Alexeï Sokolov, Ekaterinbourg

Responsable de l’organisation Legal Basis Group, Ekaterinbourg, oblast de Sverdlovsk

Je suis né à Ekaterinbourg. C’est chez moi. Le fait de grandir ici m’a permis de comprendre l’importance de défendre les droits humains, c’est un travail primordial pour moi. Si vous venez à Ekaterinbourg, il faut visiter le Centre Elstine, nommé en hommage à Boris Elstine. Le musée est dédié aux événements qui ont façonné la mise en place de la démocratie en Russie.

Un autre endroit intéressant, bien que particulier, de notre ville se trouve de l’autre côté du stade d’Ekaterinbourg, où des matchs de la Coupe du monde se tiendront. C’est un centre de détention provisoire, et derrière ce centre se trouve la prison IK-2, où de terribles actes de torture et d’autres violences ont été commis. Cette prison a été l’objet d’un film documentaire intitulé Torture Factory, or Educational Experience que j’ai produit. Le film démontre que l’administration pénitentiaire brise réellement les détenu-e-s et, bien trop souvent, inflige des blessures dont ces personnes souffrent toute leur vie. Certaines personnes, comme Mikhaïl Beloussov, directeur adjoint de la prison IK-2, qui a torturé et violé des détenu-e-s, ont été reconnues coupables en 2017. Cependant, nous continuons de recevoir des informations faisant état de torture et d’autres mauvais traitements dans cette prison.

Mon travail de défense des droits humains a commencé quand j’étais en prison. Dans les années 1990, je gérais une entreprise. J’ai récupéré un premier lot de vêtements de sport à vendre, et quand je suis venu chercher le second lot, la police m’attendait. J’ai été arrêté et on m’a frappé pendant 10 jours pour me faire « avouer » une infraction. Pendant le procès, j’ai essayé d’attirer l’attention du juge sur le fait que la partie plaignante ne m’avait pas identifié comme le responsable de l’infraction, que les empreintes sur le fusil à canon scié que j’aurais soi-disant emmené n’étaient pas les miennes, et que j’étais déjà en prison à la date à laquelle les témoins affirmaient que j’avais emmené le fusil. Mais ces efforts ont été vains. J’ai été déclaré coupable et condamné à sept ans d’emprisonnement. J’ai purgé ma peine dans le kraï de Khabarovsk. Immédiatement après ma déclaration de culpabilité, j’ai commencé à envoyer des plaintes pour dénoncer la condamnation et les actions du personnel pénitentiaire. Après chaque plainte, on venait me voir le soir et on me disait : « Ça suffit, on t’envoie en cellule disciplinaire ». Il va sans dire que mes plaintes ont tout simplement disparu et que j’ai été maintenu en cellule disciplinaire à l’isolement. C’est à ce moment que j’ai réalisé que l’objectif des prisons en Russie n’était pas de réhabiliter les détenus, mais de les briser.

La CEDH a finalement statué que j’avais été arrêté illégalement, maintenu en détention illégalement, privé de mon droit de dire au revoir à mes parents, qui sont morts pendant que j’étais en prison, et envoyé dans une région éloignée pour purger ma peine, en violation du droit russe.

Après ma libération, j’ai trouvé un emploi, j’ai fondé une famille et j’ai commencé à fournir une assistance juridique à des prisonniers. Au début, je les aidais par téléphone, mais en 2005 j’ai créé et fait enregistrer une organisation appelée Legal Basis et j’en suis devenu directeur en 2006. En 2008, j’ai enquêté sur les homicides de détenu-e-s de la colonie pénitentiaire n° 1 de Tcheliabinsk, à Kopeïsk. Des poursuites pénales ont été engagées contre des directeurs de prison grâce à ces enquêtes et dans les premiers jours de l’enquête, sept membres du personnel pénitentiaire ont été arrêtés. D’autres membres du Service fédéral d’application des peines ont par la suite été arrêtés. Tous ont été déclarés coupables et condamnés à des peines de prison.

J’étais cependant de nouveau en prison quand j’ai appris la nouvelle. C’était la deuxième fois que j’étais emprisonné, mais cette fois, c’était en raison de mon travail de défense des droits humains. Des détenu-e-s m’avaient dit que des membres du personnel pénitentiaire leur avaient demandé de faire n’importe quel « aveu », tant que mon nom était évoqué. Ils ont trouvé les bonnes personnes pour le faire : ils se sont soudain souvenus que j’avais été accusé d’avoir commis une infraction en 2004. Un matin en mai 2009, j’ai été arrêté alors que j’étais avec ma fille. J’ai été jugé et condamné à cinq ans de prison. Ma peine a été réduite à trois ans en appel. Ce n’est qu’en novembre 2017 que la Cour européenne des droits de l’homme a examiné ma plainte et a conclu que plusieurs articles de la Convention européenne des droits de l’homme avaient été enfreints. La CEDH a finalement statué que j’avais été arrêté illégalement, maintenu en détention illégalement, privé de mon droit de dire au revoir à mes parents, qui sont morts pendant que j’étais en prison, et envoyé dans une région éloignée pour purger ma peine, en violation du droit russe.

En 2011, j’ai bénéficié d’une libération anticipée et je suis rentré à Ekaterinbourg. À mon retour, j’ai rencontré mes collègues et j’ai repris mon travail de défense des droits humains. Nous formions une bonne équipe et nous nous rendions dans des établissements pénitentiaires. L’année dernière, nous comptions environ 15 membres et nous couvrions tout l’oblast de Sverdlovsk. Est-ce que nous avons permis de faire une différence ? Oui ! En quatre à cinq ans, nous sommes arrivés à des changements fondamentaux et certaines questions difficiles sont maintenant plus faciles à aborder. On ne déplore presque plus aucune mort dans nos colonies pénitentiaires. Le dernier cas était celui d’un détenu que le directeur de l’établissement pénitentiaire avait frappé à mort. L’administration pénitentiaire avait essayé d’étouffer l’affaire, mais n’avait pas réussi car nous étions intervenus immédiatement. Nous nous sommes installés près de la colonie et avons passé nos nuits là-bas pour connaître le fin mot de l’affaire. Une enquête pénale a été ouverte et les responsables ont été condamnés à de lourdes peines de prison.

En 2015, Legal Basis a été classée « agent de l’étranger », au motif que nous aurions reçu des financements étrangers pour « influencer les politiques » dans notre pays. Bien que nous affirmions que la torture est illégale, il semble que les politiques du gouvernement divergent. Il s’est avéré que la preuve de notre « influence » était le fait que je me sois tenu devant le Conseil public du Service fédéral d’application des peines avec un slogan « Non à la torture ». Au départ, nous avons été condamnés à une amende de 300 000 roubles, qui a ensuite été augmentée à 900 000 roubles. Ensuite, nous avons reçu plusieurs amendes de 100 000 roubles chacune, pour ne pas avoir procédé à un audit. Aujourd’hui, nous travaillons comme groupe de pression, principalement sur la base du bénévolat.

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Président @PutinRF_Eng, ne gâchez pas la #Coupedumonde2018. Protégez les défenseur-e-s des droits humains #TeamBrave