Les droits des Africaines en péril(s) : l’urgence d’une thérapie communautaire

Les droits des Africaines se rappellent bruyamment au bon souvenir des opinions publiques, à la faveur de polémiques sur leur fécondité et d’indignations parfois surjouées qu’elles occasionnent. Pour n’être pas inédites, pareilles controverses pourraient devenir des bénédictions cachées, si elles favorisent une prise de conscience de quelques évidences méconnues et surtout les voies qui s’esquissent pour s’en affranchir.

La crue réalité est simplement que des millions d’Africaines demeurent prisonnières de pratiques attentatoires à leurs droits fondamentaux, soient les mutilations génitales féminines (MGF) et les mariages précoces et forcés (MPF) ; auxquels se surajoutent de solides préventions pour l’accès des jeunes filles à l’éducation.

Vu d’Afrique de l’ouest par exemple, ces périls sont désormais alarmants. Au Burkina Faso, en Sierra Léone et au Sénégal pour ne citer que ces pays, de trop nombreuses filles ont subi des traumatismes pérennes à la suite de MGF et/ou de MPF

Vu d’Afrique de l’ouest par exemple, ces périls sont désormais alarmants. Au Burkina Faso, en Sierra Léone et au Sénégal pour ne citer que ces pays, de trop nombreuses filles ont subi des traumatismes pérennes à la suite de MGF et/ou de MPF.

Leurs douloureuses histoires de vie s’égrènent comme autant de longs chapelets d’épreuves et de violations subies. Les données de l’UNICEF indiquent que 76% des femmes au Burkina Faso ont été soumises à une MGF, quand la proportion est de 88% en Sierra Leone, ce qui place les deux pays dans un sinistre ‘Top 10’ mondial. Au Sénégal, la prévalence des femmes victimes de MGF est de 26%.

S’agissant des MPF, l’UNICEF estime que dans la tranche sensible des 20-24 ans, pas moins de 44% de Sierra-léonaises sont mariées avant 18 ans. Au Burkina Faso, c’est environ la moitié des femmes qui sont mariées trop jeunes ; tandis que depuis 20 ans le tiers des Sénégalaises convolent toujours avant leur majorité civile qui est de 18 ans.

Pour juguler ces phénomènes, la pédagogie communautaire s’impose progressivement comme l’une des approches les plus efficaces. Cette ‘thérapie’ repose en effet sur une éducation inclusive aux droits humains prise en charge par les communautés elles-mêmes.

La prévalence des MGF et MPF apparaissant indissociable de croyances et mythes traditionnels profondément enracinés, ainsi qu’à des inégalités de genre culturellement adossées, l’inclination de la pédagogie communautaire est de ré-habiliter les femmes et les filles, en les aidant à s’attaquer aux croyances et pratiques nocives, tout en impliquant les communautés pour contribuer au changement d’attitude et de comportement.

C’est fort de cela qu’Amnesty International porte avec le concours du DfID une initiative internationale majeure destinée à inverser la courbe des MGF et des MPF en Afrique de l’ouest. Au Burkina Faso, au Sénégal et en Sierra Leone, cette initiative triennale (2017-2020) prend le contrepied des œillères stigmatisantes pour mettre tout le monde à contribution.

Au demeurant, la campagne mondiale « Ruban blanc » mettant en avant les hommes pour dénoncer les violences faites aux femmes, avait bien auguré les vertus d’une démarche qui implique toutes les parties prenantes. S’inscrivant dans ce sillage d’élargissement, le projet porté aujourd’hui par Amnesty entend s’appuyer sur une pédagogie collective.

Il s’agit notamment de dialogue intergénérationnel avec les leaders communautaires, les chefs religieux et coutumiers, les enseignants et les élus. Une panoplie de ressources pédagogiques sont conçues à cet effet par les organisations locales elles-mêmes et mises en œuvre par leurs soins.

Pareilles ressources incluent notamment les causeries populaires, le théâtre participatif, des émissions radiophoniques, etc. A quoi s’ajoutent des activités plus scolaires inculquant aux filles et aux garçons leurs droits et leurs responsabilités juridiques et mettant en exergue les méfaits des MGF et MPF.

Partout, la démarche inclusive vise à ce que la communauté décide ensemble de mettre fin aux pratiques ciblées, au besoin en formalisant un accord communautaire dédié, et en mettant sur pied des dispositifs d’alerte et de surveillance.

A une échelle différente ce travail de base est complété par un plaidoyer auprès des instances appropriées pour l’amélioration des cadres législatifs et leur effective mise en application. A court terme l’objectif chiffré est d’empêcher au moins 30.000 nouveaux cas concrets de MGF et MPF. Mais à plus long terme il s’agit surtout d’enclencher une spirale vertueuse qui affecte durablement toute la région de travail.

A court terme l’objectif chiffré est d’empêcher au moins 30.000 nouveaux cas concrets de MGF et MPF. Mais à plus long terme il s’agit surtout d’enclencher une spirale vertueuse qui affecte durablement toute la région de travail.

On le voit, l’enjeu vital est bien celui de la pleine dignité des Africaines. Celle-ci ne peut plus se satisfaire de solutions lapidaires ou de théories éculées car elle ne conditionne rien moins que le devenir et l’existence même de nos sociétés. Il est donc urgent que les projecteurs et les soutiens soient utilement déplacés vers ces initiatives locales dont les efforts patients sont les plus surs moyens de changer durablement la situation et d’en finir avec les vaines polémiques.

L’original de ce texte a été publié par Jeune Afrique