à son meurtre. En essayant de faire leur deuil, Monicah et Miriam, les sœurs d’Evans, se sont découvert une force qu’elles ne se connaissaient pas…
Miriam et Monicah étaient chez elles, à Nairobi (Kenya), quand elles ont appris que leur frère, Evans Njoroge, avait été tué par un policier. Il avait pris part à une manifestation pacifique devant l’université de Meru pour protester contre une augmentation des frais d’inscription.
« Alors que mon frère manifestait, un policier l’a emmené dans un jardin au calme », raconte Monicah, 30 ans.
« D’après des témoins, le policier a dit à Evans de s’agenouiller, a placé un pistolet à l’arrière de sa tête et a tiré. »
Quand Monicah explique ce qui est arrivé à son frère, sa voix se brise et les larmes lui viennent aux yeux. Le chagrin se lit sur son visage, mais en tant qu’aînée de la fratrie Njoroge, elle est déterminée à dire ce qu’elle a à dire.
« Le policier s’en fichait », dit-elle. « C’est tellement injuste et triste. »
Après avoir appris cette terrible nouvelle, Monicah et sa sœur cadette Miriam, 28 ans, ont fait le trajet de cinq heures pour se rendre à Meru. Elles voulaient des réponses, mais quand elles sont arrivées au poste de police, on leur a répondu par le silence.
« Quand j’ai demandé ce qui était arrivé à mon frère, le personnel du poste de police a refusé de me dire si c’était un policier qui l’avait abattu. C’était comme [s’il y avait] une grande tentative de dissimulation », déclare Monicah. « Evans se battait pour ses droits et les droits des autres étudiants, et pourtant ils l’ont abattu. Son seul crime a été de s’exprimer. »
Des émotions contradictoires
Cette année, au cours de laquelle Monicah et Miriam ont essayé d’accepter ce qui était arrivé, a été la plus dure qu’elles aient jamais vécue. Cela a été un parcours difficile.
« Je prie cent fois par jour. Parfois, j’ai l’impression qu’avec le temps, cela ira mieux, mais plus j’y pense, pire c’est », dit Miriam, qui a eu du mal à parler d’Evans jusqu’à présent.
« C’est un cauchemar dont je veux me réveiller », dit Monicah. « Puis je réalise que c’est réel. Je ne peux pas appeler Evans, je ne peux pas lui parler. »
Malgré leur situation déchirante, Monicah et Miriam sont déterminées à veiller à ce que la justice l’emporte. Aucune des sœurs ne s’était jamais vue comme une militante des droits humains, mais elles se sont découvert une force et une volonté de faire entendre leur voix qu’elles ne se connaissaient pas.
« Evans voulait que les choses changent, mais pour les autres. C’était un jeune homme courageux et altruiste qui ne cédait pas aux menaces et essayait de réclamer la justice », dit Miriam.
Inspirées par leur frère, Monicah et Miriam ont commencé à partager leur histoire sur les réseaux sociaux, ainsi que lors de rassemblements internationaux comme le Sommet des Jeunes d’Amnesty International, afin de sensibiliser l’opinion publique aux violences policières au Kenya.
Les violences policières sont un problème qui touche tout le pays. Le recours à une force excessive ou disproportionnée par la police constitue une violation de la loi kenyane et du droit international, et pourtant cela continue de se produire.
D’après un rapport d’Amnesty International et de Human Rights Watch, la police kenyane a tué au moins 33 personnes, voire même 50, et en a blessé des centaines dans certains quartiers de Nairobi lors des élections d’août 2017. Nombre de ces personnes étaient des manifestant·e·s.
« On entend souvent des histoires de personnes qui ont été abattues, mais on n’imagine pas que cela pourrait être quelqu’un que l’on connait, et encore moins un proche », dit Miriam. « Nous avons créé la page Facebook Justice for Evans, où nous partageons des publications ou des vidéos. Nous ne voulons pas obtenir justice seulement pour Evans, mais aussi pour tous les étudiants qui veulent manifester. »
Une prise de conscience
Monicah et Miriam sont déterminées à faire en sorte que l’histoire de leur frère ne soit pas oubliée : elles savent que c’est ce que leur frère aurait voulu.
« Par notre travail de campagne, nous encourageons d’autres personnes à s’exprimer », explique Miriam. « Evans était tellement courageux. Il n’avait que 22 ans, et si cela était arrivé à un autre étudiant, il n’aurait pas gardé le silence. Nous faisons cela pour que le monde sache ce qui se passe dans notre pays. Nous ne voulons pas que cela se reproduise. »
Monicah dit que maintenant, elle craint pour la sécurité de son jeune fils, et que le meurtre d’Evans a été une prise de conscience qui lui a montré que les atteintes aux droits humains peuvent toucher tout le monde.
« Je n’aurais jamais cru que je parlerais des violences policières et que je me battrais pour les droits humains », dit Monicah. « On ne peut pas comprendre ce que vivent les gens avant que cela nous arrive. Les violences policières n’ont pas commencé avec Evans, et elles ne s’arrêteront pas. C’est pourquoi nous devons faire entendre notre voix. »
Amnesty International Kenya a été une des premières organisations à contacter Monicah et Miriam et à leur offrir son soutien à un moment où les sœurs ne savaient pas vers qui se tourner. Grâce aux groupes de soutien et à des services d’assistance psychologique, elles ont commencé à accepter ce qui était arrivé.
« Nous n’avons même pas eu besoin d’appeler Amnesty, l’organisation nous a contactées et est là pour nous », dit Monicah. « Nous rencontrons Amnesty chaque semaine et l’organisation nous aide dans notre quête de la justice. Cela nous donne du courage et de la force. Evans était courageux et altruiste et il faisait entendre sa voix.
« Il est mort en faisant ce qu’il croyait juste. Je veux qu’on se souvienne de lui comme de quelqu’un qui a lutté pour la vérité, la justice et les autres. »
« Evans ne cédait pas aux menaces et se battait quand même pour la justice et les droits des autres étudiants”, convient Miriam. “Nous voulons faire la même chose. »
Des poursuites pour meurtre ont été engagées contre le policier qui aurait abattu Evans. Le procès reprendra le 5 mars 2019 : six jours seulement après le premier anniversaire de la mort d’Evans.