La réaction consternante de l’Europe face à la crise mondiale des réfugiés et au nombre pourtant gérable de personnes qui arrivent à sa porte en quête de protection va laisser une tache indélébile dans notre conscience collective.
Les gouvernements européens manquent à leurs obligations envers les réfugiés et l’Union européenne bafoue ses propres principes fondamentaux : la liberté, l’égalité, les droits humains et l’état de droit.
Au lieu de se servir des outils à sa disposition pour accueillir sa juste part de la population mondiale de réfugiés, l’Europe cherche à conclure des accords en vue de bloquer les réfugiés dans d’autres pays.
Par exemple, l’accord entre l’UE et la Turquie présente bien des défauts, et il est parfaitement évident qu’entasser les réfugiés sur les îles grecques n’est pas une solution.
Laissez-nous partir d’ici le plus vite possible…
B.K.D., 17 ans, Kurde syrien, camp de Souda, Chios, Grèce
L’Accord UE-Turquie
Parmi les politiques migratoires infructueuses de l’Europe, l’accord que celle-ci a conclu avec la Turquie prend des airs de couteau planté en plein cœur du système de protection internationale des réfugiés.
Aux termes de cet accord, tous les demandeurs d’asile arrivant sur les îles grecques via la Turquie doivent être renvoyés dans ce pays, sur la base de l’hypothèse totalement erronée que leurs droits y seront respectés. En échange, du moins en théorie, l’Europe est censée accueillir un demandeur d’asile syrien venant de Turquie pour chaque personne syrienne renvoyée en Turquie.
Pour l’instant, plusieurs obstacles juridiques empêchent le renvoi des demandeurs d’asile vers la Turquie, mais personne ne sait combien de temps cela va durer.
En attendant, des centaines de réfugiés et de migrants arrivent chaque semaine, bien que leur nombre ait fortement baissé depuis l’application de cet accord.
Ainsi, tous les nouveaux arrivants restent bloqués sur les îles grecques, ce qui entraîne une grave surpopulation et des conditions de vie déplorables. Ces personnes se retrouvent dans l’incertitude quant à leur avenir et leurs espoirs sont réduits à néant.
Un an après l’entrée en vigueur de cet accord, son coût humain est déjà clairement visible sur les îles grecques, où des dizaines de milliers de réfugiés sont pris au piège.
Les efforts et les ressources originellement destinés à accueillir les réfugiés sont désormais déployés pour placer ces personnes en détention, dissuader d’autres candidats à l’asile de venir et déclarer des demandes d’asile irrecevables en partant du principe que la Turquie est un pays sûr.
Ces îles, où des bénévoles venus de toute l’Europe offrent un accueil chaleureux, sont devenues des îles du désespoir, une prison à ciel ouvert pour celles et ceux qui doivent souffrir afin de dissuader d’autres personnes de les rejoindre.
L’histoire de Khadeeja
« J’ai quitté l’Irak car il y avait beaucoup de problèmes […] Ils ont tué mon frère sans aucune raison […]. Mon père a reçu une balle dans la tête […]. Nous sommes venus en Europe car nous avons besoin d’un endroit où nous sommes en sécurité. »
Khadeeja, 18 ans, réfugiée irakienne, Chios, Grèce
L’histoire de Noori
Noori est un jeune Syrien issu d’une famille de médecins. Comme la guerre se prolongeait, il voulait aider les blessés et a alors commencé des études d’infirmier à l’université.
Mais en avril 2015, son village a été frappé par un bombardement et il a vu mourir sous ses yeux deux familles de son voisinage. Effondré, Noori a quitté la Syrie pour rejoindre l’Europe, dans l’espoir d’y trouver la sécurité.
Il est arrivé en passant par la Turquie, mais cela n’a pas été facile pour lui de rejoindre ce pays. Lors de ses deux premières tentatives, il a été arrêté et frappé, puis renvoyé en Syrie. La troisième fois, a-t-il raconté, le groupe dans lequel il se trouvait a été attaqué par un groupe armé et 11 de ses compagnons de route ont été tués.
Finalement, il a réussi à entrer en Turquie, mais d’autres Syriens lui ont dit qu’il était très difficile d’y trouver du travail et qu’à la suite du coup d’État manqué de juillet 2016 la situation était devenue encore plus instable. Noori a eu peur et s’est dit qu’il n’y avait « pas d’avenir » pour lui là-bas. Il a donc poursuivi son voyage jusqu’en Grèce.
Il a déposé une demande d’asile quelques jours après son arrivée sur l’île de Lesbos, mais sa demande a été rejetée sans examen complémentaire. La Turquie étant considérée (à tort) comme un « pays sûr » où Noori pouvait retourner, il a été arrêté immédiatement.
Il est détenu depuis plus de six mois, tandis que ses avocats contestent la décision rendue. Sa détention, dans des conditions inhumaines et dégradantes au poste de police de Lesbos, dépasse largement la durée maximale légale de 90 jours mais ses demandes de libération ont été rejetées.
Il a attrapé la gale à cause de ces conditions désastreuses. De plus, sa détention se poursuit en dépit d’un diagnostic de stress post-traumatique lié aux bombardements aériens en Syrie.
Noori risque de devenir le premier demandeur d’asile syrien renvoyé de force en Turquie aux termes de l’Accord UE-Turquie, ce qui créerait un dangereux précédent ouvrant la voie à d’autres retours forcés de demandeurs d’asile.
Une tendance préoccupante
Quand je suis arrivée ici, j’étais pleine d’espoir et de rêves…
Offa, artiste-peintre syrienne bloquée à Chios depuis août 2016
L’inefficacité et le coût humain de l’Accord UE-Turquie doivent servir d’avertissement quant aux autres accords de ce type que nos dirigeants pourraient conclure.
Cet accord ne peut pas servir de modèle pour gérer la crise mondiale des réfugiés. L’Europe a le devoir moral et juridique d’accueillir les personnes qui fuient les conflits et les persécutions. Cette responsabilité ne peut pas être sous-traitée à d’autres pays. Le coût pour l’Europe, et pour les réfugiés, est trop élevé.
Mais cette situation n’est pas inéluctable. Nous pouvons faire mieux.
Il est temps que les dirigeants européens fassent le bon choix. Ils doivent de toute urgence mettre en place un plan efficace pour aider les réfugiés, et conclure un véritable accord fondé sur la protection, le partage des responsabilités et le droit international.
Cela permettra de remplacer des flux migratoires incontrôlés qui profitent aux passeurs par une gestion ordonnée des arrivées. Cela permettra de protéger les droits humains au lieu de fermer les yeux sur la souffrance humaine.
La forteresse Europe n’est pas une solution. Nous pouvons et nous devons faire mieux que ça, car si nous voulons être une société qui se vante d’être libre, équitable et juste, la protection des réfugiés n’est pas négociable.